Max et ses serveurs ne sont pas à la noce
Depuis 2011 et le considérable carton d’Intouchables (19,44 millions d’entrées dans les salles françaises et deuxième plus gros succès de tous les temps au box-office français derrière Bienvenue chez les Ch’tis), le cinéma national a toujours l’oeil sur le tandem Toledano-Nakache. En 2014, Samba, malgré la présence d’Omar Sy, le héros d’Intouchables, nous avait laissé quelque peu sur notre faim. On attendait donc avec une certaine curiosité ce Sens de la fête, nouvel avatar de comédie du duo doré… Bien sûr, les médias ont déjà largement matraqué, promettant ce feelgood movie que tous les spectateurs des salles obscures appellent toujours de leurs voeux sur l’air de « Moi, je vais au cinéma pour me détendre!’
Rassurons donc immédiatement les adeptes de la détente, ils trouveront leur compte dans ce nouvel opus toledano-nakachien qui s’en va fureter dans les coulisses d’une grosse réception de mariage. Max Angeli est traiteur et son expérience au long cours lui a fait connaître à peu près toutes les chausse-trappes qui peuvent se présenter sous les pas d’une équipe chargée, en une petite journée, de recevoir, nourrir et égayer les nombreux invités d’une noce en grandes pompes. Et quand on dit « grandes pompes », c’est précisément le style des organisations de Max Angeli. Avec lui, on ne fait pas dans le petit, le modeste, le low-cost, le bas de gamme. Le sens de la fête s’ouvre d’ailleurs, pré-générique, sur un rendez-vous qui tourne au vinaigre entre le traiteur qui lâche « C’est un mariage, pas une kermesse » et un charmant petit couple qui voudrait négocier le budget de sa future fête…
Cela dit, Max n’est pas franchement heureux. Nicole, sa femme, veut « prendre du recul » et Josiane, sa maîtresse, trouve que ça fait trop longtemps que Max joue sur deux tableaux. De plus, il est encombré d’un beau-frère, Julien, prof de français en arrêt de travail pour dépression… Problème: tant Josiane que Julien font partie de la team de Max.
Au temps des vaches maigres, pour financer leurs courts-métrages, Nakache et Toledano avaient exercé des tas de petits boulots dans le milieu de la fête, dont celui de… serveurs dans des mariages. Ils avaient ainsi connu la pression de ce métier de l’ombre et récolté aussi de multiples anecdotes qui ont enrichi un scénario né pendant le tournage de Samba, film qui s’ouvre d’ailleurs sur un long plan-séquence entre salle et coulisses d’un mariage.
Cela dit, le cinéma, depuis toujours, s’est largement nourri du mariage et de ses rituels. La liste est interminable des films où les noces tiennent une belle place… L’excellente série Blow Up d’Arte liste ainsi un top 5 du mariage au cinéma qui comprend 5×2 (2004) de François Ozon, La famille indienne (2001) de Karan Johar, L’aurore (1927) de F.W. Murnau, Voyage au bout de l’enfer (1978) de Michael Cimino et Hair (1979) de Milos Forman. Avec leur Sens de la fête, les deux réalisateurs français ont choisi le ton de la comédie légère pour un événement où chaque détail est mis en scène, où la lourde organisation implique stress, tensions et mélange d’émotions. Le propos n’est pas, ici, de poser un regard « sociologique » sur les enjeux, côté pile ou côté face, d’une noce mais plutôt de se servir de cette fête volontiers chaotique pour brosser une série de petits portraits joliment dessinés et bien défendus par des comédiens en verve…
Tandis que la cérémonie s’organise, apparaissent donc des personnages comme le photographe (Jean-Paul Rouve, partenaire de longue date des cinéastes puisqu’il joua dans Je préfère qu’on reste amis et Nos jours heureux) chargé d’immortaliser les instants heureux et qui affirme à son stagiaire: « Rien ne remplacera l’argentique! » Un type quasiment has-been qui ne supporte pas de voir, autour de lui, chacun faire des images avec son smartphone… Gilles Lellouche s’amuse à incarner un parfait beauf, en l’occurrence James, chanteur et animateur de la fête avec son Band. Se considérant comme un grand pro, James déchante lorsque le marié (Benjamin Lavernhe, parfait en crétin péteux) lui interdit de faire du Patrick Sébastien et son inoubliable Tourner les serviettes et touche le fond lorsque la mère du marié (Hélène Vincent dans un rôle coquin proche de celui qu’elle tenait dans Marie-Francine) lui réclame du Patachou ou du Jean Sablon. Dans le rôle de l’assistante de Max, on découvre la nouvelle venue Eye Haidara qui compose une Adèle tonique qui n’a pas sa langue dans la poche… Autour d’eux, tournent enfin beaucoup de silhouettes marrantes ou touchantes de bras cassés qui apportent, toutes, leur petite pierre à l’édifice et sur lesquels les cinéastes posent un regard bienveillant.
Pour la bonne bouche, on a gardé évidemment Jean-Pierre Bacri qui réussit une nouvelle fois une belle prestation d’acteur. Bien sûr, on a toujours l’impression que Bacri est en mode automatique quand il joue son sempiternel râleur revêche mais c’est faux. Le comédien, qui aime se faire rare, enrichit Max de multiples petites notations, ainsi ses savoureux soucis avec les textos, sa détresse quand il observe Josiane (la Québecoise Suzanne Clément) batifoler avec un serveur, son désespoir quand il apprend que la viande est bien fatiguée et sa solitude quand toute l’électricité disjoncte dans le château loué pour la noce. Mais Max sait aussi rebondir pour coordonner ses troupes…
On veut bien s’inviter à la noce et lever un verre aux obscurs des coulisses qui oeuvrent pour que, comme le dit un personnage, on puisse « côtoyer le bonheur d’aussi près ». Et tant pis si les feuilletés aux anchois sont trop salés…
LE SENS DE LA FETE Comédie dramatique (France – 1h57) d’Eric Toledano et Olivier Nakache avec Jean-Pierre Bacri, Jean-Paul Rouve, Gilles Lellouche, Vincent Macaigne, Eye Haidara, Suzanne Clément, Alban Ivanov, Hélène Vincent, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla, William Lebghil, Kevin Azaïs, Antoine Chappey, Manmathan Basky, Khereddine Ennasri, Gabriel Naccache, Nicky Marbot, Manickam Sritharan, Jackee Toto, Grégoire Bonnet. Dans les salles le 4 octobre.