Bienvenue dans la belle vie
Paul Safranek est un brave type. Pas du tout un redneck, peut-être un électeur de Donald Trump, en tout cas il n’a pas inventé l’eau sucrée mais il est généreux, toujours disponible pour les autres et probablement même un peu exploité par eux. Avec son salaire d’ergothérapeute du travail chez Omaha Steaks, il parvient à peine à joindre les deux bouts et il sait bien qu’il n’a pas pu réaliser les rêves ambitieux de sa femme Audrey. Autant dire que les perspectives d’avenir de ce couple issu de la classe moyenne, âgé d’une quarantaine d’années et sans enfant, sont plutôt moroses.
Dix ans plus tôt, Paul découvrait à la télévision, le scientifique norvégien Jorgen Asbjørnsen et son équipe promettant au monde une solution à son problème le plus préoccupant : la surpopulation. Devant le petit écran, Paul avait fait « Wouah! » et considéré que la miniaturisation cellulaire surnommée downsizing était « plus importante que le premier pas de l’homme sur la lune ». Car, après tout, l’objectif était bien de convaincre, d’ici 200 ans, 6% des hommes et des femmes vivant sur notre planète de réduire volontairement leur taille à 12,9 cm et diminuer ainsi le risque d’une disparition de l’espèce humaine.
C’est en croisant, lors d’une réunion d’anciens élèves, leur vieil ami Dave et sa charmante épouse que le couple Safranek avait pris conscience des avantages du downsizing. S’ils mesuraient désormais 12,9 cm, Dave et Carol menaient aussi une vie de rêve dans la communauté protégée de Leisureland spécialement conçue pour les personnes de taille réduite. De là à partir visiter le site de Leisureland, il n’y avait qu’un pas… Et la visite de Leisureland -dont l’un des slogans est « Ici, l’herbe est vraiment plus verte »- avait tout pour fasciner. Dans ce concentré de ce que le monde réel a de mieux à offrir, les 100 000 dollars dont disposent les Safranek ont une valeur de… 12,5 millions de dollars. De quoi vivre dans le luxe et l’opulence jusqu’à la fin de ses jours. Mais, évidemment, pour Paul et Audrey, il faut accepter d’être rétréci à hauteur de 0,03634% de leur masse corporelle actuelle. Et puis, les souriants commerciaux leur rappellent que le downsizing est irréversible, qu’il y a un (très faible) risque d’échec mortel. Mais, promis, depuis dix ans, toutes les failles du système ont été corrigées. Les voilà donc partants pour une aventure qui devrait bien représenter « la meilleure décision de leur vie ». Les voilà partants. Bienvenue dans la belle vie. Enfin presque…
Avec Downsizing, Alexander Payne propose une comédie dramatique qui balance entre science-fiction et fable écologiste. Dans la première partie, on compatit à l’existence plutôt tristounette de Paul Safranek. Et puis, sur ses pas, on va sauter dans un univers tranquille, propre et aimable où le soleil brille, où la pluie est absente tout comme les moustiques. Une vie nouvelle dans un cadre coloré, avec de superbes et gigantesques maisons qui tiennent pourtant sur un coin de table! Pour un peu, on demanderait les formulaires pour s’inscrire à la prochaine fournée de downsizing…
Mais, pour Paul, tout ne va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Parce qu’elle avait accepté l’idée juste pour faire plaisir à son mari, Audrey a renoncé au programme. Dans son monde clos, Safranek n’est pas heureux. Il vient de divorcer. Son boulot sur une plateforme de télé-vente est sans intérêt. Il vit dans un petit appartement sans grâce et la femme au visage triste avec laquelle il referait bien sa vie, le plante là, un soir où le voisin du dessus fait une énorme et bruyante nouba. En la personne de Dusan Mikovic, le sort va bouleverser le quotidien sinistre de Paul. Invité par son voisin à faire la fête, Paul goûte la danse, la musique à fond, les filles à gogo et se retrouve, au petit matin, le nez dans la moquette… C’est là qu’il reconnaît, dans l’équipe de femmes de ménage venues nettoyer le chantier, Ngoc Lan Tran… La femme de ménage infirme avait fait naguère les gros titres des médias pour avoir été rétrécie contre son gré par les autorités du Vietnam. La dissidente n’avait dû son salut qu’à l’exil et à la fuite dans un emballage de téléviseur…
Tandis que Dusan Mirkovic, play-boy d’origine serbe, lui vante les avantages très lucratifs de son nouveau monde rétréci (un seul cigare Cohiba peut donner… mille pièces et qu’importe s’il est transformé en Albanie plutôt qu’à Cuba), Paul, entraîné par Ngoc Lan Tran qui ne supporte pas la moindre naïveté, va découvrir l’envers du décor. Au-delà du mur gigantesque qui protège le monde « idéal » des downsizés vivent des milliers d’immigrés, entassés dans d’énormes bâtiments. Comme Ngoc, ceux-là n’ont pas d’argent et ils vident les poubelles de Leisureland. Soudain projeté dans l’univers de cette femme pète-sec mais toute dévouée aux autres, Paul -qui tombe doucement amoureux- a l’occasion inespérée d’accomplir de grandes choses.
Par le passé, on avait beaucoup aimé le cinéma d’Alexander Payne. Quand il brossait le portrait de Monsieur Schmidt (2002) et offrait à Jack Nicholson un rôle de retraité dévoré par les doutes. Quand, dans Sideways (2004), il embarquait deux copains amateurs de vins (et de filles) dans les caves de Californie. Quand il lançait un vieil homme sur les routes de l’Ouest américain avec Nebraska (2013) dans l’espoir insensé de récupérer le prix d’une improbable loterie…
Avec Downsizing, on retrouve un Payne toujours attentif aux gens ordinaires. Paul Safranek est touchant quand il rêve d’offrir une belle vie à sa femme et tout autant quand il joue les docteurs pour secourir les protégés de sa nouvelle amie vietnamienne. Toute la première partie qui se déroule à Leisureland et dans l’envers de son décor est bien enlevée et parfois même franchement drôle. On adhère moins au dernier volet du film quand Paul, Ngoc, Dusan et son associé Konrad voguent vers la colonie originelle de Norvège. Et on ne croit pas vraiment aux costauds écolos blonds et barbus formant une manière de secte pour rejoindre un Shangri-La souterrain afin de préserver l’espèce humaine… Mais ce sont les comédiens qui emportent l’adhésion. On retrouve avec plaisir Christoph Waltz en vibrionnant Dusan, Udo Kier (Konrad) qui fut de quelques aventures fassbinderiennes, on découvre Hong Chau qui campe Ngoc. Quant à Matt Damon, il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il incarne des types un peu lourds…
Downsizing est une fantaisie futuriste qui vaut plus par ce qu’elle dit des éternels rêves de l’être humain que par le discours -déjà largement entendu- sur les risques qui menacent la planète et sur les nécessaires remèdes…
DOWNSIZING Comédie dramatique (USA – 2h03) d’Alexander Payne avec Matt Damon, Christopher Waltz, Hong Chau, Kristen Wiig, Rolf Lassgard, Ingjerd Egeberg, Udo Kier, Jason Sudeikis, Maribeth Monroe, Neil Patrick Harris, Laura Dern. Dans les salles le 10 janvier.