Isabelle sur le chemin d’un amour idéal
Pour les cinéastes, il y a des périodes de création et des périodes d’attente. Parce qu’elle trouvait le temps long entre son précédent film et le suivant, Claire Denis a prêté une oreille attentive à une proposition d’Olivier Delbosc qui souhaitait produire une adaptation par plusieurs réalisateurs des fameux Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes… Mais c’est à l’occasion d’une lecture d’un texte de Christine Angot au Festival d’Avignon qu’Un beau soleil intérieur a pris forme. La cinéaste rencontrant la romancière, lui dit: « C’est drôle, j’ai l’impression que je pourrais dès demain filmer ces dialogues, comme ça, sans préparation, sans décors, avec juste une caméra et un preneur de son. C’est tangible pour moi… »
Après un passage par la case du Fresnoy, le studio national des arts contemporains basé à Tourcoing, Claire Denis s’est retrouvée mise en selle pour travailler. Au Fresnoy, la cinéaste et Christine Angot, avec deux acteurs, en trois jours de tournage et une semaine de montage, mirent en effet en scène un film de 45 minutes intitulé Voilà l’enchaînement qui racontait l’histoire d’un couple qui se défait. A partir de là, en s’éloignant complètement de Barthes, Denis et Angot ont entrepris de travailler sur un scénario original tout en conservant l’idée d’un film en fragments. Une oeuvre qui puiserait pleinement dans des morceaux de vies, des fractions d’histoires de la réalisatrice et de la scénariste, dans ces « agonies amoureuses » qui ont déclenché l’écriture…
Divorcée, un enfant, Isabelle cherche un amour. Enfin, un vrai amour. Pour cela, elle va passer par tous les états et tous les sentiments. L’espoir de l’amour, l’attente de l’amour, la déception, la tristesse, voire l’abattement. Elle voudrait rencontrer quelqu’un avec qui elle pourrait être elle. Elle n’est pas sûre que ça va arriver. Quand un homme apparaît, ce pourrait être lui, mais ce n’est jamais lui…
Dès la séquence d’ouverture pré-générique, Un beau soleil intérieur installe le spectateur dans la quête d’Isabelle. C’est un scène d’amour. Isabelle et l’homme sont nus sur un lit. Tout en s’étreignant, ils parlent d’orgasme, de plaisir qui vient vite. L’homme -on sait seulement qu’il est banquier- interroge Isabelle: « Avec ton précédent ami, tu jouissais vite? » Et se prend une gifle. Ils se verront sans doute le week-end. La porte se referme.
Pour Un beau soleil intérieur, Claire Denis a composé un collage d’instants dans la vie d’Isabelle. Tous concernent sa quête d’un amour idéal. On ne saura que très peu de choses sur elle, sinon qu’elle est une artiste reconnue (on la voit peindre brièvement dans une gestuelle lyrique qui ne manque pas de justesse, la comédienne étant elle-même peintre). On la voit contempler une grande photo d’une femme devant un tableau et on apprend qu’une galeriste s’occupe de son travail. On la retrouve aussi, un peu plus tard, à des journées d’art contemporain à La Souterraine. Mais toujours, on en revient à cette recherche de l’amour idéal, ainsi quand Fabrice (Bruno Podalydès) lui suggère de se méfier de Sylvain, ce garçon croisé dans une discothèque creusoise: « Tu lui apportes de la légitimité. Rencontre quelqu’un de ton milieu » et comme Isabelle se rebiffe, d’ajouter: « Vis-le mais n’y crois pas trop. Ne t’implique pas… »
Il en ira ainsi au fil de ce film dans lequel il faut se glisser comme on prêterait l’oreille aux confidences d’une amie un peu à la dérive. Isabelle finira par rompre avec le banquier qui aura ce mot magnifique: « Tu m’enchantes mais j’ai une femme extraordinaire »! Elle passera aussi du temps avec un acteur aussi indécis que bavard et qui « aime mieux ce qui est avant », fera l’amour avec son ex sans y trouver de satisfaction, croisera, devant une poissonnerie du 19e arrondissement, un voisin, Mathieu (Philippe Katerine, au phrasé inimitable) qui lui propose de venir passer des vacances dans sa vaste maison de province ou tiendra la main de Marc qui n’a pas envie de s’inscrire dans une relation avec elle…
Pour incarner cette femme qui voit s’ouvrir sous ses pieds la béance entre ce qu’elle cherche chez les hommes et ce qu’elle obtient, il fallait bien Juliette Binoche. Son Isabelle n’est pas une séductrice dépressive victime d’une addiction qui la tuerait lentement. Claire Denis l’a voulu brune, très femme avec ses cuissardes qui révèlent ses cuisses sous une mini-jupe. Comme un clin d’oeil aux femmes des années 80, sans tabou et avec une forte aura sexuelle, que dessinait Guido Crepax. Avec son bagage de comédienne au long cours (la liste de ses films et des grands metteurs en scène avec lesquels elle a tourné est, on le sait, impressionnante), Juliette Binoche, la cinquantaine purement rayonnante, se glisse avec une parfaite aisance, dans ce personnage qui a choisi d’être du côté du plaisir hédoniste. Une anti-héroïne qui n’ignore pas que si elle veut aller vers de vraies amours, elle en pleurera…
Enfin, Un beau soleil intérieur s’achève sur une étonnante séquence de seize minutes où Isabelle rencontre un voyant… Cet homme massif qui s’exprime avec une lente douceur et manifeste une énergie surnaturelle, c’est Gérard Depardieu. Si cet immense acteur qu’est Depardieu donne parfois le sentiment de s’absenter du cinéma, il offre, ici, un moment de pure fantaisie. Face à une Isabelle toujours dans une attente insoluble, il évoque le grand chemin de sa vie et le beau soleil intérieur qui l’attend avant d’oser un « Ne vous mettez pas la rate au court-bouillon » pour lui conseiller: « Open… Soyez open! L’essentiel, c’est vous… » On en sourit encore!
UN BEAU SOLEIL INTERIEUR Comédie dramatique (France – 1h34) de Claire Denis avec Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Philippe Katerine, Josiane Balasko, Sandrine Dumas, Nicolas Duvauchelle, Alex Descas, Laurent Grevill, Bruno Podalydès, Paul Blain, Valeria Bruni-Tedeschi, Gérard Depardieu. Dans les salles le 27 septembre.