DEUX ROUQUINES DANS LA BAGARRE
La ville de Bay City est sous la coupe du gangster Solly Casper. Soutenu par l’influent propriétaire du journal local, le riche et intègre Frank Jansen mène une croisade anti-corruption et brigue le poste de maire. Casper a chargé Ben Grace, un petit escroc, d’enquêter sur la vie privée de Jansen afin d’y trouver matière à le discréditer publiquement. Grace apprend que le futur maire est follement épris de sa secrétaire June Lyons, dont Dorothy, la soeur cadette, vient d’être libérée de prison où elle purgeait une peine pour vol. Mais il préfère ne rien révéler à son patron, dont il espère le faux pas qui lui permettrait de l’évincer à la tête du gang…
En 1956, Allan Dwan a 71 ans et une solide filmographie derrière lui quand il met en scène Slighty Scarlett. Le film est passablement ignoré à sa sortie dans les salles avant d’être encensé par la critique et même promu au rang de film-culte par certains. Jacques Lourcelles est de ceux-là qui écrit, dans son Dictionnaire du cinéma: « C’est un film d’auteur à cent pour cent, où l’auteur en question, le vénérable Allan Dwan, chargé d’ans et de merveilles, hollywoodien jusqu’au bout des ongles, ne suit aucune règle, ignore superbement le genre où il travaille, ne respecte que son bon plaisir et marque, en dépit de tout, son territoire dans l’espace de sa mise en scène… »
De fait, Deux rouquines dans la bagarre (un titre français plutôt amusant) est un film noir qui donne assez rapidement le sentiment de ne prêter qu’une attention très relative à son intrigue criminelle pour se focaliser sur deux personnages féminins spécialement enlevés, nés primitivement dans Love’s Lovely Counterfeit (Le bluffeur), un roman de James M. Cain paru en 1942 et adapté pour le cinéma par le scénariste Robert Blees qui donnera au film une ligne dramatique simple et directe. June est incarnée par Rhonda Fleming et Dorothy par Arlène Dahl. Agées de 33 et 31 ans au moment du tournage, ces deux superbes rousses, la première d’origine irlandaise, la seconde d’origine norvégienne, confèrent au film sa qualité première, en l’occurrence d’embarquer le spectateur dans une aventure placée sous le sceau de la sensualité et de l’érotisme. Dans une interview donnée à Peter Bogdanovich, Allan Dwan raconte qu’il avait tout le temps la censure sur le dos… Il est vrai que lorsque l’on observe la scène où Solly Casper (Ted de Corsia) entre dans la pièce où Dorothy, dont on aperçoit d’abord une jambe dressée vers le plafond, s’étire assez lascivement sur un canapé, on convient que Dwan jouait volontiers à cache-cache avec le code Hays.
Même si elles sur-jouent parfois leurs émotions, ce sont bien les deux rousses du titre français qui valent à Slighty Scarlett d’être un film audacieux pour son temps. La « gentille » Rhonda Fleming se promène dans des shorts moulants ou des robes de chambre affriolantes tandis que la « méchante » Arlène Dahl, harponneuse d’hommes (au sens figuré comme au sens propre) débordante de vitalité sexuelle, est tout à la fois kleptomane et nymphomane!
Deux rouquines dans la bagarre est aussi un travail d’équipe puisqu’Allan Dwan travaille, ici, avec le producteur Benedict Bogeaus ou avec le directeur de la photo John Alton. Et pourtant ce film noir… en éclatantes couleurs est plutôt fauché. Le cinéaste a expliqué qu’il agissait en « pirates » avec son chef-décorateur. Ils fouinaient dans les studios à la recherche d’éléments de décor qu’ils arrangeaient ensuite pour leur propre film. Et pour le reste, Dwan masquait les manques avec des… plantes vertes ou des bouquets de fleurs qui apportaient un supplément de couleurs à ces plans. Lorsque, dans le premier plan du film, Dorothy sort de prison, Dwan a simplement tourné sa scène devant la sortie arrière des studios RKO sur la grille desquels il avait fait poser un simple panneau State prison for women!
Dans les suppléments du dvd, Bertrand Tavernier et François Guérif reviennent longuement sur la genèse du film, sur son réalisateur et ses comédiens. On convient, avec eux, que Slighty Scarlett est une somptueuse réussite baroque.
(Sidonis/Calysta)