Mildred Hayes ou l’impossible vengeance
Elle est teigneuse, exaspérée, entêtée et mal embouchée, Mildred Hayes. Mais cette quinquagénaire a des excuses. Elle a perdu sa fille, violée et assassinée voilà quelques mois. Depuis Mildred rumine sa colère devant l’inefficacité de la police. Alors, dans ce coin perdu du Missouri profond qu’est Ebbing, Mildred passe à l’action. Le long d’une route de campagne où ne passe guère de monde, elle a jeté son dévolu sur trois grands panneaux publicitaires. Voilà longtemps qu’ils sont à l’abandon mais le jeune responsable de l’agence de communication qui les gère, ne voit pas de mal à les louer, pour une année, à Mildred… Et c’est ainsi qu’au fil d’une patrouille, l’agent Dixon va découvrir une mise en demeure de la police d’Ebbing. Des questions censées provoquer la police pour l’amener, disons, à se bouger…
Figure remarquée et décoiffante du théâtre britannique, Martin McDonagh, dramaturge anglo-irlandais de 47 ans, a déjà une bonne dizaine de pièces de théâtre (largement jouées) à son actif mais il affirme préférer le cinéma aux planches. Histoire sans doute de dérouter un peu plus… La filmographie de McDonagh à ce jour n’est riche que de trois longs-métrages. Le premier, en 2008, Bons baisers de Bruges, histoire de deux tueurs à gages irlandais planqués dans la Venise du Nord pour se faire oublier, fut largement salué par la critique. Son second, Sept psychopathes (2012) le fut beaucoup moins mais lui permit de faire tourner Woody Harrelson et Sam Rockwell, tous deux également à l’affiche d’un troisième « long » qui a déjà raflé les Golden Globes du meilleur film dramatique, du meilleur scénario, de la meilleure actrice pour Frances McDormand et du meilleur acteur dans un second rôle pour Sam Rockwell. Et qui pourrait ne pas s’arrêter là dans la perspective des prochains Oscars…
C’est sous le coup d’une manière de vengeance désespérée que Mildred Hayes va donc provoquer un déferlement d’événements de plus en plus incontrôlables en interpellant et en agressant littéralement Bill Willoughby, le chef de la police d’Ebbing. Sur les panneaux, se résume la quête de Midred: « Raped While Dying » (violée et assassinée), « And Still No Arrests? » (et toujours pas d’arrestation?), « How Come, Chief Willoughby? » (Que faites-vous, Chief Willoughby?) ). A partir de cette situation immédiatement tendue, le cinéaste va orchestrer, sur la base d’un scénario ingénieux, une suite de péripéties qui se cristallisent autour de la lutte entre Mildred et les forces de l’ordre. Et peu à peu, même si on peut trouver l’accumulation un rien rocambolesque, les événements vont prendre une tournure parfois digne d’une tragédie grecque…
Si d’entrée de jeu, les trois personnages centraux de 3 Billboards, en l’occurrence Mildred Hayes, Bill Willoughby et l’agent Dixon, semblent dessinés de façon bien carrée, plus le film avance et plus, ces personnages se nuancent. Mildred est déterminée mais complètement brisée. Willoughby est mis à mal par les panneaux mais le policier est surtout marqué par la profonde amertume de ne pas avoir réussi à résoudre l’énigme du meurtre d’Angela Hayes. Et finalement, alors que tout les oppose, ces deux êtres fracassés semblent pouvoir se parler parce que, paradoxalement, ils ont tous les deux raison… Quant à Dixon, quintessence du crétin raciste et bas du front, il montrera, malgré ses faiblesses et ses défauts, des signes de rachat…
Au fin fond du Missouri, Martin McDonagh réussit le portrait sans concessions de l’Amérique profonde autour d’individus qui se demandent quoi faire quand tout espoir est perdu. Avec une remarquable finesse dans le délicat équilibre entre l’humour noir et les émotions à fleur de peau, le cinéaste explore ce qui peut se produire lorsqu’une rage profonde ne peut être apaisée. Pour cela, il s’appuie évidemment sur l’étonnant personnage de Mildred Hayes qui a quelque chose du héros du western classique qui sait qu’il n’a pas d’autre choix que de livrer bataille, même si sa poignante quête de justice doit mettre à rude épreuve la cohésion d’une communauté.
Histoire (portée par les belles compositions du musicien américain Carter Burwell) de personnages très imparfaits recherchant la justice dans un monde impitoyable, Three Billboards Outside Ebbing Missouri (titre original) séduit par un ton décapant et même assez rentre-dedans qui doit beaucoup à des dialogues ciselés. Ainsi lorsque Mildred se déchaîne: « Ma fille Angela s’est fait enlever, violer et assassiner il y a sept mois le long de cette route. Et apparemment, les policiers de la région sont trop occupés à torturer les Blacks pour avoir le temps de faire leur boulot et d’aller arrêter les vrais criminels… Je me suis dit que ces panneaux les feraient peut-être réflechir… En fait, je ne sais ce qu’ils font. Ce que je sais, c’est que le corps brûlé de ma fille repose six pieds sous terre. Et eux, ils s’enfilent des beignets toute la journée et arrêtent des gosses parce qu’ils font du skate sur les parkings… »
Si tous les seconds rôles sont épatants (la mère de Dixon, l’ex-mari ou le fils de Mildred, Anne, la femme de Willoughby, James, l’homme de petite taille amoureux transi de Mildred etc.), 3 Billboards repose évidemment sur trois fameux comédiens. Avec un passionnant personnage de femme battante et jusqu’au-au-boutiste, Frances McDormand, combinaison de travail et bandana sur le front, réussit à rendre totalement palpables les affres d’une femme détruite, parfois mutique, parfois forte en gueule. On se demande régulièrement si elle va rendre les armes mais sa détermination est impressionnante. Woody Harrelson, qui s’impose une fois encore comme l’un des grands comédiens américains, campe Willoughby qui, sous ses allures de plouc, se révèle policier intègre, bon mari, bon père alors même que son avenir personnel est des plus sombres. Enfin l’excellent Sam Rockwell incarne Dixon, abruti parfait, raciste patenté et redneck de la meilleure eau qui ne sait s’exprimer qu’en hurlant ou en frappant et qui, pourtant, grâce au jeu du comédien, a quelque chose d’enfantin, presque de touchant.
3 Billboards, c’est du très bon cinéma. A ne pas rater!
3 BILLBOARDS: LES PANNEAUX DE LA VENGEANCE Comédie dramatique (USA – 1h55) de Martin McDonagh avec Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell, Abbie Cornish, Lucas Hedges, Zeljki Ivanek, Caleb Landry Jones, Clarke Peters, Peter Dinklage, John Hawkes, Sandy Martin. Dans les salles le 17 janvier.