Marvin ou le théâtre comme un sauvetage
D’un côté, il y a Madame Clément, la principale du collège où Marvin Bijou fait ses études, qui lui dit: « Ce qui est important, c’est ce qui est caché au fond de nous et qu’on ne connaît pas ». De l’autre, il y a la famille où Marvin se fait hurler dessus: « L’autre, pourquoi il est comme ça, avec ses manières de pédé? Pourquoi il nous fout la honte? » Forcément, Marvin devait partir, fuir même, laisser derrière lui son petit village paumé des Vosges. Quitter sa famille, la tyrannie de son père, la résignation de sa mère, les explosions de violence de Gérald, son demi-frère. Fuir l’intolérance et le rejet, les brimades auxquelles l’exposait tout ce qui faisait de lui un garçon « différent ».
Quinzième long-métrage d’Anne Fontaine, Marvin ou la belle éducation est le remarquable portrait d’un jeune homme qui va se battre pour exister avec sa différence. En s’inspirant de En finir avec Eddy Bellegueule, le livre d’Edouard Louis mais sans que son film n’en soit l’adaptation, la cinéaste entraîne le spectateur à la suite de Marvin Bijou qui va devenir Martin Clément pour cristalliser dans un spectacle de théâtre le poids d’un vécu terrible. En soutenant l’idée que rien n’est jamais joué, que rien n’est jamais foutu et que l’on peut transformer les obstacles en quelque chose de fort, Anne Fontaine s’attache au plus près au jeune Marvin et à sa belle gueule d’ange. Comme venu d’une autre planète, Marvin est totalement isolé, pire sa beauté semble exciter la cruauté des autres. Marvin est un objet de sadisme pour ses camarades de classe, un objet de honte pour sa famille. Mais, envers et contre tout, Marvin va se trouver des alliés. D’abord, ce sera donc Madeleine Clément, la principale de son collège qui a l’oeil et le flair pour amener le gamin vers un atelier d’improvisation et le pousser doucement vers le théâtre…
En s’appuyant sur la description du milieu d’origine de Marvin, le film est une belle histoire de rencontres déterminantes qui vont structurer le jeune adulte que devient Martin Clément (il a choisi le nom de la principale pour symbole de son salut) et lui permettre de prendre tous les risques pour créer une pièce qui, au-delà de son succès, va achever de le transformer et même lui permettre de revenir contempler, presque sereinement, les vastes paysages de ses Vosges d’enfance.
En choisissant la forme d’une allégorie poétique plutôt que celle de la chronique sociale sur fond de profonde précarité, en prenant ses distances aussi avec la chronologie ou le naturalisme, Anne Fontaine distille un récit qui fait, avec une jolie fluidité, des allers-retours entre les différents âges de la vie de Marvin, entre l’avant et l’après pour montrer in fine que la souffrance n’a jamais quitté Marvin mais que Martin a réussi à la transcender en lui donnant une théâtralité qui le libère. Le parcours de Marvin est, on l’a dit, jalonné de rencontres. Outre Madeleine Clément qui lui ouvre la porte vers ce théâtre qui le sauvera, ce sera Abel Pinto, le prof de théâtre et le modèle bienveillant (« Si tu es comme moi, fais quelque chose de ta différence ») qui l’encouragera à raconter sur scène toute son histoire. Ce sera aussi Roland, l’homme pressé, rencontré dans un bar gay, avec lequel Marvin va assumer son homosexualité. Ce sera Isabelle Huppert (qui joue ici son propre rôle) à laquelle Roland présente et confie Martin et qui lui donnera la réplique sur la scène des Bouffes du Nord. Et il faut tout le talent d’Isabelle Huppert pour jouer le texte terrifiant de la naissance, on a envie de dire l’expulsion, de Marvin dans les toilettes de la maison vosgienne…
Plus qu’un film sur l’homosexualité, Marvin est une réflexion sur la nécessité absolue pour le jeune garçon de s’arracher à un milieu où découvrir sa sexualité est une aventure de l’extrême, rompre avec la fatalité et avancer vers l’émancipation. La force du film d’Anne Fontaine, qui s’appuie sur un solide scénario de Pierre Trividic et de belles images d’Yves Angelo (dont cette trouvaille qui consiste à projeter l’imaginaire de Marvin sur les murs de sa chambre), c’est d’échapper aux pièges de la satire et au misérabilisme. Car la famille de Marvin Bijou, ce sont des Groseille, version grave. Pourtant Anne Fontaine ne les accable à aucun moment même lorsque Dany, Odile ou Gérald profèrent des propos évidemment inacceptables. Chez ces gens-là, digne de la chanson de Brel, chez ces oubliés aux abois, on est anti-homo comme on est anti-tout. Si l’inculture règne ici, il y a pourtant de l’amour dans cette famille mais personne n’a les mots pour le dire. Et, lorsque Martin Clément reviendra vers les siens, qu’il retrouvera Dany accroché au flanc de son camion-poubelle, c’est de l’humanité qui jaillit. Dany reconnaît le mérite de Martin (notamment parce qu’il passe à la télé) et trouvera les mots pour le dire, Martin relevant: « Tu dis -les gays- toi, maintenant? »
Enfin Marvin ou la belle éducation doit beaucoup aussi à ses comédiens. Finnegan Oldfield (vu dans Les cow-boys ou Nocturama) et le jeune Jules Porier se partagent Marvin et Martin de l’enfance à l’âge adulte et fonctionnent parfaitement dans l’aller-retour entre les époques comme dans l’éveil de la sensualité du corps… Vincent Macaigne est un Abel Pinto tout en nuances et Catherine Mouchet cultive à merveille un mystère et une flamme dans le regard révélés, dès 1986, dans le Thérèse d’Alain Cavalier. Dans le rôle court de Roland,, Charles Berling est remarquable. On découvre Catherine Salée dans le rôle de la mère. Quant à Grégory Gadebois, il est formidable et émouvant en Dany.
Il faut aller faire un bout de chemin avec ce Marvin qui s’est arraché le coeur…
MARVIN OU LA BELLE EDUCATION Comédie dramatique (France – 1h53) d’Anne Fontaine avec Finnegan Oldfield, Grégory Gabedois, Vincent Macaigne, Catherine Salée, Jules Porier, Catherine Mouchet, Charles Berling, Isabelle Huppert, India Hair, Sharif Andoura, Yannick Morzelle, Oscar Pessans. Dans les salles le 22 novembre.