Des coeurs qui balancent…
Le titre du nouveau film de Jérôme Bonnell sonne clairement comme une invitation à se lancer, à jouer, à entreprendre, à courir. On se dirait dans une cour de récré ou dans un jardin, l’été, quand les gamins se préparent à une chasse au trésor… Sinon que, tout au long de cette comédie de moeurs qu’est A trois on y va, le cinéaste montre des personnages saisis, parfois figés, parfois étourdis, toujours déstabilisés par les enjeux amoureux. Ah, qu’il est difficile d’aimer, aurait dit le poète…
Dans une petite ville du Pas-de-Calais, aux maisons de briques rouges, ils sont trois: Mélodie, Micha et Charlotte. Mélodie est avocat, Micha travaille dans une clinique vétérinaire et Charlotte chante, la nuit, dans une boîte. Micha et Charlotte sont en couple. Libre, Mélodie vit pourtant depuis quelques mois un amour intense, même si les choses se passent quand même à la sauvette, avec Charlotte. Et puis voilà, que Mélodie et Micha vont, à leur tour, se découvrir, se humer, s’aimer… « C’est dingue ce qui nous arrive », dira Micha.
Estimant que « l’amour est la seule conviction précise qu’il nous reste dans un monde de plus en plus contradictoire », Jérôme Bonnell organise cette histoire sur le mensonge amoureux en jouant à la fois de la comédie et de la mélancolie. La comédie comme par pudeur pour faire passer la souffrance et la culpabilité qui découlent de l’infidélité. Voici, ainsi, Micha expliquant comment récupérer un reste de savon ou s’inquiétant de la… féminisation des poissons d’eau douce. Voici Mélodie jouant les équilibristes dans une cour intérieure ou « règlant », de manière jubilatoire, un contrôle d’alcoolémie opéré par des policiers…
Mais si la comédie est présente, Jérôme Bonnell ne dévie jamais de son sujet, en l’occurrence un couple qui se trompe avec la même personne sans le savoir… Entre le vaudeville des quiproquos et des portes qui claquent et la vérité des sentiments chère à Marivaux, le cinéaste avance dans une histoire qui pourrait bien être un fantasme puisqu’on y éprouve la liberté de dépasser tous les maux qui altèrent l’amour: le mensonge, la trahison, la tristesse, la jalousie. « Faire naître, dit Bonnell, de la paix là où d’ordinaire surgit le conflit. Une sorte de rêve humaniste. » Mieux encore, si la mélancolie est bien là, le cinéma de Bonnell n’est jamais plombant. Dans leur quête de l’amour, ses héros, s’ils ont souvent les yeux humides de larmes, tentent toujours d’apercevoir l’horizon…
En 2013, Bonnell avait signé le beau Temps de l’aventure, brève rencontre sur un échange de regards entre un Anglais triste (Gabriel Byrne) et une comédienne paumée (Emmanuelle Devos). Il y avait là une émouvante maturité des personnages alors que dans A trois on y va, le trio amoureux (Bonnell a-t-il songé au Truffaut de Jules et Jim?) est dans l’âge de tous les possibles encore. « C’est pas très adulte », entend-on à deux reprises de la part de jeunes gens qui sont au bord d’une vie future sans doute plus dure et plus concrète. Alors en voyant Mélodie tirer les ficelles de ce jeu à trois, en mentant tout le temps tout en étant constamment victime de ce mensonge, on se dit que la part d’enfance n’est vraiment pas loin.
Sans jamais poser de jugement moral, sans questionner le Bien ou le Mal, le cinéaste orchestre une aventure du coeur où Mélodie, Charlotte et Micha s’aiment sans se poser d’autres questions. Et aussi sans être désignés comme hétéro, homo ou bi. En écho d’une passion amoureuse tendre et belle, Jérôme Bonnell a placé une séquence où Mélodie doit défendre un homme accusé d’agression sexuelle et qui tente d’expliquer son acte par un pathétique et lamentable « J’ai voulu faire ce geste comme un couple… »
Dans A trois on y va, on découvre Sophie Verbeeck qui incarne une Charlotte insaississable et triste, moteur de l’inconstance de Micha et Mélodie. Avec son très romantique Micha, Félix Moati ressemble, barbu et frisé, à ces garçons qui peuplaient les films de Pasolini. Et on ne finit plus de se délecter de la compagnie d’Anaïs Demoustier. On l’a vue naguère dans Bird People de Pascale Ferran et Une nouvelle amie de François Ozon. On la verra bientôt dans Caprice d’Emmanuel Mouret et dans Marguerite et Julien de Valérie Donzelli. Ici, elle est une Mélodie qui affirme: « Je suis ridicule. J’angoisse pour un rien » mais qui surmonte finalement son émotivité dans sa liaison secrète avec Charlotte et Micha.
Chez Anaïs Demoustier, on admire le contraste frappant entre l’extrême jeunesse de son visage et la maturité de son jeu. Très paumée dans sa vie sentimentale, sa Mélodie est pleine d’aplomb et de rigueur dans sa vie professionnelle.
Avec elle, on partage cette histoire où l’amour est une douloureuse mais pure offrande et un beau trésor que les personnages emporteront…
A TROIS ON Y VA Comédie dramatique (France – 1h26) de Jérôme Bonnell avec Anaïs Dempustier, Félix Moati, Sophie Verbeeck, Patrick D’Assumçao, Olivier Broche, Laure Calamy, Hannelore Cayre, Claire Magnin, Marcelle Fontaine, Caroline Baehr. Dans les salles le 25 mars.