Mais oui, la réalité, c’est mieux!
Un ami auquel j’avais écrit une lettre se terminant par « End of the game » m’avait répondu, moqueur, que si j’avais été un « vrai » gamer, j’aurais conclu par « Game over ». Bref, je me couvre, ici, la tête de cendres. Non, au grand dam, sans doute, de mes petits-enfants, je l’avoue: les jeux vidéo ne sont pas ma tasse de thé. La dernière fois que j’ai pratiqué, ce devait être dans le milieu des années 70 avec un jeu nommé Pong, un truc d’une simplicité biblique où l’on se renvoyait un point lumineux avec deux raquettes. Si je me souviens bien, pour durcir le jeu, on pouvait rapetisser les raquettes et accélérer la vitesse de la « balle »… Ah si, pour me détendre, je joue parfois à Tetris. Ce qui n’est pas méchant non plus…
Alors lorsque le prolifique Steven Spielberg sort un nouveau film qui plonge dans l’univers des jeux vidéo, je me suis demandé si c’était bien un truc pour moi. Dans le cinéma du cher Steven, j’ai quand même une préférence pour La liste de Schindler (1983), Munich (2005), Lincoln (2012), Le pont des espions (2015) ou le tout récent Pentagon Papers (2017). Si l’envie me vient de m’amuser, la saga Indiana Jones fait bien l’affaire. Un petit passage par Duel (1971), Les dents de la mer (1975), le premier Jurassic Park (1993) ou Il faut sauver le soldat Ryan (1998) me vaut de solides frissons. Quant à E.T. l’extra-terrestre (1982), malgré sa tête d’étron, il me fait encore fondre… Par contre A.I Intelligence artificielle (2001) ou Minority Report (2002) m’ont laissé de marbre.
Dans un futur proche, le monde est donc en proie à de nombreux soucis : crise énergétique, désastre causé par le changement climatique, famine, pauvreté, guerre, etc. Dans ce monde chaotique, l’OASIS est un système mondial de réalité virtuelle, accessible par l’intermédiaire de visiocasques et de dispositifs haptiques tels que des gants et des combinaisons. Conçu à l’origine comme un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur (sic), il est devenu au fil du temps une véritable société virtuelle dont toute l’humanité se sert comme d’un exutoire. Son créateur, James Halliday, est l’un des hommes les plus riches au monde. Immédiatement après son décès, une vidéo est diffusée dans laquelle il apparaît, expliquant qu’il a décidé de léguer son immense fortune de 500 milliards de dollars, ainsi que sa société, GSS, à la personne qui réussira à trouver un Easter Egg (œuf de Pâques) caché dans l’OASIS.
Nous sommes en 2045 et Columbus, dans l’Ohio, bien que ville réputée prospère, est un paysage urbain désolé et crasseux, un habitant étant légitime de dire: « La réalité aujourd’hui, ça craint! » C’est, dans cet environnement composé de piles de maisons branlantes, que vit Wade Watts, un adolescent binoclé de 17 ans qui, comme les autres, n’a d’autre issue que d’aller se divertir sur l’OASIS. Où l’on fait ce que l’on veut: du ski sur les pyramides ou la conquête de l’Everest avec Batman. Sur l’OASIS, Wade devient Parzival et retrouve son meilleur ami, Aech, un immense gaillard qui enchaîne les kills et n’a pas son pareil pour réparer n’importe quelle machine. Il ne faudra que dix minutes à Aech pour remettre sur roues la moto d’Art3mis, la jolie rousse, la terreur des Sixers, dont Wade/Parzival va instantanément tomber amoureux…
Bientôt, Parzival (Tye Sheridan), Art3mis (Olivia Cooke), Aech (Lena Waithe) et leurs copains Xo alias Sho et Toshiro alias Daito vont se mettre en tête de relever le défi lancé par Halliday (l’excellent Mark Rylance). Mais trouver les trois clés qui les rendront maîtres de l’OASIS ne va pas être une mince affaire. Car, évidemment, les « méchants » ne l’entendent pas de cette oreille. Patron d’IOI (Innovative Online Industries), Nolan Sorrento est bien décidé à faire passer sa société de la seconde à la première place occupée par GSS… Pour cela, tous les coups bas sont bons. Mais, évidemment, c’est sans compter sur les ressources d’un Club des cinq du XXIe siècle. Sur OASIS, Wade et ses copains (on découvrira que le massif Aech est l’avatar d’une malicieuse Helen à casquette de baseball) vont mettre leur science du jeu au service d’un beau dessein.
En s’appuyant sur Player One, le premier roman de l’Américain Ernest Cline qui fut d’emblée un best-seller largement nourri des films de… Spielberg, le cinéaste a conçu un film qui apparaît comme une variation sur un jeu vidéo à la taille d’un grand écran de cinéma. Pour sa sixième adaptation d’un roman de SF, Spielberg a mis en oeuvre des moyens considérables,mêlant la motion-capture, les prises de vues réelles et l’animation numérique. Réalisé en Angleterre, Ready Player One multiplie, à bon rythme, des effets visuels remarquables. La course-poursuite à tombeau ouvert dans un New York virtuel et stylisé est, par exemple, un morceau de choix. Cependant, tout cela finirait par être saoulant si Ready Player One n’était truffé, de bout en bout , de références à la pop-culture des années 80 et 90. Du coup, on croise, ici, un King Kong mal embouché et un dinosaure droit sorti de Jurassic Park mais aussi Gandalf, Lara Croft, Freddy Krueger, le Joker, Chucky, Godzilla et on en oublie sans doute…
Idem, du côté de véhicules emblématiques comme la DeLorean (customisée) de Retour vers le futur (Wade se fait d’ailleurs traiter de McFly), la moto de Kaneda, tout droit sortie d’Akira, l’énorme camion Bigfoot coursant l’Interceptor de Mad Max, la Plymouth Fury 1959 de Christine, la fourgonnette de L’Agence tous risques et la Batmobile version 1966. Le film fait aussi largement référence au jeu Adventure, pour la console Atari 2600, développé par Warren Robinett en 1979 et pionnier du jeu d’action-aventure dans lequel son auteur glissa un Easter Egg, le premier clin d’oeil connu à ce jour dans un jeu vidéo…
Mais assurément, le must de Ready Player One, c’est l’énorme coup de chapeau que Spielberg donne, dans une longue séquence, à Stanley Kubrick en envoyant ses personnages voir, au cinéma Overlook (forcément!) le fameux Shining (1980). Sur les pas de Parzival et de ses amis, on parcourt les longs couloirs déserts de l’hôtel Overlook, on croise deux étranges jumelles, un ascenseur qui va faire jaillir des flots de sang, on descend dans un labyrinthe enneigé, on manque de prendre des coups de hache et on entre dans une salle de restaurant qui va s’ouvrir sur un abîme… Quant à Aech, il pousse la porte de la chambre 237 pour rencontrer une beauté sortant de sa baignoire… Manifestement, Spielberg s’est régalé. Nous aussi!
Lorsqu’enfin le Club des cinq aura vaincu et sera devenu propriétaire de l’OASIS, Spielberg pourra professer sa philosophie. La première mesure des nouveaux patrons sera de fermer l’OASIS deux jours par semaine, histoire que les gens passent plus de temps dans la vraie vie. Car ce qu’il y a de bien avec la réalité, c’est qu’elle est réelle. Est-il temps de tomber le masque de la réalité virtuelle? Mon jeune voisin a quand même conclu, en s’adressant à son jeune copain: « Mortel! »
READY PLAYER ONE Science-fiction (USA – 2h20) de Steven Spielberg avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Mark Rylance, Simon Pegg, T.J. Miller, Lena Waithe, Philip Zhao, Win Morisaki, Hannah John-Kamen. Dans les salles le 28 mars.