Le reporter, la voyante, le capitaine et sa muse
Depuis le temps qu’on voit Vincent Lindon sur le grand écran, on ne se souvient pas de l’avoir vu… mauvais. Et c’est encore le cas dans L’apparition (France – 2h17. Dans les salles le 14 février) où il incarne un reporter de guerre contacté par le Vatican pour une énigmatique demande. Jacques Mayano est en effet sollicité pour participer à une enquête canonique. Il ne sait pas de quoi il s’agit. Nous non plus. Mayano est reporter de guerre pour un grand quotidien régional et il revient de Syrie où il a vu un ami et collègue photographe tué sous ses yeux. Blessé et souffrant de troubles de l’audition, l’homme se replie sur lui-même, s’enferme dans sa chambre dont il condamne les ouvertures avec des cartons. La proposition du Vatican pourrait être une manière de se changer les idées mais Mayano est journaliste et cette enquête suscite évidemment sa curiosité. Le voilà donc parti dans un petit village du sud-est de la France où Anna, une jeune novice de 18 ans, affirme avoir eu une apparition de la Vierge Marie. La rumeur s’est vite répandue et des milliers de pélerins affluent désormais dans ce coin de montagne pour prier et se recueillir sur le lieu de l’apparition présumée.
Intrigué par les enquêtes canoniques et après avoir lu Faussaires de Dieu où Joachim Bouflet mène l’enquête sur les imposteurs qui sont prêts à tout pour faire croire qu’ils ont vu un signe de Dieu, Xavier Giannoli s’est lancé, de son propre aveu, dans une quête intime et secrète. Le réalisateur de Quand j’étais chanteur (2006), A l’origine (2008) ou encore le savoureux Marguerite (2015) propose, de fait, un film ambitieux puisqu’il s’intéresse à la croyance et à la foi. Bien sûr, le cinéaste n’oublie pas la dimension du spectacle et son film prend parfois le tour d’un thriller. Jacques Mayano (incarné donc par un Vincent Lindon intense et impeccable) n’est ni un bigot, ni un athée cynique mais juste un homme libre soucieux, de par sa pratique professionnelle même, de démêler le vrai du faux. Constatant que l’Eglise n’encourage pas plus que cela la reconnaissance des faits apparitionnaires, le reporter peut s’atteler à sa tâche.
Jusqu’au moment où il croise le regard d’Anna et est touché par son infinie solitude. D’abord inquiète, la sensible et dévote Anna (Galatea Bellugi très habitée) trouve dans ce journaliste, qui arrive comme un principe de vérité dans sa vie de secrets, la personne qui va l’amener au bout de son mystère même si, d’abord, elle lui dit: « Il y a trop de colère en vous pour accepter ce que j’ai vu ». Autour de ce reporter meurtri et de cette gamine bouleversée, gravitent les sceptiques de la commission d’enquête, les marchands du temple, un prêtre victime de sa foi ou, pire, un dangereux (mais sincère?) illuminé qui veut mettre en scène la jeune voyante et diffuser son message sur internet…
Si Xavier Giannoli a bien une exigence de réalisme et de rigueur, son film -découpé en six chapitres et porté par la magnifique musique d’Arvö Part- peine cependant à tenir la distance. Les différentes enquêtes de Mayano dans les familles d’accueil ou le foyer où a vécu Anna, ralentissent le propos et les révélations ultimes (dont il ne faut évidemment rien dire) relèvent un peu trop de l’effet de surprise. Il reste alors le portrait d’un homme dont le regard a changé parce qu’il a croisé un monde où la preuve n’est rien et ou l’invisible garde son mystère. Le cinéaste faisant référence aux derniers mots du Royaume d’Emmanuel Carrière, Jacques Mayano pourrait, à son tour, dire « Je ne sais pas ». Mais le doute l’aura traversé.
Nos jeunes années de cinéma ont été baignées par les aventures de magnifiques héros qui avaient nom Fanfan dans Fanfan la tulipe (1952), Louis-Dominique Bourguignon, le valeureux bandit de Cartouche (1962) ou encore Nicolas Philibert, le héros des Mariés de l’an II (1971). Mis en scène par Christian-Jacque, Philippe de Broca ou Jean-Paul Rappeneau, ces gaillards-là avaient la fière allure de Gérard Philipe ou de Jean-Paul Belmondo. Alors, quand Laurent Tirard tourne Le retour du héros (France – 1h30. Dans les salles le 14 février), on se dit, avec plaisir, qu’il va réveiller de vieux et beaux souvenirs. D’ailleurs, dès les premiers plans, lorsque le capitaine Neuville arrive à cheval du fond de l’écran tandis que, dans l’embrasure de la porte, Elisabeth Beaugrand le regarde avancer, on songe à l’ultime et émouvante image de La prisonnière du désert (1956) de John Ford…
Nous sommes en 1802, quelque part dans un coin paisible de Bourgogne, où Monsieur et Madame Beaugrand, leurs deux filles Elisabeth et Pauline et leur maisonnée vivent une existence aussi confortable que paisible. Et voilà que débarque le capitaine Neuville. Bel homme à la moustache avantageuse, le militaire parle haut et fort tandis que Pauline fond pour lui. Au grand dam d’Elisabeth qui se méfie de ce joyeux hâbleur. Car le capitaine Neuville est peut-être un parfait escroc! Lorsque, très naturellement, Neuville demande la main de Pauline, la famille Beaugrand vibre de joie. A l’exception notable d’Elisabeth. Mais Neuville est appelé à la guerre. En partant, il promet à Pauline de lui écrire tous les jours. Il n’en fera rien. Répondant aux courriers de Pauline, c’est Elisabeth, muse au fond de sa chambre, qui va construire, missive après missive, la légende d’opérette du valeureux capitaine. Emportée par sa plume allègre, Elisabeth y va de plus en plus fort, envoyant, après les batailles d’Autriche, Neuville combattre les Anglais en Inde, non sans affronter des tigres, élever des éléphants, planter du tabac ou exploiter une mine de diamants…
Mais voilà que Neuville fait son retour en Bourgogne. Le capitaine n’est plus qu’un clochard barbu et puant, prêt à tout pour quelques sous, y compris à revenir chez les Beaugrand. Dépassée par l’imposture qu’elle a organisée, Elisabeth tente de mettre Neuville au pas. Non sans devoir constater qu’elle éprouve quelques puissants sentiments pour ce militaire habile dans l’art de séduire…
Hélas, Le retour du héros, s’il réveille des souvenirs, n’arrive pas vraiment à leur donner une nouvelle jeunesse. Bien sûr, Laurent Tirard, dont on avait bien aimé, en 2007, un Molière porté par un virevoltant Fabrice Luchini en Monsieur Jourdain, a multiplié les péripéties du scénario mais il a cependant du mal à donner du tempo à cette comédie en costumes. Bien sûr aussi, on sourit aux clins d’oeil très contemporains à l’égalité homme/femme mais le film fait le choix de se reposer sur Jean Dujardin, le lâche, fourbe et sans scrupules Neuville. Depuis le temps qu’on fait de Dujardin l’héritier de notre cher Bébel, il fallait bien que notre oscarisé Artist s’amuse à être Magnifique. Le problème, c’est qu’on a le plus souvent l’impression que Jean Dujardin joue en roue libre, la bride laissée sur le cou par Tirard, sur le mode « Laisse, j’y vais! »
C’est d’autant plus patent que Mélanie Laurent trouve, ici, un pétulant rôle de comédie, nouveau pour elle. De plus, dans des seconds rôles, Noémie Merlant et Christophe Montenez nous régalent. Pensionnaire de la Comédie Française et nouveau venu au cinéma, Christophe Montenez campe un parfait amoureux transi. Quand à Noémie Merlant, déjà remarquable en adolescente tentée par le djihad dans Le ciel attendra (2016), elle est réjouissante en pucelle hystérique, totalement fascinée par Neuville, qui se lâche dans des lettres torrides… Comme Jean Dujardin s’est fait plutôt rare ces derniers temps (Brice 3 n’est pas fameux ; le commissaire de police de Chacun sa vie est un petit rôle et Un homme à la hauteur nous a laissé sur notre faim), les inconditionnels du comédien iront sans doute lui rendre visite. Mais il faudra être (très) indulgent et avoir un bon chocolat glacé au poing…