Patineuse de génie et pauvre plouc
La sortie sur les écrans français de Moi, Tonya pouvait-elle mieux tomber? D’un côté, les JO d’hiver en Corée alimentent la chronique sportive et people avec le beau parcours en patinage artistique du couple français Papadakis-Cizeron et le drame de la robe verte et dorée se déchirant pour libérer furtivement le sein d’une Gabriella catastrophée… De l’autre, de nouvelles révélations décrivent un locataire de la Maison Blanche qui apparaît de plus en plus comme un redneck. Dans le livre de Michael Wolff, Donald Trump se présente comme un président qui travaille cinq heures par jour, s’abîme des heures devant la télé, ne lit pas et s’endort quand on lui décrypte la constitution des Etats-Unis. Ce serait drolatique si on n’avait pas envie de pleurer…
Personnalité brillante puis sulfureuse du patinage artistique international, Tonya Harding appartient de plein droit à cette Amérique profonde, pauvre et culturellement défavorisée dont elle parviendra à s’arracher provisoirement pour se faire d’abord une place de premier plan dans l’univers du sport américain de haut niveau avant de devenir une pestiférée honnie par tous les médias et donc par le public qui l’avait acclamée. C’est Tonya qui résume, ainsi, dans le film, l’Amérique: « Il faut qu’ils aiment, il faut qu’ils détestent. Il faut que ce soit facile… » Pour la patineuse chérie puis haïe, ce ne fut jamais facile. Le film montre ainsi comment, avec une cruauté et une violence verbale qui font froid dans le dos, LaVona, la mère de Tonya, maltraite une gamine qui, pourtant, à seulement quatre ans, brille déjà sur la glace.
Précédé d’un carton qui souligne: « Inspiré d’entretiens avec Tonya Harding et Jeff Gillooly, dénués d’ironie, violemment contradictoires et totalement sincères », le film s’ouvre sur des interviews, face caméra, de la patineuse et de son ex-mari. Ces interviews, évidemment réalisées avec les comédiens du film, servent de fil conducteur au nouveau film de Craig Gillepsie, le réalisateur australien remarqué pour ses premiers pas au cinéma en 2007 avec l’amusant Une fiancée pas comme les autres. Fiancée de l’introverti Lars (Ryan Gosling), la jolie Bianca est une… poupée moulée en résine!
En s’appuyant donc sur les témoignages incroyablement différents de Tonya et de son ex-mari, Margot Robbie, remarquée en 2013 dans Le loup de Wall Street où elle joue la compagne de DiCaprio, a lancé le projet du film dont elle est à la fois la productrice et l’interprète. Craig Gillepsie s’est chargé ensuite de mettre en scène avec une solide dynamique, cette narration maîtrisée qui révèle une Tonya Harding plus complexe que celle décrite dans les portraits délivrés par les médias après ce que le clan Harding qualifiera d’ « incident ».
Au début de janvier 1994, à la veille des championnats américains qualificatifs pour les Jeux olympiques d’hiver de Lillehammer, en Norvège, la patineuse Nancy Kerrigan est agressée et blessée au genou avec une barre de fer. L’enquête démontera que l’entourage de Tonya Harding est impliqué dans l’affaire. Tonya Harding affirmera n’avoir été au courant de l’implication de ses proches qu’un mois après l’agression… Aux JO de Lillehammer, la « princesse » Nancy Kerrigan gagnera la médaille d’argent et Tonya Harding, la « merde » (sic), finira huitième.
Cependant, Moi, Tonya dépasse, et de loin, cette affaire d’agression qui mettra, in fine, Tonya Harding au ban du patinage et de la société américaine. Cette chronique de l’Amérique profonde est l’occasion de brosser le portrait d’une enfant puis d’une adolescente et enfin d’une jeune femme (elle a 23 ans quand sa carrière se termine tristement) dont l’existence fut, de bout en bout, chaotique. Propulsée ou plutôt jetée sur la glace par sa mère, la toute jeune Tonya se révèle une sportive de grand talent. Elle sera d’ailleurs la première patineuse à réaliser en compétition le fameux et difficile saut nommé triple axel… Mais Tonya détonne. Elle est, de son propre aveu, une plouc, pauvre de surcroît. Si son patinage est puissant, rapide et athlétique, sa façon d’être déplaît. Alors que Tonya lui demande pourquoi elle est toujours moins bien notée que les autres concurrentes alors qu’elle est meilleure qu’elles, un responsable de la fédération américaine lancera ce cruel « Vous n’avez pas l’image que nous voulons véhiculer ». Il est vrai aussi qu’elle porte des tenues plutôt cheap et patine sur le stimulant mais peu élégant Sleeping Bag de ZZ Top. Non, définitivement, non, Tonya Harding n’appartient pas à une Amérique policée et équilibrée. Même si, pendant quelques mois, après son triple axel, la patineuse connut l’adulation…
Autour de cette Tonya volontiers mal embouchée, forte en gueule et bien interprétée par une robuste Margot Robbie, Craig Gillepsie fait graviter trois personnages pas piqués des hannetons! LaVona, la mère (formidablement incarnée par Allison Janney, vue dans les séries Masters of Sex et A la Maison blanche) est une figure à la fois insupportable et pathétique. Elle martyrise et insulte sa fille en souhaitant qu’elle aille très haut: « Le truc, c’est qu’elle patine mieux quand elle est en rage », dit-elle. Jeff Gillooly est un faible à la fois amoureux et cogneur que Tonya rencontre alors qu’elle a 15 ans. « Il me battait, dira-t-elle, Je pensais que c’était ma faute ». Commentaire de LaVona: « On baise avec un crétin. On ne l’épouse pas ». Enfin, Shawn, l’ami de Jeff, est un pauvre type doublé d’un extraordinaire mythomane qui se prend pour un expert en contre-terrorisme et affirme, à propos de l’agression de Nancy Kerrigan, « J’ai changé le cours de l’Histoire ».
Rythmée par l’évocation des différentes compétitions auxquelles participa Tonya Harding (dont les JO d’Albertville et de Lillehammer) et présentant des images de patinage plus dynamiques que celles que montrent les reportages sportifs, Moi, Tonya est un film très tonique qui met en scène une poignée de cas sociaux autour d’une championne que son talent n’aura pas suffi à transformer en star. On finit même par avoir de la compassion pour cette sportive paumée dont l’après-patinage se passera sur des rings de boxe à prendre des coups dans la tête. Mais des coups, Tonya Harding en aura pris toute sa vie.
MOI, TONYA Drame (USA – 2h01) de Craig Gillepsie avec Margot Robbie, Sebastian Stan, Allison Janney, Julianne Nicholson, Paul Walter Hauser, Bobby Cannavale, Maizie Smith, Mckenna Grace, Caitlin Carver, Bojana Novakovic, Anthony Reynolds, Ricky Russert. Dans les salles le 21 février.