Chouquette, l’ouvrière et la veuve
EXISTENCE.- Tous les ans, depuis trois années, dans sa magnifique propriété de Bretagne, Chouquette organise une grande fête-surprise pour l’anniversaire de Gepetto, son mari. Mais personne ne répond jamais à son invitation, surtout pas Gepetto, toujours marié mais parti ailleurs. Du coup, les feux de Bengale crépitent dans le vide, autour de plats auxquels, évidemment, personne ne touche. Alors Chouquette téléphone. A Gepetto bien sûr mais aussi à sa fille, partie « dans la jungle pour sauver le monde ». Mais on comprend vite que Chouquette parle à des… répondeurs. Pourtant, cette fois-là, on sonne à la porte. C’est Diane, venue de Paris, qui va vite s’apercevoir qu’elle est la seule à avoir répondu à l’invitation. Les deux femmes qui ne s’apprécient que très peu (on découvrira que Diane fut la maîtresse de Gepetto) vont être rejointes par Lucas, le petit-fils de Chouquette, en rupture de colonie de vacances…
Avec Chouquette (France – 1h23. Dans les salles le 2 août), le producteur Patrick Godeau (il a produit Chabrol ou le prochain film d’Amalric consacré à Barbara) passe, pour la première fois derrière la caméra en adaptant le roman éponyme d’Emilie Frèche. Dans de somptueux paysages de Bretagne (on reconnaît le golfe du Morbihan), Godeau réussit le portrait tendre, grinçant mais surtout émouvant d’une femme de la soixantaine qui n’a aucune envie d’être une mamie. Chouquette fait ainsi mine de s’abstraire du monde, buvant de la vodka et s’occupant aussi bien de son luxuriant jardin que de Fuck, son… otarie. L’arrivée conjointe de Diane et de Lucas vont amener Chouquette à se confronter à une réalité qui l’attriste et l’apeure… Parce que Lucas, qui sait tout sur la fin du monde, les trous noirs ou le big freeze, lui lance: « Je voudrais que tu sois morte ». Parce que Diane est aussi venue en Bretagne pour s’occuper de Jacqueline, sa vieille mère narcoleptique. En s’appuyant sur de belles chansons nostalgiques américaines de Dean Martin (dont le beau When You’re Smilling) mais aussi sur Black Trombone de Gainsbourg ou une cantate d’Erik Satie, le cinéaste distille, à travers un road-movie breton, entre terre et mer, une réflexion grave mais jamais dépourvue d’humour tendre, sur l’âge, la vieillesse et la mort. Le futé Lucas, si disert sur l’extinction de l’univers, renvoie Chouquette et Diane à la brièveté de l’existence et à l’urgence de goûter la vie. Au côté d’une Michèle Laroque qui donne une jolie épaisseur à Diane, Sabine Azéma, l’égérie de Resnais, crinière rouge et manteau orange, apporte une profonde humanité à cette « cinglée » de Chouquette, pleine de fêlures et de failles, qui voit doucement le petit nuage noir au-dessus de sa tête faire place à la lumière…
VOYAGE.- « Y font des cartes d’anniversaire qui chantent. Y pourraient faire des boîtes de médicament qui parlent… » Voilà qui donne le ton de Crash Test Aglaé (France – 1h25. Dans les salles le 2 août), road-movie burlesque autour des aventures d’Aglaé, jeune ouvrière employée au laboratoire des tests de crash dans une usine automobile. Lorsque, ce jour-là, Aglaé arrive, en retard, à son travail, elle apprend par ses collègues Liette (Julie Depardieu) et Marcelle (Yolande Moreau) que l’usine va fermer et que l’activité est délocalisée en Inde. A la DRH, on propose un reclassement à Aglaé mais celle-ci préfère conserver son job et se dit prête à partir travailler en Inde. Une envie qui repose sans doute sur son côté tête de mule mais aussi sur son goût pour le cricket, sport qu’elle pratique avec application… Cette décision va alors entraîner Aglaé dans une suite d’aventures plus loufoques les unes que les autres.
Avec Crash Test Aglaé, le réalisateur franco-québécois Eric Gravel signe le portrait, à la fois touchant et loufoque, d’une jeune femme bien singulière qui avoue: « N’en faire qu’à sa tête, ça fait du bien ». Même si sa décision de partir va l’entraîner dans une histoire qui manque parfois de tourner mal. Tout au plus, perdra-t-elle une phalange au sortir d’une décharge où on l’a laissée pour morte. Bien sûr, le film, qui manque hélas de rythme, est aussi une satire de l’économie triomphante, des délocalisations et de la mondialisation galopante. Evidemment, en allant vers l’Inde, Aglaé s’avisera sans peine que la mondialisation n’a pas que des versants magnifiques. Sur les routes qui passent par l’Allemagne, la Pologne, le Kazakhstan, Marcelle puis Liette renonceront au voyage. Aglaé, elle, persistera et ira en voiture, en moto, à vélo, à pied vers son objectif… Parfait anti-héros au féminin, Aglaé doit beaucoup de son charme à l’interprétation d’India Hair, une comédienne qui, même dans ses seconds rôles (Camille redouble en 2012, Brèves de comptoir en 2014, L’astragale en 2015) , se fait toujours remarquer par un jeu détaché et pénétrant. Ici, elle est en tête d’affiche et elle offre à son Aglaé, une jolie poésie têtue…
DESIRS.- Est-elle coupable? Est-elle innocente? C’est tout l’enjeu de My cousin Rachel (Grande-Bretagne – 1h46. Dans les salles le 26 juillet), joli film d’époque et belle variation sur la jalousie et le désir. Dans l’Angleterre du début du XIXe siècle, Philip Ashley, jeune noble anglais, apprend la mort mystérieuse en Italie de son cousin cinquantenaire Ambroise. Anéanti par la disparition de celui qu’il considérait comme son mentor, Philip découvre qu’Ambroise a succombé peu après son mariage secret avec une jeune veuve prénommée Rachel. Pour Philip, torturé par un souci de vengeance, découvrir les véritables raisons de la mort de son cousin devient carrément une obsession. D’autant plus qu’il a reçu une lettre de son cousin lui disant qu’il soupçonne sa femme -« Rachel, mon tourment »- de l’empoisonner…
L’existence du jeune noble va pourtant basculer lorsque Rachel débarque en Angleterre. Car la visite de la veuve d’Ambroise le bouleverse profondément. Cette Rachel qu’il s’apprêtait à haïr de toutes ses forces, lui apparaît comme une femme fascinante à laquelle Philip ouvre d’emblée sa demeure. Avec My cousine Rachel, le cinéaste sud-africain Roger Michell adapte un roman de Daphné du Maurier paru en 1951. Comme avant lui, Alfred Hitchcock avec Rebecca (1940), Michell puise chez la romancière britannique la matière d’un troublant portrait de femme. Car, face à un Philip de plus en plus en perdition dans son attirance, Rachel tire toutes les ficelles. Vénéneuse mante religieuse longtemps vêtue de noir, elle attire et repousse un homme transi de désirs. Et désormais prêt à tout, y compris à faire fi de sa fortune, face à une femme qui joue avec habileté de ses sens en pamoison… Auteur de Coup de foudre à Notting Hill (1999) ou de Week-end royal (2012), Michell signe, ici, une oeuvre sombre qui s’appuie sur des intérieurs opulents et des extérieurs de belle campagne anglaise pour distiller les arcanes d’un drame inexorable placé sous le signe de la passion et de la… fortune. Vue récemment dans Le procès du siècle (2016) et bientôt à l’affiche des nouveaux films de Yorgos Lanthimos (The Favourite) et Olivier Assayas (Idol’s Eye), la Britannique Rachel Weisz incarne, avec une grâce inquiétante, une femme impulsive et manipulatrice, mystérieuse et passionnée…