Margaux, le dragueur, le cinéaste fou, la call-girl et l’adolescente

Margaux (Sandrine Kiberlain) et Margaux (Agathe Bonitzer). Photo Claude Nicol

Margaux (Sandrine Kiberlain)
et Margaux (Agathe Bonitzer). Photo Claude Nicol

VERTIGE.- Margaux est prof d’histoire-géo dans un lycée de Lyon mais elle a pris une année sabbatique. Margaux vit à Paris et travaille occasionnellement comme vendeuse dans des magasins de vêtements. Margaux, l’enseignante, monte à Paris pour aller aux obsèques d’Esther, une amie d’autrefois qu’elle a perdu de vue… Mais la cérémonie au cimetière ne fait qu’aviver sa peur de la mort. C’est dans une soirée -où elle se demande vraiment ce qu’elle fait là- que Margaux la lyonnaise de 45 ans va rencontrer Margaux la parisienne de 20 ans. A leur façon de se frotter le nez de l’exacte même manière, on comprend que ces deux Margaux n’en font qu’une. Mais à deux époques de leur existence…

Sixième long-métrage de Sophie Fillières, La belle et la belle (France – 1h36. Dans les salles le 14 mars) pourrait ressembler à ces films bien français qui se passent dans des chambres parisiennes, où des couples s’interrogent sur le monde comme il va, le couple comme il va ou l’amour comme il va. Mais ce n’est pas le cas. Voici en effet une pure fantaisie en forme de portrait dédoublé où une jeune femme fait la rencontre, en chair et en os, de la femme qu’elle est devenue… La cinéaste propose ainsi d’entrer dans le jeu d’un récit qui est du registre fantastique mais qui fait néanmoins le pari du réalisme. Reste alors à accepter un postulat -après tout, assez énorme- et de se laisser porter par un vertige jubilatoire, voire enchanteur. Si on peut admettre qu’il n’y a qu’une seule Margaux constituée de son passé, de son présent et de son futur, Sophie Fillières a eu la bonne idée de ne pas grimer une seule et même comédienne. Si justement le sortilège opère, ici, c’est parce que ce sont deux comédiennes qui jouent les deux Margaux…

Margaux (Sandrine Kiberlain) et Marc (Melvil Poupaud). Photo Claude Nicol

Margaux (Sandrine Kiberlain)
et Marc (Melvil Poupaud). Photo Claude Nicol

D’un côté, voici donc Sandrine Kiberlain qui prouve, une fois de plus, qu’elle est l’une des meilleures actrices de comédie en France. Sa Margaux a un joli grain de folie qui lui permet sans doute de masquer sa solitude. De l’autre, c’est Agathe Bonitzer (à la ville, elle est la fille de la réalisatrice) qui incarne une Margaux encore perdue dans le bouillonnement de sa jeunesse. Après avoir suivi les deux Margaux dans leurs parcours à travers un montage alterné, Sophie Fillières les réunit dans une belle scène devant un miroir, entièrement filmée depuis leur reflet, où leurs regards se croisent, où elles se jaugent avant que l’évidence s’impose… Enfin, la cinéaste joue la carte de la romance avec un triangle amoureux. L’arrivée du séduisant Marc (Melvil Poupaud) dans la vie de la jeune Margaux et son retour dans celle de la Margaux de 45 ans achève de les rapprocher… Dommage seulement que le film ralentisse un peu sur la fin mais La belle et la belle reste une jolie réussite.

Jocelyn (Frank Dubosc) et Florence (Alexandra Lamy). DR

Jocelyn (Frank Dubosc)
et Florence (Alexandra Lamy). DR

MENSONGES.- Responsable com’ pour l’Europe d’une grande société de chaussures de sport (« Les chaussures d’Uma Thurman, dit-il, dans Kill Bill, c’est nous »), le sémillant Jocelyn est un éternel dragueur doublé d’un parfait menteur. Comme il le dit, avec finesse, « baiser en étant moi-même, ça ne m’intéresse pas ». Lorsque sa mère meurt, Jocelyn retourne dans sa maison natale. Là, il regarde avec nostalgie les photos de son enfance, assis dans le fauteuil roulant de la défunte. Comme la porte est entrouverte, Julie, une voisine, vient aux nouvelles. Elle découvre Jocelyn dans son siège d’handicapé. Comme il est immédiatement sous le charme de l’accorte Julie, Jocelyn ne se lève pas. Un petit mensonge de plus pour draguer encore. Mais cette fois, Jocelyn a mis le doigt dans un redoutable engrenage. Car Julie a une soeur handicapée en fauteuil qu’elle tient à présenter à Jocelyn. Forcément, notre homme est charmé par l’éclatant sourire de Florence…

Humoriste et auteur de one-man-shows à succès, Frank Dubosc mène, depuis 1985, une carrière d’acteur au cinéma. Parmi la bonne trentaine de films qu’il a tourné, il y a évidemment la série des Camping (2006, 2010 et 2016), tous réalisés par Fabien Onteniente qui lui donna le rôle principal de Patrick Chirac. Une série qui a réuni un total de 12,5 millions de spectateurs. Mais on n’est cependant pas obligé d’être fan du campeur dragueur au mini-maillot de bain…

Jocelyn et Marie (Elsa Sylberstein). DR

Jocelyn et Marie (Elsa Sylberstein). DR

Avec Tout le monde debout (France – 1h47. Dans les salles le 14 mars) Frank Dubosc passe derrière la caméra et réalise pour la première fois. Auteur du scénario original et tête d’affiche de son film, l’humoriste réussit à séduire en oeuvrant dans une humanité et une finesse qu’on n’imaginait pas. Si les premières séquences qui installent Jocelyn dans son personnage de dragueur émérite sont attendues, Tout le monde debout (qui fait allusion à une bourde du chanteur François Feldman lors d’un Téléthon) adopte ensuite un ton délicat et presque grave. On suit du coup avec curiosité (comment va-t-il se sortir du piège?) et tendresse les aventures d’un Jocelyn qui se déplace en fauteuil parce qu’il est tombé amoureux fou de la lumineuse Florence. En traitant avec humour la question du handicap et de la différence, le cinéaste fait le portrait d’une Florence qui réfléchit plus vite, qui va plus vite, qui vit plus intensément que ce Jocelyn pris dans son mensonge mais qui va enfin considérer l’autre avec un regard amoureux. Frank Dubosc s’est entouré, ici, d’excellents comédiens. Alexandra Lamy (Florence) est rayonnante, Carole Anglade (Julie) est une plaisante découverte. Gérard Darmon est parfait en fidèle ami et Elsa Zilberstein est drolatique en secrétaire loufoque…

Tommy Wiseau (James Franco) en tournage. DR

Tommy Wiseau (James Franco)
tourne The Room. DR

REVE.-« A Los Angeles, tout le monde veut être une star ». Sans aucun doute. Mais, pour cela, il faut être le meilleur… Et Tommy Wiseau, manifestement, ne l’est pas. Dans le cours de théâtre qu’il fréquente, sa prof hallucine. Mais rien  n’y fait, Tommy en est convaincu: il faut croire à son rêve. Un rêve qu’il a décidé de partager avec Greg, un jeune type qui veut devenir acteur. Ensemble, ils se rendent sur les lieux de l’accident où James Dean a perdu la vie et prêtent serment d’aller au bout de ce fameux rêve. Mais les producteurs tournent le dos à Wiseau. Persuadé que personne ne l’aime, Tommy, bien que totalement étranger au milieu du cinéma, va entreprendre de réaliser un film. Sans savoir vraiment comment s’y prendre, il se lance et signe The Room, le plus grand nanar de tous les temps. A l’avant-première, le 27 juin 2003, une salle comble ouvre d’abord des yeux éberlués avant de faire un triomphe à cette très improbable comédie…

Greg (Dave Franco) et Tommy (James Franco). DR

Greg (Dave Franco)
et Tommy (James Franco). DR

Y a-t-il une méthode pour devenir une légende? C’est en somme le thème de The Disaster Artist (USA – 1h44. Dans les salles le 7 mars), le film (dans lequel on remarque les courtes apparitions de Mélanie Griffith et Sharon Stone) que le comédien et réalisateur James Franco consacre à Tommy Wiseau, l’un des plus étranges personnages de l’univers (marginal) d’Hollywood. En s’appuyant sur le livre éponyme écrit par Tom Bissell et Greg Sestero, James Franco, devant et derrière la caméra, s’en donne à coeur-joie dans le portrait d’un Wiseau terriblement excentrique et plus grand que nature, en mettant notamment l’accent sur le tournage de The Room. On pensait qu’Ed Wood (auquel Tim Burton consacra un film en 1994) était le « plus mauvais cinéaste de l’histoire du 7e art » mais on constate que Tommy Wiseau, avec son air de méchant dingue constamment sous acide, n’est pas mal non plus dans le genre. En tout cas, James Franco, avec l’aide de son frère Dave dans le rôle de Greg, rend un hommage, finalement touchant, à ce Tommy Wiseau qui s’ingénia à brouiller les pistes sur ses origines (il serait né à Gdansk en Pologne), sur son âge et aussi sur la provenance de l’argent (6 millions de dollars) qui permit de financer le film. On sait que The Room est sorti dans une unique salle à Los Angeles et que Wiseau mit la main à la poche pour qu’il reste deux semaines à l’affiche. Ce film (qui rapporta 1800 dollars lors du week-end de sa sortie) est devenu un authentique objet de culte pour certains cinéphiles amateurs de grands nanars.

Isabelle Huppert est Eva. DR

Isabelle Huppert est Eva. DR

ATTIRANCE.- Gigolo d’un auteur anglais installé à Paris, Bertrand Valade observe, sans réagir, celui-ci avoir un malaise et se noyer dans sa baignoire. L’auteur venait d’achever une nouvelle pièce de théâtre. Bertrand décide de la dérober. Bientôt Passwords sera un succès sur scène. Imposteur opportuniste, Bertrand savoure son plaisir mais bientôt son producteur lui réclame une nouvelle pièce. Pour tenter d’écrire, il part à la montagne… Lorsqu’il arrive dans le chalet, il constate que des intrus sont dans les lieux. Dans la salle de bain, il tombe sur la belle Eva, prenant un bain. Bertrand tombe instantanément sous le charme de cette femme mystérieuse qui l’assomme avant de disparaître…

Benoît Jacquot s’est forgé une réputation de fin portraitiste de la femme sur grand écran… Et il est vrai que des films comme Villa Amalia (2009), Les adieux à la reine (2012) ou Journal d’une femme de chambre (2015) ne manquaient pas de charme de ce point de vue-là. Avec Eva (France – 1h40. Dans les salles le 7 mars), le cinéaste fait l’adaptation de la fameuse Série Noire éponyme parue en 1946 et écrite par l’Anglais James Chadley Chase. Jacquot ramène l’action du livre en France alors que Chase la situait aux USA, un pays qu’il ne connaissait pas. En 1962, Joseph Losey avait déjà adapté, très librement, le roman à l’écran avec Jeanne Moreau et Stanley Baker dans les rôles principaux.

Gaspard Ulliel incarne Bertrand Valade. DR

Gaspard Ulliel incarne Bertrand Valade. DR

Avec son Eva, Jacquot livre l’histoire d’un type foudroyé à la fois par son désir et par l’idée que son aventure avec une troublante call-girl pourrait lui permettre, en la racontant, d’exister enfin comme un (vrai) auteur. Mais la mécanique du thriller ne fonctionne jamais vraiment… On observe le ménage de ce couple de hasard se débattant dans des espaces vides. Et des dialogues comme « Tous les hommes qui payent sont mes amis » n’arrangent pas les choses. Bien sûr, Isabelle Huppert (qui a beaucoup joué chez Jacquot) apparaît, d’entrée, parfaitement vénéneuse mais, hélas, plus le film avance, moins le personnage d’Eva semble consistant. A terme, Eva apparaît comme une caricature de prostituée de luxe, se cachant sous des perruques noires, déployant les miroirs de son boudoir ou maniant la cravache sans que tout cela ne soit bien érotique. Finalement, on se dit que le seul à frissonner devant elle, c’est ce malheureux Bertrand qu’elle manipule à sa guise. Gaspard Ulliel a souvent l’air de se demander ce qu’il fait là. Nous aussi…

Saoirse Ronan est Lady Bird. DR

Saoirse Ronan est Lady Bird. DR

ADOLESCENCE.- Non, décidément non, Christine McPherson n’est pas bien dans sa peau. Et puis, d’ailleurs, elle déteste qu’on l’appelle Christine. Elle a décidé d’être Lady Bird et s’excuse: « Désolée de ne pas être parfaite ». En fait, Lady Bird se prend en permanence la tête avec sa mère. Infirmière dans un hôpital où elle travaille sans relâche pour garder sa famille à flot (surtout depuis le père a perdu son boulot), Marion a sans doute sale caractère mais c’est une mère néanmoins aimante. Même si Lady Bird n’en est pas vraiment persuadée… Alors, entre le lycée où elle se met les profs et l’administration à dos et ses rêves de partir à New York, la vie de Lady Bird lui paraît ressembler à une galère…

Lady Bird et sa mère (Laurie Metcalf). DR

Lady Bird et sa mère (Laurie Metcalf). DR

Avec Lady Bird (USA – 1h34. Dans les salles le 28 février), la comédienne Greta Gerwig réalise son premier film en solo et a fait très fort de suite puisque son Lady Bird a décroché le Golden Globe de la meilleure comédie alors que Saoirse Ronan, l’interprète de Lady Bird, était couronnée meilleure actrice dans une comédie. Dans la foulée, sont arrivées cinq nominations aux Oscars. A cause de toutes ces distinctions, on se dit, en découvrant le film, qu’il est un peu surcoté. Mais, en fait, il convient de le considérer pour ce qu’il est, en l’occurrence, le portrait sensible et attachant d’une grande adolescente et la chronique des premiers choix d’adulte. Remarquée du grand public en 2013 pour Frances Ha, Greta Gerwig sait saisir, avec un regard à la fois tendre et amusé, les états d’âme d’une Lady Bird à laquelle la jeune Saoire Ronan apporte sa grâce mais aussi une fraîche rebéllion. Et, autour d’elle, les autres acteurs tiennent bien la rampe, notamment Lucas Hedges (qui fut remarquable dans Manchester by the Sea en 2016 comme dans le tout récent Three Billboards) et Timothée Chalamet promu, depuis Call me by your Name, au rang de tête d’affiche. Enfin, Greta Gerwig,née à Sacramento, a situé son action dans cette ville de Californie où la vie ne semble pas bien palpitante. D’ailleurs, la cinéaste a placé, en exergue de son film, une citation de Joan Didion, elle aussi née à Sacramento: « Quiconque parle de l’hédonisme californien n’a jamais passé Noël à Sacramento »‘… On veut bien le croire, à voir les efforts de Lady Bird pour prendre la fuite.

 

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