Un balcon arrondi au-dessus de la mer…
Plus sans doute que pour tout autre cinéaste, on a le sentiment réconfortant d’être en pays de connaissance dès qu’on s’installe devant un film de Robert Guédiguian. Parce qu’il y a sa famille, réelle ou choisie, de comédiens, parce qu’il y a le soleil et la grande bleue, parce qu’il y a Marseille au loin, parce qu’il y a le charme intime de L’Estaque précédemment ou de la calanque de Méjean ici, parce qu’enfin, il y a les mots que Guédiguian, depuis toujours, met dans la bouche de ses personnages. Des mots de gauche, des mots de la classe ouvrière, des mots de la nostalgie…
La calanque de Méjean sommeille au creux de l’hiver. Les touristes sont partis depuis longtemps et les cabanons sont fermés. Là-haut, dans la belle villa qu’il a construite de ses mains, avec l’aide précieuse de ses amis, Maurice ne fait plus grand’chose. Il contemple la mer jusqu’au moment où une grosse crise cardiaque le terrasse et le laisse muet. Armand, l’aîné, qui est toujours resté sur place pour reprendre notamment Le Mange-tout, le petit restaurant solidaire ouvert autrefois par Maurice, voit arriver Joseph et Angèle, ses frère et soeur, venus se rassembler autour de leur vieux père…
Avec la finesse dans le trait qui caractérise le meilleur de son cinéma, Robert Guédiguian va poser un regard chaleureux sur cette fratrie amenée, par la force des choses, à observer le chemin parcouru, à mesurer ce qu’ils ont conservé de l’idéal que leur père leur a transmis, à s’interroger sur le monde de fraternité que Maurice avait bâti dans ce beau lieu qui était le théâtre magique de leur enfance… Et le cinéaste marseillais dessine alors de petits portraits bien tournés. Il y a donc Armand qui a repris le flambeau paternel tant au restaurant que dans le maquis au-dessus du village où il nourrit lapins et oiseaux, cultive des légumes pour sa table et entretient les sentiers. « Entre les grandes routes, il faut de petits sentiers », dit-il à Joseph venu avec lui là-haut…
Revenu de la ville, d’une autre ville, Joseph est accompagné de la belle Bérangère dont il convient, lui-même, qu’elle est sa « trop jeune fiancée »… Si Joseph est plutôt amer d’avoir perdu son boulot et surtout d’avoir accepté une confortable prime de départ qui lui lie les mains, Angèle, elle, est en colère. Partie jeune de la calanque, elle n’y a plus jamais mis les pieds, bouleversée par un drame familial dont elle tient son père pour responsable. Angèle a fait une belle carrière de comédienne au cinéma, à la télévision et au théâtre. Même si Bérangère la félicite et si Benjamin, un marin-pêcheur bien plus jeune qu’elle, n’hésite pas à lui déclarer sa flamme, Angèle n’a qu’une hâte: repartir au plus vite…
C’est un Guédiguian bienveillant qui nous invite à entrer dans ce petit univers de la calanque qu’il a voulu semblable à un décor de théâtre avec sa petite crique et ses flots bleus, ses façades colorées qui grimpent le long de la roche rouge sous un grand viaduc où passent, à intervalles réguliers, les trains. Un décor où vont se cristalliser tous les problèmes du monde à travers une fratrie provisoirement réunie dans cette villa dont le balcon arrondi -véritable chef d’oeuvre de Maurice et de son copain Martin- surplombe la mer, telle, se félicitent-ils, une broche au corsage d’une belle femme à l’opéra….
La villa doit beaucoup à ses comédiens auxquels le cinéaste adresse un beau clin d’oeil en intégrant dans La villa, un extrait de Ki lo sa? (1985), un film oublié de Guédiguian dans lequel son cher trio resplendit de solaire jeunesse. Gérard Meylan (qui n’a presque joué que dans les films de son ami Guédiguian) est un Armand plutôt taiseux mais qui sait dire son fait quand il est nécessaire. Gérard Darroussin, second complice habituel du cinéaste, est un Joseph râleur qui affirme « Je plaisante toujours » mais qui avoue que « c’était mieux avant »… Quand à Ariane Ascaride, la muse du cinéaste, elle est encore profondément touchante en mère toujours accablée. Et il faut tout son talent pour rendre crédibles ses amours -un peu cul-cul quand même- avec Benjamin le marin. Mais bon, le plaisir du théâtre passe par là et ces deux-là se réjouissent de dire du Claudel (dans L’échange): « Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c’est ? Il y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées les uns derrière les autres, regardant. Quoi ? Qu’est-ce qu’ils regardent, puisque tout est fermé ? Ils regardent le rideau de la scène. Et ce qu’il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c’était vrai. C’est comme les rêves que l’on fait quand on dort…. »
Et puis il y a aussi Jacques Boudet et Geneviève Mnich, Martin et Suzanne, les voisins de Maurice qui n’arrivent pas à se résoudre, lorsque leur propriétaire augmente le loyer, à accepter l’aide financière de leur fils… Quant à la ravissante Anaïs Demoustier, elle est Bérangère, trentenaire fille de com’, qui incarne l' »autre monde », celui du fric contre celui de la fraternité. Mais l’actrice est assez talentueuse pour lisser le côté assez caricatural de ce choc des cultures. « Quoi qu’il arrive dans le monde, que rien ne change ici », dit un personnage. Mais le monde n’est pas loin. Dans la crique, passe doucement un gros hors-bord avec des promoteurs aux lunettes sombres. Et, dans la garrigue, Armand et Joseph trouvent trois gamins affamés et apeurés, rescapés d’un bateau de migrants. Cette fillette aux grands yeux sombres et ses deux petits frères qui ne se lâchent jamais la main ressemblent étrangement à notre fratrie qui les « adopte » et y trouve des raisons de croire encore un peu à une humaine fraternité…
LA VILLA Comédie dramatique (France – 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, Yann Tregouët, Geneviève Mnich, Maurice, Diouc Koma. Dans les salles le 29 novembre.