Le prof, le déserteur, la mère et JLG
CLASSE.- Mais quelle mouche a donc piqué François Foucault? Professeur agrégé de lettres au prestigieux lycée Henri IV à Paris, il a eu la « mauvaise idée » de dire devant des représentants du ministre de l’Education nationale, que les professeurs expérimentés devraient mettre toute leur expérience et leur savoir-faire au service des « difficiles » collèges de banlieue. Et voilà que le sémillant quadra, confortablement installé dans une existence douillette, se retrouve, à la rentrée, dans un établissement classé REP+. Autant dire que François Foucault va déchanter face aux questions de pédagogie ou d’égalité des chances dans le système éducatif qu’il n’a pas eu à connaître à Henri IV. Avec Les grands esprits (France – 1h46. Dans les salles le 13 septembre), Olivier Ayache-Vidal signe à la fois son premier long-métrage et une comédie dramatique qui va voir, à son tour, ce qui se passe « Entre les murs ».
Deux pleines années scolaires durant, le réalisateur s’est immergé dans la vie d’un collège de Stains, en région parisienne, pour s’imprégner du fonctionnement d’un établissement, de ses profs et de ses élèves. A l’arrivée, cela donne une oeuvre qui évite toujours de tomber dans les gros clichés et qui distille un vrai charme grâce à la performance de Denis Podalydès. Avec aisance, malice, finesse, le talentueux sociétaire de la Comédie-Française nous fait croire aux aventures de ce bourgeois parisien égaré en rase campagne scolaire. Evidemment, après avoir tenté d’imposer l’apprentissage de la grammaire comme on le fait à Henri IV, le prof mettra de l’eau dans son vin et des goûters dans son emploi du temps. Bref, on sort des Grands esprits avec le sourire aux lèvres. D’abord parce qu’on voit « vraiment » un prof à l’oeuvre dans sa classe. Ensuite, parce que François Foucault, en bon pédagogue, a réussi son coup. Promis au renvoi définitif, le jeune Seydou finira par croire qu’il y a peut-être quelque chose à tirer du travail en classe… Promis à retourner à Henri IV, François Foucault, lui, est passé d’une conception aristocratique de l’enseignement à une conception démocratique où la forme du savoir, la manière de le valoriser et de le transmettre, valent autant que son contenu.
MYSTIFICATION.- Après deux années dans les tranchées de la Grande Guerre, Paul Grappe craque. L’enfer de la mitraille, l’épouvante du sang, il n’en peut plus. Alors, il se mutile en se coupant les premières phalanges de son index, le doigt qui sert à appuyer sur la gâchette. Pire, Paul Grappe déserte… Il se réfugie chez Louise, sa femme, qui le cache dans la cave de la maison de sa mère. Tandis que la police le recherche, Paul ronge son frein. Il veut sortir respirer dans la vie. Alors Louise, qui travaille comme petite main dans un atelier de couture, imagine de le travestir en femme. Paul devient Suzanne. Tandis que la guerre s’achève, Suzanne se délecte des plaisirs vénéneux et envoûtants des années folles. Louise qui aime follement son mari, le voit peu à peu perdre pied au moment où, en 1925, enfin amnistié, Suzanne tente de redevenir Paul.
Sur un scénario de Cédric Anger tiré du livre La garçonne et l’assassin, André Téchiné donne, avec Nos années folles (France – 1h43. Dans les salles le 13 septembre), l’un de ses meilleurs films depuis un bon moment. Le réalisateur de Barocco (1976), Hôtel des Amériques (1981), Ma saison préférée (1993) ou Les témoins (2007) plonge, avec l’histoire du couple Grappe, dans la fameuse période des Années folles qui aspiraient à croquer la vie à belles dents et à goûter à tous les étourdissements. Souvent considérée comme décadente, cette période se caractérise aussi par une transformation des moeurs et une plus grande visibilité de l’homosexualité. Séduit par le trouble qui se dégage de cette histoire de mystification et de métamorphose, Téchiné s’empare d’une matière baroque pour décrire la manière dont la « naissance » de Suzanne va embarquer un couple sur des chemins inconnus. Car désormais, le couple est devenu un trio où Suzanne va passer de la créature magique de conte de fées (celle qui nourrit le spectacle de cabaret consacré à l’aventure des Grappe) à un personnage malheureux et peu à peu monstrueux. Pour servir son propos, le cinéaste peut s’appuyer sur deux excellents comédiens: Pierre Deladonchamps et Céline Sallette…
TRAQUE.- Karla Dyson est au bout du rouleau. Cette mère fraîchement divorcée doit prendre sur elle pour ne pas craquer dans son boulot de serveuse. Et on sent bien qu’elle n’est plus à qu’à deux doigts de balancer café et toasts dans la figure de la pimbêche blonde qui lui pourrit la vie dans son dinner. Heureusement, Karla conserve des trésors d’affection pour Frankie, son petit binoclé de gamin. Avec lui, elle profite enfin d’un après-midi de détente dans un parc d’attraction. Mais un coup de fil (l’avocat de son mari qui l’informe que celui-ci veut la garde de Frankie) l’oblige à s’éloigner un instant. Et voilà que le gamin disparaît… Affolée, Karla repère des inconnus qui font monter Frankie (Sage Correa) dans une voiture. A cet instant, Karla réalise que, sans réaction immédiate de sa part, elle ne reverra jamais son fils… Alors que son téléphone tombe de sa poche, Karla saute dans sa voiture et se lance à la poursuite des ravisseurs…
Présenté en sélection officielle au 43e Festival du cinéma américain de Deauville, Kidnap (USA – 1h35) sort en France exclusivement en e-cinéma et est actuellement disponible sur toutes les plateformes VOD. L’intérêt de ce film d’action aux moyens modestes (il a été tourné en seulement vingt jours) est double. La tension dramatique de Kidnap ne chute quasiment jamais et ensuite, il permet de retrouver une Halle Berry qu’on avait, il faut bien le dire, un peu perdue de vue sur les grands écrans. Son rôle dans A l’ombre de la haine -qui lui valut un Oscar tout à fait mérité- date déjà de 2001. Et son apparition en somptueuse James Bond girl dans Meurs un autre jour remonte à 2002. Bien sûr, on n’oublie pas qu’elle fut aussi Tornade dans les quatre volets de la saga X-Men… Ici, la comédienne de 51 ans, passez-moi l’expression, pète le feu dans un rôle de Mère Courage décidée à ne jamais lâcher le morceau. Elle est présente dans quasiment tous les plans du film de Luis Prieto dont elle est également la productrice et il se dit qu’elle a accompli elle-même un certain nombre des multiples cascades. On sent qu’elle s’est prise au jeu de cette haletante course-poursuite où elle traque de solides et dangereux barjots. Bien sûr, on objectera que le scénario a quelques lacunes (comment se fait-il que la police américaine, généralement efficace, soit si peu présente?) mais on se laisse embarquer dans ce thriller qui, une fois les voitures passablement détruites, bascule, pour finir, dans une Maison de l’horreur propre à quelques frissons supplémentaires…
GODARD.- A Paris, en 1967, Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Il est inclassable, sauvage, impertinent, libre. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez le réalisateur une remise en question profonde. Les événements de mai 68 vont amplifier le processus et et la crise que traverse JLG va le transformer profondément. Il se radicalise et passe de cinéaste star (il a déjà tourné treize films dont A bout de souffle en 1960, Le mépris en 63 et Pierrot le fou en 65) en artiste maoïste hors système aussi incompris qu’incompréhensible…
Avec Le redoutable (France – 1h42. Dans les salles le 13 septembre), Michel Hazanavicius s’est lancé dans une étrange entreprise. Il évoque un moment politique dans la vie du cinéaste (la bascule révolutionnaire) et des instants intimes (l’histoire d’amour avec Anne) tout en jouant sur une esthétique qui doit renvoyer à l’écriture et à la mise en images des films de Godard. Construit en une série de chapitres (Mozart – Mao, c’est du chinois, Enragez-vous, Les liaisons dangereuses, Avec Mao, tout est plus beau, Pierrot le mépris, Sauve qui peut les meubles, Le premier des Mohicans, Tuer Godard), Le redoutable (allusion au sous-marin et à une phrase entendue à la radio et plusieurs fois répétée: « Ainsi va la vie à bord du Redoutable ») va ainsi son petit bonhomme de chemin passant par les grandes manifestations parisiennes de Mai, la présentation par Vilar de La Chinoise à Avignon, le Festival de Cannes 68 qui sera définitivement interrompu par JLG, Truffaut, Chabrol et d’autres, les interventions du cinéaste dans des meetings où il sera hué lorsqu’il lance, à propos de la Palestine, que « les Juifs d’aujourd’hui sont les nazis d’hier » (ou l’inverse)… Le tout étant évidemment parsemé d’aphorismes godardiens (vrais ou faux): « Mozart est mort à 35 ans. Tous les artistes devraient mourir à 35 ans avant de devenir de vieux cons » ou « A quoi ça sert d’avoir inventé le cinéma parlant si c’est pour ne rien dire? » Hazanavicius a confié le rôle d’Anne Wiazemsky à la mutine Stacy Martin et celui de Godard à Louis Garrel qui porte les lunettes sombres du maître de la Nouvelle vague (leur destruction devient un running gag) et s’exprime avec le fameux zozotement… Mais surtout, JLG, fracassé par un slogan de Mai (« Godard, le plus con des Suisses prochinois ») apparaît souvent comme un cinéaste cassant, méprisant, imbu de lui-même et un homme cruel, méchant et froid… On est resté sur notre faim.