CHEZ NOUS
Quelques mois avant l’élection présidentielle, Lucas Belvaux avait fait le buzz lorsqu’il fut question d’un film sur le Front national… Les cadors du FN étaient montés d’emblée au créneau pour vouer aux gémonies une oeuvre de fiction dont ils n’avaient évidemment pas vu une image, sinon celles de la bande-annonce… Depuis Marine Le Pen s’est sabordée dans un débat du second tour pas vraiment maîtrisé et Emmanuel Macron est devenu président. C’est donc avec un peu de recul qu’on peut visionner le dvd de ce Chez nous qui s’inscrit pleinement dans le parcours du Belge de 55 ans qui nourrit ses films de fiction de la réalité d’aujourd’hui. De petites histoires de cinéma pour raconter la grande, une société de personnages pour raconter, un peu, l’Humanité.
Film engagé mais pas militant, Chez nous décrit une situation, un parti, une nébuleuse et décortique son discours pour comprendre son impact, son efficacité, son pouvoir de séduction. Pour montrer aussi la désagrégation progressive du surmoi qu’il provoque et qui libère une parole, jusqu’alors indicible. Belvaux expose enfin la confusion que ce discours entretient, les peurs qu’il suscite, celles qu’il instrumentalise…
Evoluant entre Lens et Lille, Pauline Duhez est une jeune femme, infirmière à domicile, qui s’occupe seule de ses deux enfants et de son père, ancien métallurgiste et militant communiste. Dévouée et généreuse, Pauline se décarcasse pour ses patients, souvent âgés, qui l’apprécient et savent qu’ils peuvent compter sur elle. Parce qu’à sa manière, Pauline est populaire, un parti extrémiste, le Rassemblement national populaire, va lui proposer d’être leur candidate aux prochaines élections municipales. Et c’est ainsi que Pauline est contactée par le docteur Berthier, un médecin apprécié de la place, qui va « vendre » aux instances nationales du RNP et à sa patronne, Agnès Dorgelle, cette « fille simple, courageuse, intelligente, sympathique ». D’abord réticente face à la politique (à laquelle, dit-elle, « elle ne comprend rien »), Pauline se laisse séduire par l’idée que la politique n’est pas un métier mais une question d’engagement, d’honneur et de service des autres. Le souci, c’est que Pauline a rencontré, par hasard, Stéphane, un béguin de jeunesse et qu’elle n’est pas du tout insensible à ces retrouvailles amoureuses. Pour Berthier, dont le sombre passé d’extrême-droite, va soudain affleurer, les amours de Pauline et de Stéphane sont un mauvais coup d’autant qu’Agnès Dorgelle a déjà annoncé publiquement la candidature de Pauline. Alors, entre Berthier et Stéphane qui se connaissent bien et en savent trop l’un sur l’autre, commence un jeu dangereux et possiblement violent…
Contrairement à ce que l’on nomme les « fictions de gauche », Chez nous n’est pas un dossier à charge. Lucas Belvaux ne dénonce pas. Il essaye de comprendre comment fonctionne le parti d’extrême-droite, comment il polit son discours pour qu’il soit « acceptable » tout en emboîtant le pas de Pauline qui tente de suivre son propre cheminement au sein de cette pensée stratégiquement très au point. Pour cela, au risque même d’une certaine empathie, le cinéaste se garde de montrer des « bons » et des « méchants ». Il agit « démocratiquement » (sans pour autant masquer son point de vue) en laissant au spectateur la liberté de se construire sa propre opinion.
Enfin Belvaux, en s’appuyant sur la riche documentation disponible sur internet à propos de la « fachosphère », réussit de beaux portraits autour d’une Pauline (excellente Emilie Dequenne) qui se blondit pour entrer dans le moule de la parfaite candidate propre sur elle. On savoure rapidement le personnage incarné par Anne Marivin, enseignante qui, soudain, se lâche et lance un « On va tous les niquer » lourd de sens même si elle sait pas clairement qui elle veut niquer. Avec les personnages d’André Dussollier et de Guillaume Gouix, on mesure les problèmes de respectabilité de l’extrême-droite. Berthier, figure de la vieille droite maurassienne qui estime que le parti « n’a jamais été aussi proche du pouvoir » tout comme Stéphane, nervi néo-nazi, ne représentent pas un problème idéologique mais font simplement tache sur la photo. Mais ils peuvent y revenir à condition de « changer de costume ». L’un l’a fait, l’autre pas. Catherine Jacob, elle, incarne moins une caricature qu’un écho de Marine Le Pen mais on imagine volontiers que cette représentation fasse grincer les dents au FN.
Chez nous est un film qui mérite assurément le détour. C’est du cinéma solide et un objet politique qui entend dévoiler la supercherie qu’est le populisme.
(Le Pacte)