Le président, Moz, les lions et les mariés
TUCHE.- Leur seul nom est-il déjà une promesse de rigolade cinématographique? On finit par le croire puisque le goût du public n’a cessé de croître pour cette famille bien barrée. Le premier volet, en 2011, avait réuni 1,5 million de spectateurs. Le n°2 qui, en 2016, voyait Jeff et les siens caresser le rêve américain, totalisait 4,6 millions d’entrées. Et voilà que le troisième opus réussit le douzième meilleur démarrage de tous les temps pour un film français. Autant dire qu’un nouveau succès tend les bras à cette famille de vernis. Et la gentille Cathy pouvait bien demander, au début du dernier film, « On vous a pas trop manqué? » Même si, on l’avoue, c’est un peu à reculons, qu’on est allé voir ce qui promet d’être l’une des têtes du box-office français de 2018.
Après avoir longtemps fréquenté Pôle emploi, Jeff Tuche est maintenant maire de Bouzolles. Et il se réjouit de l’arrivée du TGV dans son cher village. Las, le train ne fait que passer sans s’arrêter. Déçu, Jeff Tuche tente de joindre le président de la République. Mais l’Elysée ne répond pas et Jeff Tuche ne voit qu’une solution pour se faire entendre: se présenter à l’élection présidentielle. Parti de (très) loin, le candidat Tuche gagne en notoriété. Des circonstances politiques imprévisibles vont lui permettre d’affronter, au débat du second tour, le président sortant. La naïveté (l’incompétence?) de Jeff vont faire disjoncter le locataire de l’Elysée. C’est donc aux Tuche qu’il va revenir de gouverner la France…
Disons-le simplement, Les Tuche 3 (France – 1h32. Dans les salles le 31 janvier) n’est pas un film indigne. Mais Dieu que c’est lourd. Cette vision parodique de la France d’en bas accédant au pouvoir manque d’un scénario solide. Du coup, on doit se contenter de gags, de répliques qui sont censées faire mouche, voire de quelques pitreries autour de la sacro-sainte passion des Tuche pour les frites. Olivier Baroux se concentre sur le personnage de Jeff et finit par oublier de donner un rien d’épaisseur aux seconds rôles. On en arrive à se demander si, devant la médiocrité politique de Jeff Tuche (ah si, il veut faire payer les patrons du COUAC 40), il n’y a pas là un message subliminal pour nous amener à penser que Jupiter est un génie absolu… Mais ceux qui vont dans les salles « juste pour passer un bon moment » en ont bien le droit. Et tant pis si leur choix manque d’ambition. Comme lança, je crois, Sacha Guitry, à quelqu’un qui disait que le public avait aimé: « Il est bien le seul! »
ROCK.- « Manchester est une ville charmante pourvu que l’on soit un sourd-muet grabataire. La scène musicale locale est le pré carré de troglodytes dont le respect pour la subtilité et la variation s’apparentent à la liesse du porc en route pour l’abattoir… » Voilà ce qui vient sous la plume de Steven Patrick Morrissey dans le Manchester de 1976 où le jeune homme coincé et timide tente de trouver sa place…
Avec England is Mine (Grande-Bretagne – 1h34. Dans les salles le 7 février), Mark Gil réalise son premier long-métrage pour plonger le spectateur dans l’Angleterre des années 70-80. Margaret Thatcher est au pouvoir et le pays connaît alors le chômage et les émeutes. Au milieu de ce chaos, un jeune type a trouvé un job sans intérêt aux impôts. Tandis qu’il tient la liste des gens qu’il n’aime pas, il affirme que c’est l’esprit qui compte et déclare: « Je ne supporte plus d’être un génie méconnu! »
England is Mine, c’est la vie de Steven Patrick Morrissey avant les Smiths et la célébrité. Le cinéaste montre un jeune homme qui se cherche, ne se sent pas à sa place et rêve de faire quelque chose de sa vie. Pour Steven Patrick, né en 1959, ce sera de former en 1982 les Smiths avec son copain Johnny Marr, un groupe qui deviendra l’un des plus célébrés dans le panthéon du rock britannique. Après la séparation du groupe en 1987, Morrissey, surnommé Moz, entamera une longue carrière solo où le succès sera à nouveau au rendez-vous… Le cinéaste explique: « J’ai découvert les Smiths quand j’étais ado. Ils étaient encore actifs à l’époque. Comme beaucoup de gens, j’avais le sentiment que leur musique nous parlait de notre vie comme aucun autre groupe ne l’avait fait jusque là. Quand on est jeune, on a toujours l’impression d’être le seul à vivre des moments difficiles, et puis tout à coup on entend une voix qui met des mots sur ces sentiments de façon éblouissante. »
En s’appuyant sur le jeune comédien Jack Lowden, Mark Gil dresse donc le portrait d’un artiste en devenir, à la fois dévoré par les doutes (« Le monde n’est pas fait pour les gens comme moi »), frôlant la dépression mais qui réussira à s’arracher aux galères, notamment parce qu’il est entouré de femmes fortes, pour atteindre son but… England is Mine est une chronique tendre et pleine d’humour british sur une jeunesse en route vers la gloire…
FAUVES.- C’est sans doute le plus extravagant des films que le cinéma ait jamais produit! En 1969, lors d’un voyage en Afrique, Noël Marshall et son épouse Tippi Hedren découvrent une maison occupée par des lions… Cette « rencontre » sera le point de départ d’une aventure complètement surréaliste. Car Noël Marshall, producteur américain, notamment de L’Exorciste de William Friedkin, va se mettre en tête de réaliser Roar, l’histoire de Hank, un scientifique carrément excentrique qui s’est toujours battu pour la préservation des espèces en danger. Dans une vaste maison en Afrique, il mène donc, au milieu d’une ribambelle de lions, de tigres, de panthères et de pumas, une étude comparative sur les félins, africains ou pas…
Lorsque Roar (USA – 1h36. Dans les salles le 7 février) commence, Hank attend la visite de sa femme Madeleine et de leurs trois enfants Jerry, John et Mélanie. Mais il doit aussi convaincre une commission scientifique extrêmement sceptique du bien-fondé de sa démarche. Avec son collaborateur et ami Mativo, Hank est contraint de s’absenter alors que sa famille, arrivée des Etats-Unis, est sur le point de le rejoindre. C’est donc dans une vaste maison occupée par les seuls fauves que débarquent Madeleine et ses enfants. Très vite, c’est la peur qui gagne. Le quatuor ne sait pas comment échapper à ces bêtes qui ne cessent de leur sauter dessus. Pris de terreur, l’un se cache dans un frigo, l’autre dans un tonneau rempli d’eau. Rien n’y fait. Tout en se battant entre eux, les fauves mènent la vie dure aux hommes… Mais, in fine, tout cela s’achève en idyllique arche de Noé!
Ce n’est évidemment pas le film, sorti en 1981 (et qui revient dans une version restaurée), et son très mince scénario qui sont intéressants mais bien le contexte dans lequel ce projet a pris tournure. Si, au début du film, on voit des images filmées au Kenya et en Tanzanie, l’essentiel du tournage a été réalisé dans un ranch au nord de Los Angeles, propriété de Tippi Hedren (l’inoubliable blonde de Hitchcock dans Les oiseaux et Pas de printemps pour Marnie) dans lequel ont été rassemblés plus d’une centaine de fauves apprivoisés mais pas dressés. Evidemment, les choses dérapèrent. Le tournage dura six ans au lieu de six mois, le budget dépassa les 17 millions de dollars au lieu des trois initialement prévus et quelque 70 personnes furent blessées par les fauves. Chef opérateur de Roar, le Hollandais Jan de Bont, futur directeur de la photo de Piège de cristal ou Basic instinct, fut partiellement scalpé par un lion, ce qui lui valut quelques centaines de points de suture…
On l’a compris, cette histoire considérée comme ‘ »le film le plus dangereux jamais réalisé », vaut d’être vu pour la folie qu’elle représente. Les fauves sont impressionnants et on regarde, fasciné, des comédiens faisant leur métier tout en se demandant -ça se lit sur leurs visages- d’où pourrait venir le coup de patte fatal!
ROMANCE.- Ca y est! Christian Grey et Anastasia Steele se sont mariés. Une belle noce avec le traditionnel « Jusqu’à ce que la mort nous sépare » et le non moins attendu « Pour le meilleur et pour le pire… » Comme on sait qu’au cinéma, notamment hollywoodien mais pas que, il faut passer par le pire pour arriver au meilleur, on pouvait s’attendre à ce que le jeune mariage de Christian et Ana soit quelque peu malmené… Mais Cinquante nuances plus claires (USA – 1h46. Dans les salles le 7 février) s’éternise un peu dans les images de bonheur avec grosse Audi (un énorme placement de produit!), jet privé, champagne, Paris, tour Eiffel, opéra Garnier (avec Madame Butterfly), Versailles et sa Galerie des glaces, le vélo sous la pluie parisienne et le farniente seins nus sur la Côte d’Azur. Où l’on constate que Christian est un jaloux qui s’ignorait même s’il affirme ne pas avoir envie de voir la poitrine de sa femme dans la presse trash… Mais un attentat chez Grey Enterprises ramène les tourtereaux sur terre. D’autant qu’Ana reconnaît, sur les caméras de surveillance, Jack Hyde, ancien cadre de la maison d’édition dont elle est devenue l’une des responsables…
Avec Cinquante nuances plus claires, troisième volet de la saga cinématographique à succès tirée des best-sellers d’E.L. James, on peut penser qu’on arrive au terme de l’aventure. James Foley est à nouveau derrière la caméra, Dakota Johnson (Ana) et Jamie Dornan (Christian) évidemment aussi mais on se demande ce qu’ils vont bien pouvoir faire pour nous tenir en haleine. Du sexe, peut-être? Evidemment mais pas trop. Comme Ana et Christian sont amoureux, tout est prétexte à câliner, sous la douche, sous la couette ou dans la voiture. Mais, c’est du côté de la sulfureuse chambre pourpre qu’on les attend. Et là, autant dire que c’est la portion congrue. Bien sûr, il y a de la lingerie noire, des bracelets en cuir, un jouet vibrant et quelques plugs mais rien pour affoler la censure qui n’a même pas interdit, en France, le film aux moins de 16 ans. Ironie, c’est, seule, qu’Ana s’enferme dans la « salle de tortures » quand Christian lui a fait trop de peine. Enfin, on vous le donne en mille, Ana est enceinte et Christian tremble à l’idée de cette paternité qui fera qu’Ana ne sera plus toute à lui… Pour pimenter Cinquante…, on a donc opté pour une touche de thriller. Jack Hyde se montre en effet très menaçant et réveille les ombres du passé de Christian en famille d’accueil. Mais celui-ci peut désormais compter sur une épouse prête à défendre son bonheur comme une lionne…
Bref, la (gentille) romance érotique vire à l’eau de rose et parfois au catalogue touristique avec la virée familiale de luxe du côté d’Aspen. On sourit à la séquence de la crème glacée qui semble sortir tout droit de Neuf semaines et demie et on s’amuse de voir Ana prendre à son compte le jeu SM avec Christian. Mais c’est la maman de Christian qui a le mot de la fin: « S’il n’y avait pas de place pour l’erreur dans le mariage, aucun ne durerait ». On vous rassure, Ana et Christian baignent désormais dans le pur bonheur. Ouf!