Femmes de pouvoir
L’une est une souveraine d’hier, l’autre est une femme moderne d’aujourd’hui mais toutes les deux se débattent avec le fait d’être une femme confrontée à l’exercice du pouvoir…
En 2006, le Britannique Stephen Frears s’était déjà intéressé à une reine d’Angleterre. C’était, dans The Queen (qui valut un Oscar à Helen Mirren) et à Elisabeth II confrontée à la tourmente provoquée dans la royauté par la disparition tragique de Lady Di. Avec Confident royal (Grande-Bretagne – 1h52. Dans les salles le 4 octobre), Frears raconte, dans les années 1887-1901, l’amitié inattendue entre la reine Victoria et Abdul Karim, un jeune Indien… Parce qu’il est de… grande taille, Abdul, modeste employé aux écritures dans une prison d’Agra, est choisi pour partir en Angleterre afin de remettre à la reine un mohur, en l’occurrence une petite pièce commémorative, à l’occasion de son jubilé d’or. Entre une monarque lasse des contraintes de la Cour et le serviteur peu au fait des us et coutumes royaux, s’installe une improbable mais chaleureuse alliance. « Inspirée de faits réels… pour l’essentiel », précise le générique de Victoria and Abdul (en v.o.) , cette histoire prend les contours d’une jolie fable. Fatiguée de voir défiler têtes couronnées et nobles de tout poil, Victoria, soudain, connaît une nouvelle « jeunesse » au contact d’un bel homme qui lui parle avec la simplicité déférente d’un admirateur, l’initie à l’hindoustani et lui raconte comment, par amour pour sa défunte épouse, l’empereur moghol Shah Jahan fit construite le sublime Taj Mahal…
Réalisateur à la carrière protéiforme (il a touché à pratiquement tous les genres, du polar avec Les arnaqueurs à la chronique sociale avec The Snapper, du drame avec Philomena à la bio de… Lance Armstrong -The Program- en passant par la comédie avec Tamara Drewe), Frears est, ici, à l’aise dans un registre qui associe la tendresse et le coup de griffe. Tendresse pour une reine qui régna 63 ans et dit d’elle-même qu’elle est acariâtre, gourmande, obèse, irascible; une femme qui va reprendre goût à la vie en attendant d’aller prendre place au grand banquet de l’éternité dont lui parle Abdul promu munshi, soit secrétaire particulier et confident spirituel. Coup de griffe pour une cour soucieuse de ses privilèges et empêtrée dans la rigidité de l’étiquette ou une famille royale incarnée par Bertie -le futur roi George VII en tête- qui ne supporte plus de se voir reléguer dans l’antichambre du pouvoir par une mère autoritaire et désormais sous le charme d’Abdul… Pour servir son propos, Frears a trouvé en Ali Fazal, comédien célèbre en Inde, un Abdul doté d’une charmante « beauté romantique ». Quant à la reine Victoria, elle ne pouvait que revenir à Dame Judi Dench. La grande comédienne britannique (oui, c’est elle, M dans les James Bond de 1995 à 2015) avait déjà incarné la souveraine en 1997 dans La dame de Windsor. Vingt ans plus tard, elle reprend donc ce personnage auquel elle apporte, avec panache et humour, ego, intelligence et vivacité d’esprit. Malgré une petite chute de rythme sur la fin, Confident royal est un film tout à fait plaisant et… so british.
Ingénieure brillante et volontaire, Emmanuelle Blachey a gravi les échelons de Theores, le géant français de l’énergie et elle siège, aujourd’hui, au comex, le comité exécutif de l’entreprise où l’on apprécie notamment le travail qu’elle accomplit avec les clients chinois. Un jour, un réseau de femmes d’influence la contacte et lui propose de l’aider à prendre la tête d’une entreprise du CAC 40. Elle serait ainsi la première femme à occuper une telle fonction… Mais, dans un monde économique encore largement dominé par les hommes, le bruit qu’Emmanuelle Blachey pourrait postuler à cette présidence va immédiatement provoquer des réactions, certes souterraines mais néanmoins brutales. Désormais, Emmanuelle Blachey est exposée et si la conquête du poste pourrait bien s’avérer exaltante, elle découvre très vite qu’il lui faudra livrer une guerre où coups bas et vilenies seront inévitables.
Numéro Une (France – 1h50. Dans les salles le 11 octobre) marque le retour sur le grand écran de Tonie Marshall dont on avait baucoup aimé, en son temps, des films comme Enfants de salaud (1996) ou Venus Beauté (institut) en 1999. La cinéaste (qui est toujours, à ce jour, la seule réalisatrice à avoir obtenu, pour Vénus Beauté, le César du meilleur réalisateur) prend donc à bras le corps un sujet qui a souvent défrayé la chronique, en l’occurrence la difficulté pour les femmes d’accéder à des postes importants dans le milieu de la politique, de l’industrie, de la presse. Avec Numéro Une, la cinéaste concentre son propos sur le milieu des affaires et, avec l’aide de Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde, a nourri son scénario de multiples notations comme ces petites humiliations subies au quotidien dans un milieu essentiellement masculin.
Cependant, malgré le talent d’Emmanuelle Devos, le film ne parvient jamais vraiment à nous faire toucher du doigt la violence, certes sourde, voire feutrée, qui préside à ces luttes pour le pouvoir. Ainsi, on reste sur sa faim quand à la réelle action du réseau de femmes d’influence (elles évoquent notamment la part prise par les Francs-maçons mais sans en dire plus…) qui prend en charge la candidature d’Emmanuelle Blachey. Il revient à Richard Berry de donner l’épaisseur à ce séduisant mais odieux tireur de ficelles qu’est Jean Beaumel. Et, à ses côtés, Benjamin Biolay est une âme damnée qui, à force d’être humiliée, ira se vendre au camp d’en face. On suit toutes ces aventures sans déplaisir mais sans non plus parvenir à se passionner. Etrangement, c’est lorsqu’Emmanuelle Blachey, à l’occasion d’une promenade sur la plage de Deauville, se penche sur la plus grosse zone d’ombre de sa vie -la disparition de sa mère- que le film (avec un bel hommage à La nuit du chasseur de Charles Laughton) prend une tournure quasi-fantastique bienvenue.