Le flic, les pompiers, le laitier, la rebelle et le voile intégral
CORRUPTION.- Patrouillant dans les rues du Caire, l’inspecteur Nourredine Mostafa est plus préoccupé par le fait de récupérer de gros bakchich que par la sécurité de la capitale égyptienne… Une nuit, pourtant, le policier est appelé sur les lieux d’un crime. Dans une chambre du luxueux Nile Hilton, on a trouvé le corps d’une jeune femme. Rapidement, il s’avère que la victime est une chanteuse connue. Et que son amant est à la fois député et un important chef d’entreprise proche du gouvernement Moubarak. Mais est-ce bien lui l’assassin? Du côté des autorités de la police, on est prêt à boucler le dossier et le procureur parle même de suicide. Avec Le Caire confidentiel (Egypte – 1h50. Dans les salles le 5 juillet), le cinéaste égyptien Tarik Saleh brosse à la fois le double portrait d’une ville et d’un flic qui, enfin, ouvre les yeux. Nourredine est un taiseux meurtri par la mort de sa femme, un solitaire qui n’a pas d’états d’âme quand il s’agit de prendre partout des pots-de-vin. Fares Fares, comédien libano-suédois vu dans la série Les enquêtes du département V ou dans La communauté (2017) de Tomas Vinterberg, lui a apporte une sombre densité. Devant le grand enfumage organisé par ses pairs et la sécurité d’Etat autour du meurtre de la belle Lalena, Nourredine, opportunément promu colonel, décide de mener l’enquête jusqu’à son terme. Et il met alors le doigt dans un engrenage redoutable ou le chantage est permanent…
Trois jours avant le tournage, les services de sécurité égyptiens ont fermé le plateau. Dévasté, Saleh a été contraint de déménager à Casablanca. Mais le cinéma demeure une belle illusion et on a toujours l’impression (renforcé par des plans d’ensemble sur le Nil ou la tour du Caire) d’être au coeur de la grouillante capitale d’Egypte. Une cité de tous les dangers, ravagée par une corruption galopante et qui s’apprête à vivre, en ce mois de janvier 2011, la révolution qui mettra à terre le régime de Moubarak. A voir!
FEU.- Une sonnerie qui se déclenche, des types qui achèvent d’enfiler leur uniforme en fonçant vers des véhicules rouges, des klaxons deux tons qui résonnent… Avec Les hommes du feu (France – 1h30. Dans les salles le 5 juillet), Pierre Jolivet raconte le quotidien d’un centre de secours d’une petite ville de l’Aude. Le réalisateur de Ma petite entreprise (1999) et de La très très grande entreprise (2008) pourrait presque donner, ici, un documentaire. Il a préféré la fiction en centrant son film sur trois personnages. Roschdy Zem incarne Philippe, le capitaine responsable du centre de secours. Emilie Dequenne est Bénédicte qui arrive dans la troupe pour prendre un poste d’adjoint du capitaine et Michael Abiteboul, sous-officier en poste depuis une dizaine d’années qui supporte mal d’être dirigé par une femme. Autour d’eux, Jolivet va raconter les jours et les nuits d’interventions en tous genres.
Il évoque l’accident de la route mortel où Bénédicte va faire une boulette qui pourrait lui coûter cher mais aussi la vie privée souvent délicate de ces sapeurs-pompiers dont l’existence est complètement sous-tendue par un service exigeant et dévoreur. Bien sûr, il y a des moments de bonheur comme cet accouchement mené, dans une ambulance, par un pompier novice en la matière, instant vite contrebalancé par l’insoutenable vécu de la mort d’un enfant dans une collision routière. Et puis, comme l’action se déroule dans l’Aude, les sapeurs-pompiers interviennent fréquemment sur des feux de garrigue et de forêt. Le cinéaste illustre alors avec force le travail redoutable des hommes du feu non sans évoquer la fascination pour les flammes. Un pompier ose, en voyant l’incendie, un « C’est beau… » que le capitaine reprend: « Oui… mais de loin ». Cinéaste « social », Jolivet a réussi un film-hommage solide et prenant.
BALKANS.- Depuis 2008 et Maradona, portrait baroque et enthousiaste de la star argentine du football, Emir Kusturica n’avait plus tourné de long-métrage, si l’on excepte une contribution à Words with Gods (2012), film collectif sur la spiritualité. Avec On the Milky Road (Serbie – 2h05. Dans les salles le 12 juillet), il accomplit quelque chose qui ressemble à un retour aux sources! Car on a souvent l’impression de se replonger dans les films qui ont fait la réputation du cinéaste serbe, en l’occurrence Papa est en voyage d’affaires (1985) ou Underground (1995), deux oeuvres qui lui valurent chacune une Palme d’or à Cannes ou encore Le temps des gitans (1988) et Chat noir, chat blanc (1998). Même exubérance, même collision entre la fête et le drame, entre les animaux de basse-cour et une musique enivrante avec, ici, une volonté de faire s’entrechoquer une réalité guerrière et un conte onirique et coloré…
Dans la Yougoslavie de 1990, Kosta, modeste laitier, traverse chaque jour la ligne de front, souvent sous le feu des balles, pour livrer les soldats. Bientôt cette dangereuse routine est bouleversée par sa rencontre avec Nevesta, une belle réfugiée italienne. Kosta (Emir Kusturica lui-même) tombe sous le charme de cette femme mystérieuse et traquée incarnée par Monica Bellucci. Mais justement Kosta doit épouser la volcanique Milena alors que Nevesta est promise à Zaga, le frère de Milena, un « héros humaniste ». Commence alors une aventure totalement rocambolesque et fantaisiste où l’on croise des serpents et des moutons qui traversent un champ de mines, où Kosta et Nevesta fuient en plongeant dans les eaux d’un lac… En tournant beaucoup dans de superbes décors naturels, Kusturica mène son histoire tambour battant. Tellement qu’on finit par décrocher en cours de route…
CHINE.- Li Xuelian et son mari Qin Yuhe ont simulé un divorce pour obtenir un second appartement… Mais, six mois plus tard, Qin se marie avec une autre femme. Abandonnée et bafouée, Li se met alors en tête d’obtenir réparation et se lance dans une quête de justice qui va durer des années… Mais la jeune femme n’envisage pas une seconde de baisser les bras devant les terribles pesanteurs de l’administration. Avec I am not Madame Bovary (Chine – 2h18. Dans les salles le 5 juillet), le cinéaste chinois Feng Xiaogang, réputé pour ses comédies noires en prise avec la quotidien de gens ordinaires, adapte Je ne suis pas une garce, un roman de Liu Zhenyun qui pose un regard pessimiste sur la Chine contemporaine… Parce qu’elle refuse d’être une « Pan Jinlian », nom d’un personnage mythologique qui a conspiré avec son amant pour assassiner son mari et qui est utilisé aujourd’hui en Chine pour désigner une femme indigne, infidèle ou débauchée, Li choisit donc de mener une guerre d’usure contre des autorités qui refuse d’annuler son divorce…
Outre la dimension très satirique mais aussi douloureuse du propos et les petits portraits savoureux de petits dignitaires du régime qui s’ingénient à botter en touche, ce qui surprend et séduit dans cette chronique, c’est la mise en images. Feng Xiaogang a adopté, ici, un rare cadre circulaire pour créer une distance et recentrer le regard du spectateur sur l’essentiel… Ce cadre en cercle (que le réalisateur abandonne à la fin pour le panoramique) compose des scènes qui ressemblent à des tableaux peints de paysages… Enfin, la comédienne Fan BingBing, star en Chine et membre du jury cannois cette année, porte sur ses épaules le personnage de Li, femme ordinaire en lutte contre l’Etat…
VOILE.- C’est une belle idée que celle de Sou Abadi pour Cherchez la femme (France – 1h28. Dans les salles le 28 juin), en l’occurrence évoquer la question du voile islamique à travers une comédie doucement grinçante. Armand (Felix Moati) et Leila (Camelia Jordana), étudiants à Sciences Po, forment un charmant jeune couple moderne. Ils projettent de partir à New York pour faire leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais c’est sans compter sur le retour de Mahmoud, le frère aîné de Leila. Après un long séjour au Yémen, il s’est durement radicalisé. Ainsi il s’oppose absolument à la relation amoureuse de sa soeur et décide de l’éloigner à tout prix d’Armand, quitte à l’enfermer dans l’appartement. Pour s’introduire chez Mahmoud (William Lebghil) et revoir Leila, Armand trouve un sacré subterfuge. Il se glisse sous un voile intégral et devient Schéhérazade. Les beaux yeux de la « belle » derrière le voile vont enflammer les sens d’un Mahmoud déstabilisé par le désir. Plus d’autre solution alors que de faire de Schéhérazade son épouse…
Née à Téhéran, Sou Abadi a puisé dans ses souvenirs de jeunesse lorsqu’elle vivait en Iran sous le régime de la République islamique avec son éducation religieuse obligatoire, ses restrictions vestimentaires et ses brigades des moeurs. Son premier film de fiction (qui possède de vrais beaux moments de comédie, notamment avec les parents d’Armand, réfugiés iraniens militants pour la démocratie) a pris le tour d’une fable réconciliatrice. Où, dit la cinéaste, elle se moque d’abord d’elle-même, puis des communistes, des féministes, des Iraniens, de l’élite intellectuelle et des intégristes. Un film amusant mais pas caricatural qui interroge sur des questions qui préoccupent la société d’aujourd’hui, c’est suffisamment rare pour être signalé! Assurément plus subtil que le récent Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?, ce Cherchez la femme mérite le détour.