Maryline, de l’ombre vers la lumière
Dans un taxi qui les ramène d’un tournage au bout de la nuit, Maryline et Jeanne Desmarais, la belle comédienne avec laquelle elle vient de partager une scène, parlent des choses de la vie et, bien sûr, du métier de comédien. Et Jeanne raconte à sa jeune collègue que Robert Mitchum disait qu’« une actrice, c’est un peu plus qu’une femme et qu’un acteur, c’est un peu moins qu’un homme ». En attendant, Maryline est quand même au bout du rouleau et loin de tout cela. Le métier de comédienne n’est pas un long fleuve tranquille et les expériences qu’elle a déjà vécues ne sont pas de celles dont on garde le meilleur souvenir…
C’est les pieds dans la boue au milieu d’un champ que quelques femmes, dont Maryline et sa mère, tentent de répandre les cendres du père disparu… Et les mots que prononcent ces femmes ne sont que d’informes borborygmes… Maryline, pourtant, est au-delà de ces bruits. La jeune femme de 21 ans est quasiment enfermée dans le mutisme. Maryline n’a cependant qu’une hâte: fuir cet univers rural aux volets toujours clos pour « monter à Paris » et tenter sa chance comme comédienne. Un départ sans retour? La buraliste lui glisse alors qu’elle va grimper dans le bus: « Ne fais pas comme moi. Ne reviens jamais ».
Après le succès tonitruant de Les garçons et Guillaume, à table! en 2014 (2,8 millions de spectateurs dans les salles et cinq César dont celui du meilleur premier film), Guillaume Gallienne revient avec ce fameux second film qui est, c’est connu, le plus difficile à réussir. En s’appuyant sur l’histoire vraie que lui a racontée autrefois une comédienne, le cinéaste retourne une nouvelle fois dans un monde qui lui est parfaitement familier, celui de la scène et du grand écran. Si Les garçons et Guillaume… était l’histoire subjective d’un acteur en train de se révéler, Maryline conte, cette fois, la trajectoire objective d’une comédienne. Une comédienne et surtout une jeune femme qui souffre d’un handicap invisible. Elle n’a pas les mots pour se défendre alors qu’elle essaye de trouver une place dans un univers cruel… Et l’on comprend aisément que Guillaume Gallienne, brillant homme de mots, ait pu être bouleversé par cette Maryline terriblement fragile et, en même temps, habitée par un désir si fort.
On va donc retrouver Maryline sur un tournage aux prises avec un metteur en scène qui, peu à peu, s’emporte alors que sa comédienne ne parvient pas à donner une réplique qui semble pourtant assez banale. Le cinéaste finit par hurler, presque haineux, contre cette jeune femme de plus en plus tétanisée. Plus tard, c’est comme une humiliation lorsque, dans une scène de lavoir, elle finit dans l’eau du bassin… Gallienne s’offre ainsi sa « Nuit américaine » et montre combien un tournage est stressant à cause de la tyrannie du temps ou de la gestion d’une équipe sur un plateau… Peut-être est-ce parce que le cinéma a souvent montré l’envers de son décor qu’on a le sentiment d’avoir à faire à cet instant avec des stéréotypes, voire des poncifs. Ilan Kaufman, le réalisateur allemand qui martyrise Maryline, apparaît ainsi comme une caricature dans le mélange de violence et de… tendresse à l’égard de sa comédienne désemparée.
Cette réflexion sur l’acteur qu’est le film de Guillaume Gallienne avance ainsi avec des ellipses souvent surprenantes, parfois déroutantes (la mise en abyme du théâtre dans le film), avec aussi des « tunnels » dans un récit qu’on a alors du mal parfois à suivre, avec enfin une vision assez étrange dans la manière de décrire la ruralité d’origine de Maryline. Mais cette chronique d’une héroïne de la modestie a aussi du charme. Cela, on le doit à l’épatante comédienne qu’est Adeline d’Hermy. Passée par le Cours Florent et le Conservatoire national d’art dramatique, la jeune femme de 30 ans a intégré la Comédie Française en 2010 avant d’en devenir la 530e sociétaire en janvier 2016. Même si elle a fait quelques apparitions au cinéma, c’est un visage neuf (de toute façon indispensable pour incarner Maryline) qui éclot ainsi devant la caméra de Gallienne. Adeline d’Hermy est bien la révélation du film et son meilleur atout. La comédienne apporte à ce personnage tout d’un bloc, à cette femme toute de colère rentrée contre la violence du monde, une lumière magnifique. Sa Maryline est à la fois lucide et rêveuse, hypersensible et orgueilleuse, chargée d’une part de pûreté… Après avoir brutalement disparu du monde du spectacle, Maryline est rattrapée par un metteur en scène qui lui demande si elle a envie de continuer et elle de répondre: « Je n’ai pas envie de décevoir… »
Si, dans cette chronique aux accents de conte, on décroche parfois, il y a cependant de vraies moments d’émotion et de grâce… Ainsi, la fin très poétique dans un restaurant autour des mots et du silence mais surtout dans la poignée de scènes que partagent Adeline d’Hermy et une remarquable Vanessa Paradis qui fait songer à la grande Jeanne Moreau. La manière dont Jeanne confie à Maryline son chagrin d’amour ou l’intelligence avec laquelle elle s’occupe d’elle sur le plateau afin de faire éclore cette fille au prénom chargé de mythologie est superbe. Car, lorsque Maryline rencontre la bonté et la générosité, elle devient flamboyante… Et c’est encore Vanessa Paradis qui boucle ce film inégal en chantant Cette blessure de Léo Ferré qui va si bien à la mutique Maryline partie pour aller de l’ombre vers la lumière….
Cette blessure
Comme un soleil sur la mélancolie
Comme un jardin qu’on n’ouvre que la nuit
Comme un parfum qui traîne à la marée
Comme un sourire sur ma destinée
Cette blessure d’où je viens
MARYLINE Comédie dramatique (France – 1h45) de Guillaume Gallienne avec Adeline d’Hermy, Vanessa Paradis, Alice Pol, Eric Ruf, Xavier Beauvois, Lars Eidinger, Pascale Arbillot, Clotilde Mollet, Florence Viala. Dans les salles le 15 novembre.