La mariée, les princesses et la gamine
MARIAGE.- À 32 ans, Michal est enfin heureuse : tout est prêt pour qu’elle s’unisse à l’homme de sa vie. Un mois avant le jour J, quand Sigi lui avoue qu’il ne l’aime pas, Michal est au bord de la crise de nerfs. Bien décidée à abandonner ce statut d’éternelle célibataire qui lui colle à la peau, Michal décide de poursuivre ses préparatifs de mariage comme si de rien n’était. Elle en est totalement persuadée : elle se mariera le huitième soir de Hanouka. D’ailleurs, elle a la robe, le traiteur, le lieu de la fête… Et, après tout, il lui reste quand même trente jours pour trouver un mari. Mieux, comme Michal est croyante, elle sait que Dieu lui donnera le coup de main nécessaire…
A propos de la genèse de The Wedding Plan (titre… français pour Laavor et Hakir en v.o.), la cinéaste Rama Burshtein explique: « Aujourd’hui, il me semble que ce dont nous manquons vraiment, c’est d’espoir. C’est comme si le désespoir nous attrapait chaque matin. Même lorsque nous sommes aimés, il peut nous arriver de nous sentir désespérés. Et ce balancier entre l’espoir et le désespoir, nous devons réellement nous y habituer car c’est devenu notre quotidien. C’est ce que j’ai voulu dire : trouver l’espoir quand il semble qu’il n’y en a plus aucun. » The Wedding Plan (Israël – 1h50. Dans les salles le 27 décembre) est un film surprenant car, de prime abord, il joue avec tous les standards de la comédie romantique (notamment dans les savoureuses scènes de « rencontres arrangées », y compris avec une pop-star) alors même que l’action se déroule dans un milieu orthodoxe strict…
Très rapidement, on s’attache à ce personnage de Michal parce qu’elle est à la fois pathétique lorsqu’elle est larguée par son prétendant, attachante quand elle tente, avec une constance impressionnante, de trouver l’âme soeur et parfaitement agaçante quand elle tergiverse et ne parvient pas à se décider. Il est vrai que son « programme » est ambitieux: « Je veux aimer et être aimée ». Réalisatrice de 50 ans, née à New York dans une famille juive laïque, Rama Burshtein a décidé de rejoindre, en 1994, l’ultra-orthodoxie juive. Elle s’engage à promouvoir le cinéma comme outil d’expression personnelle dans la communauté orthodoxe. C’est ainsi qu’elle signe, en 2012, un premier long-métrage, Le coeur a ses raisons, qui se déroule dans la communauté hassidique de Tel Aviv et raconte comment la famille aisée du rabbin Aaron est frappée par la tragédie lorsque la fille aînée meurt en couches. La fille cadette est alors poussée par sa mère à épouser le mari de sa soeur décédée. Avec The Wedding Plan qui alterne humour et gravité, la cinéaste revient à nouveau à ce thème du mariage, cette fois pour mettre en scène, dans le cadre de la tradition du culte juif, le désir impératif de Michal de convoler… Pour incarner cette Michal fougueuse et sensuelle, mettant son indépendance dans la balance du mariage, la cinéaste a fait appel à Noa Koler, une pétillante comédienne israélienne qui ne quitte pratiquement jamais l’écran. Au-delà de ses attirances même, Michal se demande si elle peut s’entendre avec un futur mari mais surtout si elle peut le faire… pour toujours.
ENFANCE.-En 1721, une idée aussi audacieuse qu’extravagante germe dans la tête de Philippe d’Orléans qui exerce la régence durant la minorité de Louis XV… Louis a 11 ans et il va bientôt devenir Roi. Un échange de princesses permettrait de consolider la paix avec l’Espagne, après des années de guerre qui ont laissé les deux royaumes exsangues. Philippe d’Orléans ne laisse pas le choix à Louise Elisabeth, sa cinquième fille: elle épousera le futur Louis 1er, héritier du trône d’Espagne. Mademoiselle de Montpensier a alors 12 ans et elle part le coeur serré pour Madrid. Très vite, on la surveille, on l’espionne, on la soupçonne de tous les maux et elle se révèle très rebelle à ce mariage arrangé. Princesse des Asturies, Louise Elisabeth se renferme sur elle-même mais se venge aussi par mille espiègleries et caprices… Dans le même temps, le Régent va donc trouver une épouse en Espagne pour Louis XV. Ce sera l’infante Anna Maria Victoria, âgée de 4 ans. La jeune adolescente et la fillette aux grands yeux ronds se croiseront donc sur le chemin d’une existence non désirée. Abandonnant presque toute sa suite espagnole, Anna Maria Victoria se retrouve à Versailles, entourée d’inconnus français. Elevée par Madame de Ventadour, ancienne gouvernante de Louis XV, la ravissante « petite infante-reine » fait les délices de la cour. La fillette s’ingénie, tout en jouant à la poupée, à plaire à son « mari » qui, bien trop jeune pour s’intéresser à… une poupée, reste toujours sur une réserve boudeuse… Pour la cour, ce fut un déchirement, quatre ans plus tard, de voir l’infante retourner en Espagne lorsque ses fiançailles furent rompues.
Avec L’échange des princesses (France – 1h40. Dans les salles le 27 décembre), Marc Dugain, cinéaste et romancier, adapte le roman éponyme de Chantal Thomas, paru en 2013 au Seuil et auteur notamment, en 2002, des Adieux à la reine. Le metteur en scène d’Une exécution ordinaire (2010) se penche, ici, sur une page peu connue de l’Histoire de France et s’intéresse au sort de deux jeunes princesses sacrifiées sur l’autel des jeux de pouvoirs. Tant Louise Elisabeth qu’Anna Maria Victoria sont des jouets dans des plans politiques qui les dépassent totalement et qui, évidemment, auront raison de leur insouciance… Plus encore L’échange des princesses offre une vision particulière de l’enfance. Alors que, de nos jours, l’enfance se prolonge jusqu’à l’adolescence qui, elle, se poursuit indéfiniment, on découvre des personnages poussés brutalement vers une maturité qui les prive des bonheurs enfantins. Tout en laissant apparaître presque en filigrane le déclin de la monarchie, Dugain signe une oeuvre sombre sur la fin d’un monde où, dans un Versailles en ruine, la mort est omniprésente autour d’un jeune monarque maladroit, méfiant et indécis. La dimension romanesque de cette aventure historique est, elle, portée par les deux jeunes princesses, l’une rayonnante, l’autre résignée après avoir été effrontée… Entouré de talentueux comédiens adultes (Catherine Mouchet, Olivier Gourmet, Lambert Wilson), c’est un remarquable quatuor de jeunes comédiens qui fait le charme de ce film: Anamaria Vartolomei est l’insolente Louise Elisabeth et Juliane Lepoureau la charmante Anna Maria Victoria. Igor van Dessel est excellent en jeune roi et Kacey Mottet-Klein est le fragile Louis 1er d’Espagne.
MOONEE.- Turbulents et insolents, Moonee et son copain Scooty braillent comme des sourds dans un vaste motel, jaune et violet clair, situé, à Orlando, dans la banlieue de Disney World… Gamine au visage tout rond et à la langue bien pendue, Moonee, tout juste six ans, est l’héroïne de The Florida Project (USA – 1h52. Dans les salles le 20 décembre), le nouveau film de Sean Baker, auteur naguère de Tangerine (2015) et considéré comme l’une des valeurs montantes du cinéma indépendant américain. Si le film de 2015 évoquait l’aventure de deux prostituées afro-américaines transgenres, The Florida Project s’intéresse à ces laissés-pour-compte de l’Amérique qui vivent dans les motels bordant l’autoroute 192, l’un des principaux axes menant au parc Disney. Ces motels, qui incorporent dans leur décoration, la mythologie chère au père Walt, étaient, il y a une dizaine d’années encore, pris d’assaut par les touristes. Aujourd’hui, ils abritent des familles en situation précaire. C’est rien de dire que Halley, la jeune mère de Moonee, est dans la mouise. Sans travail, vendant des parfums de contrebande et se livrant à la prostitution, Halley (Bria Vinaite, repérée par le cinéaste par l’intermédiaire d’Instagram) n’est pas franchement préoccupée par l’éducation de sa fillette. Celle-ci a trouvé en Jancey une nouvelle copine pour faire les 400 coups…
Avec cette histoire qui fait parfois songer au début d’American Honey (2016) d’Andrea Arnold, le cinéaste américain se passe complètement d’intrigue. Il se contente de suivre les péripéties de la vie de Moonee et de ses jeunes amis sur ce terrain de jeux qu’est ce complexe hôtelier si mal nommé Magic Castle Motel. Les gamins se bourrent de glaces, de gaufres et de pizzas et alignent les bêtises, allant jusqu’à mettre le feu à des villas à l’abandon… Bien entendu, ce qui fait le charme majeur de cette histoire filmée à hauteur d’enfant (mais qui aurait gagné à être un peu resserrée), ce sont les portraits de Moonee, Scooty ou Jancey, tour à tour irritants et attachants. Pour les incarner, Sean Baker a trouvé en Brooklyn Kimberly Prince, Christopher Rivera et la rousse Valeria Cotto (repérée dans un casting sauvage par le metteur en scène) des interprètes épatants. Sur ces mômes joyeux mais pourtant à la dérive, veille une sorte d’ange tutélaire en la personne de Bobby, le discret responsable du motel. Vu récemment dans le Crime de l’Orient Express, Willem Dafoe hérite, ici, d’un personnage généreux et bienveillant à l’opposé des « vilains » que lui offre (trop) souvent le cinéma… Quant à la dernière scène du film, elle est une magnifique illustration des illusions du rêve américain…