Le voyageur de goûts
Premier constat: Alain Ducasse ne tient pas en place. De Versailles à Manille, de Hong-Kong à Rio en passant par un coin au milieu de nulle part en Mongolie, la star française (en fait, depuis 2008, il est de nationalité monégasque) de la gastronomie parcourt la planète en portant la bonne parole, en l’occurrence en chantant le bon produit et le bonheur des goûts, des textures, des saveurs.
Grand reporter mais aussi réalisateur et producteur de films de fiction et de documentaires, Gilles de Maistre avoue que la cuisine a toujours été importante dans son milieu. Pendant son enfance, le repas incontournable du dimanche midi était un vrai rendez-vous pour ressouder les liens. Il y a une quinzaine d’années, De Maistre avait participé à une série sur Arte autour des cuisiniers d’avant-garde, ces « alchimistes des fourneaux » que sont Ferran Adrià, Heston Blumenthal ou Pierre Gagnaire… Mais depuis longtemps, le cinéaste caressait l’idée de faire quelque chose de plus ambitieux que tous les docus et émissions de télé. Un projet pensé et réalisé pour le grand écran. Un projet qui avait besoin d’une figure à part… Pendant plus d’un an, le cinéaste a attendu le feu vert d’un chef qui se méfie des images et qui estimait qu’il était inintéressant de faire un film sur lui. Mais la persévérance de Gilles de Maistre a fini par porter ses fruits… Pendant 18 mois, le cinéaste a donc pu suivre partout, mais de manière discrète, le maître-cuisinier pour saisir sa quête, son feu intérieur…
Quelle peut être, s’interroge Gilles de Maistre, la quête d’Alain Ducasse, le petit garçon des Landes devenu aujourd’hui le chef et mentor le plus reconnu de la cuisine dans le monde ? Que cherche un homme qui semble avoir déjà tout ? 23 restaurants dans le monde, 18 étoiles Michelin, Alain Ducasse ne cesse pourtant de créer des adresses qui plaisent à notre temps, de bâtir des écoles, de pousser les frontières de son métier vers de nouveaux horizons. Avec une curiosité sans limite, il sillonne le monde sans relâche, la cuisine étant pour lui un univers infini…
On l’a dit, Alain Ducasse est un prince des casseroles. Et d’ailleurs, La quête d’Alain Ducasse s’ouvre dans un décor digne d’un souverain. Le chef multi-étoilé traverse en effet la fameuse Galerie des glaces du château de Versailles pour aller superviser, en maître de la « gastro-diplomatie », un imposant dîner des ambassadeurs. Mais Versailles, c’est aussi un autre grand projet de Ducasse. Gilles de Maistre montre, tout au long du film, les étapes qui mènent à l’ouverture, le 13 septembre 2016, du restaurant Ore (bouche en latin) dans le pavillon Dufour récemment rénové, dans l’enceinte du château de Versailles. En journée, Ore propose une carte variée avec des classiques de la cuisine française mais aussi des assiettes légères et des pâtisseries. Le soir, le restaurant se privatise pour des dîners, façon festins royaux du règne de Louis XIV…
Et puis, on va suivre Alain Ducasse dans ses « expéditions » au Japon (qu’il visite quatre à cinq fois l’an) où il goûte les plats de la nouvelle carte d’un de ses restaurants. Pour se convaincre que Ducasse est une star, il faut le voir poser pour des photos avec ses clients japonais dont certains sont quasiment en pâmoison. Plus loin, il débarque au Tempura Matsu, un restaurant traditionnel où il déguste, avec des sanglots dans la voix, des mets qu’on devine exquis. Et on mesure aussi que cet homme (qui a le palais parfait) est capable d’aligner cinq repas dans la journée pour se laisser envahir par des saveurs et mémoriser des goûts… « Ma seule quête, dit Ducasse, c’est de goûter des choses que je n’avais pas encore goûté ».
Au fil des déplacements (Etats-Unis, Chine, Brésil) de ce chef qui se veut « marchand de souvenirs uniques et indélébiles », on cerne doucement une personnalité curieuse, volontiers malicieuse, secrète aussi (il évoque brièvement l’accident d’avion dont il fut le seul survivant) toujours en mouvement qui observe que son métier, « c’est 95% de travail, 5% de talent et encore pas tous les jours ».
Si Ducasse n’a pas réussi à convaincre François Hollande de servir un repas « écolo » à la COP 21, il oeuvre pour que les plus démunis puissent accéder à une nourriture de qualité. Ainsi, lors des Jeux olympiques de Rio, son équipe (Ducasse n’est plus aujourd’hui derrière les fourneaux et agit comme porteur de projets et de… passions) a organisé, à l’instigation du chef italien Massimo Bottura, un déjeuner avec les restes récupérés au Village olympique…
Grâce au regard attentif et chaleureux de Gilles de Maistre, c’est un joli voyage que l’on fait dans les pas d’un champion de la gastronomie française. Si le globe-trotteur Ducasse ne livre pas tous ses secrets, ni sans doute ses parts d’ombre, on est frappé de voir un homme qui fait de chaque expérience un tremplin pour grandir, évoluer, aller de l’avant.
LA QUETE D’ALAIN DUCASSE Documentaire (France – 1h24) de Gilles de Maistre. Dans les salles le 11 octobre.