Trois héros américains
Ceux qui aiment Clint Eastwood prendront le train! Les autres resteront probablement à quai. Car le vétéran du cinéma hollywoodien (87 ans) n’y va pas avec le dos de la caméra pour raconter l’exploit, au demeurant admirable, de trois jeunes Américains dans le Thalys entre Amsterdam et Paris…
Le vendredi 21 août 2015, vers 17 h50, Ayoub El Khazzani, ressortissant marocain de 26 ans, armé d’une Kalachnikov avec neuf chargeurs, d’un pistolet automatique et d’un cutter, monté en gare de Bruxelles-Midi, ouvre le feu dans le train à grande vitesse Thalys 9364 reliant Amsterdam à Paris, peu après le passage du convoi en France, dans le Pas-de-Calais. Un premier voyageur, employé de banque français, tente de désarmer l’assaillant alors que celui-ci sort des toilettes. El Khazzani parvient à lui échapper. Un passager franco-américain de 51 ans, Mark Moogalian, professeur d’anglais à La Sorbonne, venu au secours du voyageur français, empoigne à son tour le fusil d’assaut et parvient à s’en emparer. Le tireur sort alors son pistolet fait feu et touche Moogalian dans le haut du dos avant de lui reprendre la Kalachnikov. Entrant dans la voiture 12 du Thalys, le tireur tente d’ouvrir le feu mais son arme s’enraye. Deux passagers américains en vacances, Spencer Stone puis Alek Skarlatos se jettent à mains nues sur l’agresseur et l’immobilisent. Ensuite, aidés par Chris Norman, un voyageur britannique, et Anthony Sadler, étudiant américain et ami d’enfance de Stone et Skarlatos, parviennent à désarmer l’agresseur et à le maîtriser. Au cours de la lutte, Stone est blessé à coups de cutter à la main et au cou, ce qui ne l’empêchera pas de porter secours à Moogalian qui saigne abondamment. Une fois la situation sous contrôle, Sadler s’en va rassurer les passagers choqués. Vers 18 h 30, El Khazzani est interpellé par la police en gare d’Arras…
C’est cet événement dramatique, qui survient dans un contexte d’actes terroristes perpétrés en France entre 2010 et 2015, que Clint Eastwood a choisi de mettre en scène en s’appuyant sur The 15:17 to Paris: The True Story of a Terrorist, a Train, and Three American Heroes, l’autobiographie écrite par Sadler, Skarlatos et Stone. Si, dans un premier temps, le cinéaste a pensé confier les rôles à des comédiens professionnels, il a finalement choisi de faire incarner les personnages par les trois vrais protagonistes de l’aventure… Et on peut dire qu’ils ne se tirent pas trop mal d’affaire…
Mais le drame du Thalys (même si la séquence de l’attaque d’El Khazanni et de la réaction des passagers relève du bon film d’action) n’occupe qu’une petite partie du film. Car Eastwood se consacre plus largement à l’enfance, aux années d’école et de lycée puis aux activités militaires de Stone et Skarlatos. Enfants de mères divorcées, les deux gamins ne sont pas des flèches et leur institutrice à l’école publique observent qu’ils ont du mal à se concentrer… « ce qui, dit-elle, est plus fréquent chez les enfants de mères célibataires »! A l’école chrétienne, ça n’ira pas mieux. Têtes de turc de leurs camarades, Stone et Skarlatos y deviendront amis avec Anthony Sadler, un petit Afro-américain qui passe le plus clair de son temps dans le bureau du principal à se faire tancer…
Mais le trio s’éclate en jouant à la guerre et un rayonnant professeur d’histoire mettra le pied à l’étrier de Stone et Skarlatos vers un destin militaire. Eastwood s’attache au personnage de Stone, costaud rondouillard, quand même passablement bourrin, qui se musclera pour tenter de devenir sauveteur aéroporté mais finira ambulancier dans l’armée de l’air. Skarlatos, lui, combattra en Afghanistan avant d’entrer dans la Garde nationale dans l’Oregon…
On retrouve Stone et Sadler, étudiant en Californie, entreprenant un voyage en Europe (le cinéaste ne lésine pas sur les clichés) avec des étapes à Rome et Venise puis Berlin où Skarlatos les rejoint et enfin Amsterdam d’où ils partiront vers Paris. Non sans avoir hésité car, pensent-ils, « les Français seraient les rois des malpolis… »
Comme il l’avait fait avec American Sniper (2015) puis avec Sully (2016) qui évoquait la manière dont le pilote Sully Sullenberger avait sauvé, en 2009, les passagers de son avion en le posant sur les eaux glacés de l’Hudson, Eastwood célèbre à nouveau, ici, des héros américains. On pourra lui reprocher de le faire à gros traits et sans beaucoup de nuances. ‘T’as jamais eu l’impression que la vie te propulse vers un but plus élevé? » interroge Spencer Stone. La marche vers l’héroïsme est en route. Mais, reconnaissons qu’Eastwood sait raconter une histoire. Et, malgré son aspect parfois caricatural, on se laisse prendre par Le 15h17 pour Paris.
Cet Eastwood, quand même mineur (Sur la route de Madison, Mystic River, Million Dollar Baby, Gran Torino ou les westerns crépusculaires appartiennent au passé) s’achève au palais de l’Elysée où François Hollande décore les héros du Thalys de la Légion d’honneur en saluant un exemple de courage qui a permis d’éviter une tragédie. Ce qui est tout bonnement un fait.
LE 15H17 POUR PARIS Drame (USA – 1h34) de Clint Eastwood avec Spencer Stone, Alek Skarlatos, Anthony Sadler, Judy Greer, Jeanna Fischer, Thomas Lenon, Ray Corasani, Alisa Allapach, William Jennings, Paul-Mikèl Williams, Bryce Gheisar. Dans les salles le 7 février.