Elio troublé dans la torpeur de l’été
Ah qu’elle est charmante, cette manière de « coopter » la nouvelle coqueluche d’Hollywood! A l’approche de la cérémonie des Oscars (ce dimanche 4 mars), les médias français, à l’heure où Call me by your Name arrive sur nos écrans, ont fait chorus pour saluer Timothée Chalamet qui concourt dans la prestigieuse catégorie des meilleurs acteurs. Où le jeune homme de 22 ans aura à faire à forte partie face notamment à Daniel Day-Lewis (pour le remarquable Phantom Thread) ou à Gary Oldman, épatant en Winston Churchill dans Les heures sombres… Tout cela parce que Timothée Chalamet, comme son nom l’indique, est à moitié français. Cocorico!
Le comédien (qui est également à l’affiche de Lady Bird, le nouveau film de Greta Gerwig, actuellement sur les écrans français) est né le 27 décembre 1995 dans le quartier -autrefois réputé dangereux- de Hell’s Kitchen à New York. Son père, Marc Chalamet a travaillé pour l’Unicef et sa mère, Nicole Flender, est une agent immobilière américaine… On sait ainsi que Timmy, pour ses amis, a passé une série d’étés dans la maison de sa grand-mère au Chambon-sur-Lignon, dans la Haute-Loire, à jouer au football et à rêver de devenir professionnel. Mais c’est bien du côté de la télévision (pour des pubs et des séries), à Broadway et finalement sur le grand écran que ce passionné de basket et de hip-hop se fait remarquer…
Avec Call me by your Name, le jeune comédien gravit un gros échelon puisqu’il partage la tête d’affiche avec son compatriote Armie Hammer. Chalamet est arrivé en Italie cinq semaines avant le début du tournage pour se glisser dans la peau d’Elio en faisant, tous les jours, une heure et demie d’italien, une heure et demie de piano et une heure et demie de guitare…
Quelque part dans le nord de l’Italie, pendant l’été 1983, Elio Perlman, 17 ans, passe ses vacances dans la villa du XVIIe siècle que possède sa famille, à jouer de la musique classique, à lire et à flirter avec son amie Marzia. Son père, éminent professeur de culture gréco-romaine et spécialiste d’archéologie, accueille, chaque été, dans sa maison, un étudiant pour le seconder dans ses travaux scientifiques. Cet été-là, c’est Oliver, un grand Américain, qui prépare son doctorat, qui vient poser ses sacs dans la demeure des Perlman. Annella, la mère d’Elio, donne à Oliver, la chambre de son fils. A charge pour eux de se partager la salle de bain attenante… Dans la chaleur de l’été, Elio va découvrir, au contact d’Oliver, l’éveil du désir…
Connu notamment pour avoir signé, en 2009, Amore dans lequel l’épouse (Tilda Swinton) du fils d’une famille de riches industriels lombards du textile tombe sous le charme d’un cuisinier, ami de son mari, et découvre avec lui les vertiges du désir, Luca Guadagnino signe, ici, un film qui s’impose d’abord par son atmosphère. Le cinéaste italien réussit parfaitement à capter la chaleur de l’été, la torpeur qui gagne au sortir d’un déjeuner sous les arbres. C’est dans ce contexte propice que va éclore la puissante aventure du jeune Elio, un garçon de bonne éducation dont les talents intellectuels et artistiques ont fait un jeune homme mûr pour son âge. Dans les choses de l’amour, Elio conserve cependant une certaine innocence.
C’est dans les environs de Moscazzano, à quelques minutes de Crema, au coeur de la campagne de Lombardie, que le cinéaste a trouvé la magnifique villa qui sert de décor à Call me… Autour de cette bâtisse joliment meublée et dotée d’un abreuvoir à bestiaux transformé en petite piscine , s’étendent des prés, des champs, des vergers, un large étang… Elio et ses amis s’y promènent, jouent, font du vélo, flirtent un peu, sortent et dansent jusque tard dans la nuit. L’arrivée du bel Oliver va troubler ces vacances tranquilles. Les filles, Marzia comme Chiara, observent le doctorant américain d’un oeil intéressé. Mais pas autant qu’Elio dont les repères se délitent doucement tandis qu’Oliver, après une partie de volley, lui prend l’épaule pour le masser et lui ôter son stress…
Alors que l’été invite à la nonchalance et au farniente, de taraudantes émotions assaillent Elio tandis qu’il observe, à la dérobée, Oliver enfiler son maillot de bain ou pisser dans les toilettes. Tout en évoquant le quotidien de la famille Perlman au cours de soirées bruyantes avec des amis qui rappellent la mort du génial surréaliste Luis Bunuel en cet été 83 ou lors d’un voyage au lac de Garde pour des découvertes archéologiques, Guadagnino va peu à peu ressesser son propos sur la relation puis la liaison entre Elio et Oliver… Sur son lit, dans une chambre tiède traversée d’un rayon de soleil, Elio, torse nu, joue avec une pêche dont il se servira pour assouvir son plaisir. Rejoint par Oliver, Elio glisse: « Je suis tordu » et Oliver, portant la pêche à son bouche, lui lance, comme un défi, « Tu veux voir quelque chose de tordu? » Appuyé sur un scénario de James Ivory adapté d’un roman d’André Aciman, Call me by your Name (Appelle-moi par ton nom), dans le jeu d’attirance amoureuse entre Elio et Oliver, atteint alors un rare degré de sensualité.
Et puis viendra la fin de l’été, le départ d’Oliver pour Bergame. Elio l’accompagne. Ils savent que leur histoire s’achève et d’ultimes étreintes dans la nuit bergamasque ne feront que renforcer le chagrin et la douleur d’Elio. Passeront alors les jours d’hiver et les flocons tombant sur la campagne et l’étang des bains estivaux. Call me… s’achève sur deux belles séquences, l’une où le père d’Elio le rassure: « Vous avez eu une belle amitié » et l’invite à ne pas tuer la joie éprouvée, l’autre, qui clôt le film, où, à l’heure d’Hanouka et des latkes, Elio, les yeux embués, regarde longuement ailleurs…
En s’immergeant dans Call me by your Name, on songe parfois au Jardin des Finzi Contini (1970), histoire (à l’heure du fascisme et de la Shoah) d’une famille juive italienne qui fait songer aux Perlman… Dans son évocation d’une idylle de jeunesse homosexuelle,le film de Guadagnino se distingue par exemple de la noirceur tragique des films de Fassbinder. Il choisit la chronique d’été où un premier amour « n’ayant pas de géographie, ne connaît pas de frontières »…
Pour servir son histoire, Luca Guadagnino peut compter sur de beaux acteurs avec Timothée Chalamet qui compose un jeune homme tour à tour tendre et ténébreux, joueur et grave. Son Elio est une manière de Tadzio lombard lumineux et moins nostalgique que son homologue du Lido vénitien. Remarqué dans The Social Network (2010) de David Fincher où il incarne les deux jumeaux Winklevoss, J. Edgar (2011), le biopic sur Hoover par Clint Eastwood, Nocturnal Animals (2016) ou The Birth of a Nation (2016), Armie Hammer est un Oliver très séduisant. Le cinéaste a aussi écrit un beau personnage de père de cinéma. Le rôle de M. Perlman a été confié à l’excellent et désormais incontournable Michael Stuhlbarg, actuellement à l’écran dans Pentagon Papers (il y est Abe Rosenthal, le patron du New York Times) et dans La forme de l’eau où il incarne Dimitri alias le Dr. Hoffstetler… Enfin, dans le couple gay ami des Perlman, c’est André Aciman, l’auteur du livre éponyme, qui s’est glissé dans le costume farfelu de Mounir…
Mêlant la sexualité, l’érotisme et l’anxiété qui caractérisent un premier amour et en laissent une empreinte indélébile, ce film, comme son titre l’indique, permet à Elio et Oliver d’échanger leurs prénoms. Parce que c’était lui, parce que c’était moi…
CALL ME BY YOUR NAME Comédie dramatique (Italie – 2h11) de Luca Guadagnino avec Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg, Amira Casar, Esther Garrel, Victoire du Bois, Vanda Capriolo, Antonio Rimoldi, Elena Bucci, Marco Sgrosso, André Aciman, Peter Spears. Dans les salles le 28 février.