LOVING
Avec Loving, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes (mais resté bredouille au palmarès), Jeff Nichols s’attache à une affaire judiciaire qui a marqué l’Amérique. Le 12 juin 1967, les sages de la Cour Suprême des Etats-Unis, à l’unanimité, ont en effet rendu une décision historique en déclarant l’intégralité des lois interdisant les unions mixtes anticonstitutionnelles et en violation du 14e amendement (garantissant que la liberté de choix de se marier ne soit pas resteinte par des discriminations raciales). Le président de la Cour, Earl Warren, rédigea l’arrêt suivant: « En vertu de notre constitution, la liberté d’épouser ou de ne pas épouser une personne d’une autre race relève du choix individuel et ne peut donc être limitée par l’Etat ».
Mais le cinéaste de Take Shelter (2011) et de Mud (2013) a choisi de ne pas faire le « film de prétoire » auquel aurait parfaitement pu se prêter le dossier « Loving contre l’Etat de Virginie ». Ce qui intéresse Nichols, c’est la sérénité tranquille d’un couple qui doit faire face au racisme et à la ségrégation. Or si Richard et Mildred sont sereins, c’est parce qu’ils s’aiment d’un amour extraordinaire et magnifique. C’est la pureté de cet amour qui est au coeur de Loving. Le cinéaste va alors détailler les obstacles qui se dressent sur le parcours du couple dans l’Amérique ségrégationniste de 1958. Face aux embûches, aux vexations, à une loi inique, les Loving montrent une impressionnante détermination. Parce qu’ils sont habités d’une double certitude: la force de leur amour et le droit de vivre à l’endroit où ils sont nés.
A cet instant, Loving prend les allures d’une pastorale. Nichols filme, en plans larges, une nature verte, paisible, lumineuse, personnage à part entière d’un récit intimiste qui montre aussi une communauté où Noirs et Blancs, réunis par la même pauvreté, cohabitent sans heurts. Ainsi, Richard entraîne Mildred, à bord de sa grosse Ford Victoria, sur un chemin de campagne et s’arrête pour lui montrer un champ. Il vient de l’acheter pour construire leur maison… Mais, pour cela, il faudra aux Loving franchir bien des étapes. Car il est dur d’entendre un juge proclamer: « Dieu tout-puissant a créé les races blanche, noire et jaune et rouge, et les a placées sur des continents séparés. Et si l’on ne vient pas perturber Son ordonnancement, il n’y a aucune raison pour que ce type de mariage existe. Car s’Il a ainsi séparé les races, c’est parce qu’il n’avait pas l’intention qu’elles se mélangent ». Mais Richard et Mildred n’ont rien à faire que « le moineau et le rouge-gorge ne se mélangent pas ».
Pour la première fois avec Loving, Jeff Nichols travaille sur une intrigue dont il n’est pas l’auteur. Il trouve pourtant, notamment lorsqu’il évoque la nature et les relations entre les personnages, le ton élégant et la mise en scène limpide qui faisait le charme du sudiste Mud. Surtout, il a pu s’appuyer sur une paire d’acteurs épatants. L’Australien Joel Edgerton incarne un maçon taiseux dont le visage, sous des cheveux blonds en brosse, peut se fermer complètement puis s’éclairer d’un mince sourire plein de tendresse. Pour interpréter Mildred surnommée Brindille, Nichols a découvert Ruth Negga, une comédienne éthiopienne par son père et irlandaise par sa mère. D’abord timide et fermée, sa Mildred va peu à peu se transformer, sinon en militante, du moins en femme décidée à faire entendre sa voix et son droit.
Il y a comme une évidence dans le cinéma de Jeff Nichols. Son Loving pourrait être un film militant. C’est un mélodrame superbe.
(Studiocanal)