La mitraille, la peur et les braves de Dunkerque
Depuis que le cinéma existe, il n’a jamais été avare en films de guerre. Sans doute aussi parce que le 20e siècle ne s’est pas privé de conflits et de casse-pipe qui, comme le chantait Brassens, furent longs et massacrants. Avec Dunkerque, le Britannique Christopher Nolan n’évoque pas une page glorieuse de la Seconde Guerre mondiale. En mai 1940, les troupes alliées sont mises à mal par le Blitzkrieg engagée par l’armée allemande lors de la bataille de France. Tandis que la Wehrmacht avance, les armées britannique et française battent en retraite vers le nord de la France. Les autorités militaires britanniques décident alors de l’opération Dynamo, en l’occurrence, du 26 mai au 4 juin 1940, l’évacuation unilatérale du territoire français du Corps expéditionnaire britannique. Des milliers de soldats anglais vont se retrouver sur les plages de Dunkerque, attendant d’embarquer pour rentrer au pays, un pays dont ils pourraient presque voir les côtes ou les falaises…
C’est dans les rues de Dunkerque que s’ouvre cette formidable odyssée guerrière. Tommy, un soldat au visage de gamin, avance doucement tandis que pleuvent des tracts de l’armée allemande: « Vous êtes cernés! Rendez vous! Survivez! » Tommy ramasse quelques feuillets parce qu’il a… une envie pressante. Son fusil enrayé à la main, il erre en quête d’eau ou d’un mégot de cigarette. Mais des tirs de mitrailleuse ne lui en laissent pas le loisir. Autour de lui, des soldats tombent, fauchés par la mitraille. A l’abri de sacs de sable, des soldats français manquent d’ouvrir le feu sur le jeune Anglais… Au coin d’une ruelle, Tommy débouche sur la plage. Le ciel est bleu, la mer aussi. Et immense. Au loin, des rangées d’uniformes s’allongent face à la Manche… Sans presque un mot, cette séquence d’ouverture donne le ton de Dunkerque. Christopher Nolan a choisi de se placer au plus près des soldats pour constamment saisir la peur omniprésente, la fatigue, la soif, l’espoir presque désespéré d’en réchapper.
Pour immerger complètement le spectateur dans cette épopée tragique, Nolan a choisi trois points de vue, clairement désignés: la jetée, la mer, les airs. C’est là que l’action va se passer. Comme un fil rouge, le jeune soldat à gueule d’ange sera là… Transportant, avec un autre soldat paumé, un blessé sur un brancard, il tente de monter à bord d’un destroyer en partance. Mais on le fera descendre. Qu’importe, il se cache dans la structure de la jetée… Plus tard, attendant que la marée monte, il tentera de partir vers l’Angleterre à bord d’un rafiot échoué sur la plage…
Du côté des airs, Dunkerque s’attache à l’aventure d’une poignée de valeureux pilotes de la RAF qui, aux commandes de leur Spitfire, combattent les redoutables Stukas qui mitraillent les soldats anglais sur la plage tout en s’appliquant à mettre hors d’état de nuire les bombardiers de la Luftwaffe qui envoient par le fond des destroyers lourdement chargés de militaires… Enfin, Dunkerque met aussi largement en exergue le rôle déterminant tenu par les little ships. Partie d’Angleterre, un noria de bateaux de pêche, de caboteurs, de navires de plaisance se dirigea vers Dunkerque pour recueillir les soldats et les ramener vers la mère-patrie. Propriétaire du Moonstone, joli bateau en bois, Mister Dawson n’est pas un grand bavard. Il sait simplement qu’il a une mission à accomplir et il est déterminé à la mener à bien malgré tous les dangers.
Projet que Nolan avait envie de mettre en scène depuis longtemps déjà, Dunkerque a tout d’une superproduction hollywoodienne. Un budget de 200 millions de dollars, des acteurs connus (Kenneth Branagh en commander de la Navy, Tom Hardy en pilote de la RAF, Cillian Murphy en trouffion traumatisé, Mark Rylance dans la peau de Dawson), un tournage imposant réunissant des milliers de figurants sur les plages françaises, à Dunkerque même, une réalisation en 70mm Imax et en Super Panavision 65mm pour offrir une image de grande qualité et proposer une projection spectaculaire sur grand écran. Cela dit, peu de salles sont équipées pour ces formats. Il n’en reste pas moins que, même en 35mm, Dunkerque est une oeuvre remarquable. Cela tient au fait que le cinéaste, connu pour son travail sur le fantastique (Memento ou la trilogie Batman) ou la science-fiction (Inception et Interstellar) s’est éloigné des standards du film historique. Son Dunkirk (en v.o.) est un survival doublé d’un film de suspense. La seule question qui importe pour Nolan est de savoir s’ils vont s’en sortir! Ou si les soldats vont périr sous les bombes allemandes, être écrasés par un destroyer en perdition, se noyer dans une cale frappée par une torpille ou mourir brûlés par le gasoil en feu à la surface de la mer…
Pendant une petite heure cinquante, l’intensité ne se relâche à aucun moment. L’aventure -au demeurant peu sanglante et c’est très bien- est simplement palpitante. La menace est partout et, hormis les dangereux points noirs dans le ciel que constituent les Stukas, l’ennemi est toujours invisible. Dunkerque est un film qui tient le spectateur en haleine comme s’il était lui-même en attente sur la jetée, aux commandes d’un Spitfire ou à bord d’une coquille de noix tentant de revenir au pays…
Pour l’Histoire, Dunkerque rappelle que les autorités militaires britanniques pensaient pouvoir extirper 30 à 45.000 soldats anglais du piège dunkerquois. Ce sont finalement 338.226 hommes (dont, quand même, 123.095 soldats français) qui ont pu rejoindre la blanche Albion. Mieux, alors que l’opération Dynamo a bien des allures de « colossale défaite », les rescapés ont été accueillis, sur les quais ou dans les gares, comme des vainqueurs et non comme des vaincus. Au vieil homme qui lui tend une couverture, un soldat glisse: « On a juste essayer de survivre » et celui-ci de répondre: « C’est bien assez ». Churchill modérera les ardeurs en notant que « les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations, si héroïques soient-elles ». Il n’en reste pas moins qu’en 1940, le « miracle de Dunkerque » galvanisa l’Angleterre dans sa détermination à défendre son île contre le Reich hitlérien.
Rejoignant les must du film de guerre que sont, notamment, Apocalypse now (1979), Les sentiers de la gloire (1957), Il faut sauver le soldat Ryan (1998), A l’ouest, rien de nouveau (1930), Capitaine Conan (1996), Démineurs (2009) ou La 317e section (1965), Dunkerque est un très grand film à voir sans délai. Figé dans l’attente sur la plage ou plongé dans l’eau de mer, on partage complètement la trouille des pauvres héros de mai 1940.
DUNKERQUE Drame historique (Grande-Bretagne – 1h46) de Christopher Nolan avec Fionn Whitebread, Mark Rylance, Kenneth Branagh, Tom Hardy, Barry Keoghan, Jack Lowden, James D’Arcy, Cillian Murphy, Anerin Barnard, Damien Bonnard. Dans les salles le 19 juillet.