Le prêtre, les mots, le sexe, le tennis et l’espion
HUMANITE.- Chirurgien cardiaque réputé, Tommaso, la cinquantaine, est cependant un individu parfaitement odieux et mal embouché. A l’hôpital, il est infect avec le personnel et il lance, sec, à l’épouse d’un patient qu’il vient d’opérer et qui se réjouit: « Les miracles n’existent pas. Je suis juste bon ». Et lorsqu’il rentre chez lui, ce bourgeois romain, très sûr de lui, n’est pas plus tendre avec les siens. Carla, sa femme (Laura Morante), a baissé les bras depuis longtemps et boit en cachette. Bianca, sa fille est une sotte totalement superficielle et vit avec un agent immobilier que Tommaso méprise profondément. Mais c’est surtout Andréa, le fils, qui inquiète ses parents. Est-il gay? Paniquée, la famille se prépare à recevoir la nouvelle mais Andréa va surprendre son monde: il a décidé d’entrer dans les ordres. Complètement athée, Tommaso voit le ciel s’effondrer sur sa tête. Il décide alors d’enquêter sur la vocation d’Andréa et surtout sur le charismatique Don Pietro qu’il soupçonne d’avoir lavé le cerveau de son rejeton…
Joli succès au box-office transalpin, Tout ça pour ça (Italie – 1h27. Dans les salles le 29 novembre) est une agréable comédie rapidement menée et qui met en scène un personnage arrogant mais vide intérieurement qui va devoir se confronter à ses certitudes, se remettre en question, douter avant -on s’en doute- d’accéder à une humanité nouvelle. Bien sûr, Edoardo Falcone n’est pas Pasolini et son Si Dio vuole (en v.o.) n’est pas Théorème (1968). Mais c’est pourtant une famille qui implose, ici, avant, comédie oblige, de se recomposer gentiment. Les comédiens font le nécessaire pour que l’entreprise arrive à bon port. Marco Giallini (Tommaso) et Alessandro Gassmann, le fils du grand Vittorio, se régalent d’un duo qui permet à un athée et à un prêtre de faire un bout de chemin l’un vers l’autre. Et comme Falcone avoue que ses références sont Monicelli, Risi, Germi ou Scola, il s’est offert une joyeuse séquence « familiale » qui fait parfois songer au fameux Affreux, sales et méchants (1976) d’Ettore Scola…
MOTS.- Dans le parcours de Sara Forestier, M (France – 1h38. Dans les salles le 15 novembre) est une histoire au long cours… L’idée du film est venue d’une relation que la comédienne et réalisatrice avait entretenue, il y a plus de quinze ans, avec un garçon dont elle n’a découvert qu’après coup qu’il ne savait pas lire. Faire de cette histoire un film a encore pris bien du temps puisque Sara Forestier a mis huit années à écrire les différentes versions de son scénario. Mais, à l’arrivée, le beau film que voilà! Dès les premières images, on est embarqué dans cette aventure des mots et de la difficulté, parfois, de les prononcer. M s’ouvre en effet au cours d’une réunion où des personnes bègues expliquent les difficultés liées à leur handicap. Parmi eux, Lila qui n’arrive pas à proférer une seule parole tandis que les larmes lui montent aux yeux. C’est cette Lila (incarnée par Sara Forestier elle-même) qui, par hasard, va croiser le chemin de Mo. Il est beau, ténébreux et vit de courses automobiles clandestines. Lila est vite sous le charme de Mo qui, lui, est troublé par cette fille hypersensible et frémissante qui le mange des yeux mais n’arrive pas à lui parler. Lorsque Lila prend un carnet pour s’exprimer en écrivant, Mo se cabre et se défile…
Inspirée par les comédies italiennes d’antan, par Chaplin, notamment pour Les lumières de la ville ou encore par l’atmosphère noire des thrillers, Sara Forestier, pour sa première réalisation, a épuré son histoire pour se concentrer sur le face-à-face épidermique, voire charnel, de Lila et Mo se débattant avec la souffrance et l’autodestruction, la peur et la honte mais aussi la tendresse et le désir. Constamment sous tension, ce film beau et déchirant révèle aussi Redouanne Harjane, découvert dans un casting par la cinéaste, qui donne à son Mo une épaisseur souvent inquiétante mais aussi une véritable fragilité. Dans la rôle de Soraya, la petite soeur de Lila, la jeune Liv Andren fait une composition épatante. Quel plaisir, enfin, de revoir cet acteur inclassable et poétique qu’est Jean-Pierre Léaud…
TENNIS.- A l’orée des années 70, c’est un double combat -personnel et politique- qui s’ouvre devant Billie Jean King… La championne américaine de tennis (elle est alors n°1 mondiale et s’est imposée ou va bientôt s’imposer à l’US Open, aux Internationaux d’Australie, à Wimbledon et à Roland Garros) entre en lutte avec les instances du tennis pour obtenir une égalité de traitement, notamment financier, entre les hommes et les femmes sur les courts de tennis. Devant l’hostilité avérée de Jack Kramer, le patron des tournois professionnels, Billie Jean King va créer la WTA, la Women’s Tennis Association dont elle devient la première présidente. Mais, au-delà de la quarantaine de titres remportés sur les courts, la championne aux grandes lunettes va entrer dans l’histoire médiatique des USA. En effet, Billie Jean King va relever le gant lorsqu’elle sera mise au défi par Bobby Riggs de le battre, raquette à la main. Ancien n°1 mondial au milieu des années 40, Riggs, personnage macho et provocateur, s’est reconverti dans les matches-exhibition. Parieur invétéré, Riggs voit dans cette « bataille des sexes », une occasion de gagner beaucoup d’argent… Mais Riggs déchantera et King l’emportera.
Battle of the Sexes (USA – 2h01. Dans les salles le 22 novembre) mis en scène par Valerie Faris et Jonathan Dayton, réalisateurs notamment de Little Miss Sunshine (2006), explore plusieurs registres comme la lutte pour l’égalité des sexes, l’esprit de compétition (Billie Jean King est, sur le terrain, une « mort de faim ») mais aussi les rapports amoureux puisque la championne va, dans ce début des années 70, rencontrer l’âme soeur en la personne de la jolie Marilyn, une coiffeuse avec laquelle elle va entretenir une longue liaison discrète avant de faire officiellement, dans les années 80, son coming out… Porté par une Emma Stone (La La Land, Birdman, Magic in the Moonlight) à la fois tonique et fragile et par un Steve Carell (40 ans, toujours puceau, Café Society, Foxcatcher) qui cache sous ses côtés extravagants et fantaisistes, une gravité dramatique impressionnante, Battle of the Sexes est à la fois un vrai divertissement et le portrait d’une époque où la société s’apprête à vivre des changements profonds…
KAISER.- En mai 1940, Guillaume II, troisième et dernier empereur allemand, est en exil dans un manoir de Doorn, aux Pays-Bas. Le Kaiser passe son temps à couper du bois, à nourrir les canards du lac et à ruminer sur sa responsabilité dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale… Secrètement, l’empereur se demande s’il retournera un jour à Berlin pour retrouver son trône. Les nazis, eux, gardent un oeil et même deux sur Guillaume. C’est ainsi que le capitaine Stephan Brandt, officier de la Wehrmacht, est chargé de la garde du Kaiser. La Gestapo, qui estime que Guillaume II « représente les dysfonctionnements de la vieille Allemagne », tente de savoir ce que le vieil homme pense réellement d’Hitler et de ses sbires. En arrivant au manoir, Brandt croise Mieke de Jong, une ravissante domestique batave récemment entrée au service du couple impérial. Entre le militaire et la soubrette, c’est un coup de foudre immédiat qui se concrétise d’emblée par une étreinte violente. Mais une nouvelle inquiète les autorités: un agent secret britannique s’est sans doute glissé parmi le personnel du manoir…
Si, pour la partie historique concernant le Kaiser, Trahisons (Grande-Bretagne – 1h47. En e-cinéma sur toutes les plateformes VOD à partir du 30 novembre) relève beaucoup de la pure romance. Car voilà une charmante Hollandaise (Lily James) en mission qui, soudain, perd pied dans les bras musculeux d’un soldat secoué de cauchemars récurrents nés des atrocités qu’il a vu commettre par des SS dans un shtetl de Pologne… Si l’on veut bien croire que le capitaine Brandt (Jai Courtney) est traumatisé, le fait de se conduire de manière à justifier le s du titre du film, semble quand même un peu tiré par les cheveux. Mais, dira-t-on, l’amour est plus fort que tout et Mieke peut ainsi lancer, à propos des nazis, à son amant: « Ils sont la règle. Tu es l’exception ». Si le vétéran Christopher Plummer campe un Guillaume II crédible retrouvant brièvement son humeur d’adolescent grâce à la compagnie de Mieke, le film de l’Anglais David Leveaux mérite le détour pour quelques scènes où, pour tenter de berner le Kaiser sur son hypothétique retour à Berlin, le Reichsführer Himmler déboule pour quelques heures à Doorn. Devant un couple impérial contraint de faire bonne figure face à un monstre nazi, le SS détaille, sur un ton badin, des horreurs commises contre des enfants par des médecins nazis. L’extraordinaire Eddie Marsan campe un Himmler lubrique, mielleux et inquiétant qui fait franchement froid dans le dos…