Deux frères et sept femmes
FRERES.- Si l’on en croit Teddy Lussi-Modeste, réalisateur du Prix du succès, le mot « cinéma » rend fou. Comme d’autres mots aussi: « musique » ou « football ». Le cinéaste avoue s’être passionné pour une série de faits-divers de ces dernières années: le chanteur Faudel racontant, dans son autobiographie, que sa famille l’avait coulé en lingots d’or ou encore le footballeur Malek Cherrad organisant sa propre disparition avec femme et enfant pour fuir la pression familiale et de citer une vanne de Jamel Debbouze: sa famille ce sont les Ewing de Dallas et lui, le puits de pétrole… Autour de cette question d’un « ennemi intérieur », Lussi-Modeste a construit l’argument de son second long-métrage. Le prix du succès (France – 1h32. Dans les salles le 30 août) raconte l’histoire de Brahim, un humoriste en pleine ascension après une dizaine d’années déjà sur les scènes du stand-up. Alors qu’il sent qu’il doit se renouveler pour progresser encore, Brahim rencontre un agent (Grégoire Colin) qui lui propose de signer un nouveau contrat. Mais, dans ce contrat, Mourad, le frère aîné, celui qui accompagne Brahim depuis les débuts, n’a plus sa place. Brahim le vit mal, d’autant qu’en bon fils, il soutient les siens depuis toujours. Ainsi, il a offert une belle villa à ses parents, ses frères et soeurs et continue à signer des chèques… Dans sa première partie, Le prix du succès plante le décor de l’univers de show-biz dans lequel évolue Brahim. C’est la fête, les copains, les belles voitures mais aussi la communauté familiale qui pèse de tout son poids…
Or Brahim est las, lorsqu’il rentre au petit matin avec Linda sa compagne, de trouver son grand appartement occupé par une bande de crevards et de noceurs autour de Mourad… Brahim doit définitivement se rendre à l’évidence: pour réussir à tracer sa route, il va devoir en finir avec le racket exercé par sa famille. En s’appuyant sur de bons comédiens (Tahar Rahim est un Brahim tour à tour joyeux et troublé, Roschdy Zem incarne avec force un Mourad malheureux, aigri et violent tandis que Maïwenn, dans le rôle de Linda, développe une douceur et une tendresse qu’on ne lui a pas souvent vues ailleurs), Teddy Lussi-Modeste signe une comédie dramatique rythmée et riche en musiques qui questionne le succès. A la fin, Brahim confesse à Mourad qu’il aurait probablement été plus simple d’échouer… Car, observe le cinéaste, celui qui réussit doit affronter un double soupçon: celui de la société dans son ensemble (qui a toujours un peu de mal avec la réussite de ses populations immigrées) et celui de son milieu d’origine qui peut lui faire payer son succès s’il n’obéit pas à ses règles…
GYNECEE.- Bien sûr, le cinéphile qui connaît un peu les films de Clint Eastwood, se dit qu’il a déjà vu ça. De fait, on se souvient de la prestation remarquable du grand Clint dans Les proies réalisé en 1971 par Don Siegel. Eastwood y incarnait l’assez antipathique caporal McBurney, blessé et pris en charge dans un pensionnat sudiste de jeunes filles… Après avoir fait un détour par le 18e siècle avec Marie Antoinette (2006), Sofia Coppola plonge, ici, dans le 19e siècle américain. L’action se passe en 1864, au cours de la troisième année de la guerre de Sécession. Alors qu’elle ramasse des champignons dans la forêt, la jeune Amy tombe sur un soldat nordiste blessé. D’abord apeurée, elle ramène néanmoins le soldat yankee dans le pensionnat de jeunes filles tenue par Miss Martha. C’est sa décoratrice attitrée qui a parlé à la cinéaste du film de Siegel. Après avoir découvert le film, Sofia Coppola a eu l’idée, non point de faire un remake, mais de raconter cette histoire du point de vue des femmes. En cela, d’ailleurs Les proies (USA – 1h33. Dans les salles le 23 août) fait songer à Virgin Suicides (1999), le premier long-métrage de Sofia Coppola, qui réunissait déjà un groupe de cinq jeunes soeurs dans l’Amérique des années 70. Cependant, dans The Beguiled (en v.o.), ce sont des adolescentes et des femmes adultes qui vont se retrouver en interaction et entraînées dans une dynamique de groupe autour d’un homme introduit par hasard dans leur univers clos…
Tandis que les bruits de la guerre résonnent au loin, Miss Martha et ses ouailles vont voir le calme apparent de leur gynécée mis à mal par l’intrusion du caporal yankee. Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, Les proies a obtenu le prix de la mise en scène. Une juste récompense pour Sofia Coppola qui réussit à jouer, tour à tour, sur les enfermements du pensionnat et sur la touffeur des paysages de Virginie. Dans ce double cadre volontiers étouffant, Miss Martha, Miss Edwina et leurs cinq dernières pensionnaires (les autres sont retournées dans leurs familles) vont littéralement tourner autour de ce soldat (Colin Farrell) rapidement ravi de voir toutes ces femmes s’occuper de lui… Et puis, il va devenir cet obscur objet du désir qui va provoquer une profonde déflagration dans le groupe de femmes… Servi par une belle photographie qui joue sur les clairs-obscurs des intérieurs et par une interprétation de qualité (Nicole Kidman, Kirsten Dunst à la silhouette étrangement alourdie ou Elle Fanning), Les proies est un film prenant qui s’offre même, dans sa seconde partie, de frissonnants moments de thriller…