L’homme de pouvoir, la détresse et la vigne
Antoine Lecomte est un homme de pouvoir. Sûr de lui, arrogant limite odieux. Il dirige une chaîne de télévision où il est plus craint que respecté… C’est à l’occasion d’un combat de boxe que l’on découvre le personnage au bord du ring, entouré de ses proches collaborateurs et d’une charmante jeune femme. S’il se trompe sur son prénom, il l’accompagnera quand même chez elle au bout de la nuit. Mais Antoine Lecomte sera pris d’un malaise qui lui écrase la poitrine. Derrière lui, on remarque l’affiche du film inachevé d’Henri-Georges Clouzot L’enfer. Un indice? Sans doute. Mais, revenu chez lui, Antoine Lecomte remet vite son costume sombre de type parano, pervers et misogyne lorsqu’il découvre que Solange, sa compagne, écrit un roman où il croit se reconnaître sous des traits très déplaisants…
Avec K.O, Fabrice Gobert signe son second film pour le cinéma après Simon Werner a disparu… (2009) Mais le cinéaste est connu surtout comme créateur et réalisateur (pour 13 des 16 épisodes) des deux saisons de la série Les revenants diffusée sur Canal+ en 2012 et 2015. Si la première partie de K.O (France – 1h55. Dans les salles le 21 juin) est réaliste, on n’est donc pas surpris que Fabrice Gobert emporte la suite vers un fantastique angoissant. La première partie du film plonge le spectateur dans l’univers impitoyable d’une chaîne de télévision. Tout en haut de la pyramide, des hommes de pouvoir qui songent avant tout au bien-être de leurs actionnaires. Tout en bas, les soutiers qui font tourner la machine et s’appliquent à ce que la chaîne fasse la meilleure audience. Entre les deux, les têtes connues, celles que l’on voit à l’écran mais qui ne sont pas mieux loties, malgré leur exposition, que les soutiers. Tout peut s’arrêter très vite pour ces vedettes. Fabrice Gobert et sa co-scénariste Valentine Arnaud connaissent bien ce milieu pour y avoir longtemps travaillé.
K.O est alors un thriller social rondement mené sur la violence au travail, les rapports de pouvoir (à Dina, son assistante qui souhaiterait progresser dans l’entreprise, Antoine lance: « Ne demandez pas! Obtenez! »), le mépris, l’incapacité pour certains de se mettre à la place de l’autre. « Je n’aimerai pas que vous explosiez en plein vol, Antoine » lui lance son président. De fait, l’homme de pouvoir va complètement perdre les pédales. Sa vie devient un cauchemar qui l’amène dans les geôles d’un commissariat où son arrogance n’a plus lieu d’être… Qu’est-ce qui est « réel » et qu’est-ce qui est de l’ordre du fantasme? Antoine Lecomte a-t-il été victime d’un coup de feu tiré par un animateur qui craint d’être mis au rencart? A moins que son séjour à l’hôpital s’explique par une crise cardiaque…
Si le spectateur a parfois, grâce à des indices, une longueur d’avance sur Antoine Lecomte, il a souvent une longueur de retard sur lui. Et alors, le malheureux spectateur s’y perd sérieusement. Ne lui reste plus qu’à s’accrocher aux basques d’un personnage, lui-même largué, auquel Laurent Laffite, omniprésent à l’image, apporte une solide prestance aussi bien en patron antipathique qu’en épave cabossée devant lequel les portes se referment… Et le sociétaire de la Comédie française est, de plus, bien entouré par Chiara Mastroianni (Solange), Clotilde Hesme, Pio Marmaï ou l’excellente Zita Hanrot découverte dans Fatima (2015)…
Le cinéma roumain est plutôt denrée rare sur les écrans français même si on y a fait de fameuses découvertes… Ce fut le cas avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu lauréat en 2007 de la Palme d’or cannoise ou encore avec Baccalauréat du même Mungiu, prix de la mise en scène toujours à Cannes en 2016 où l’on vit aussi Sieranevada de Cristi Puiu. C’est à Berlin que Calin Peter Netzer, lui, s’est imposé à Berlin en 2013 ou l’âpre Mère et fils remporta l’Ours d’or de la Berlinale. Le cinéaste de 42 ans revient avec Ana, mon amour (Roumanie – 2h05. Dans les salles le 21 juin), un drame centré sur un jeune couple… Toma (Mircea Postelnicu) et Ana (Diana Cavallioti) sont étudiants. Dans leur chambre, ils discutent longuement de Nietzsche et de la morale de l’homme esclave tandis qu’à côté, un couple fait bruyamment l’amour. Tout en tripotant le bord de sa robe, Ana ose: « Je crois qu’elle simule! ». A leur tour, Toma et Ana laisseront leurs corps exulter mais la jeune femme se sent très vite oppressée, la respiration haletante… Netzer s’attache alors à filmer le combat de Toma pour comprendre comment l’ineffable, l’inconscient et l’impalpable régissent sa vie. « Je pense que c’est important que vous compreniez pourquoi vous êtes resté avec Ana » dit son psychanalyste. C’est moins le délitement du couple Toma/Ana que l’impossibilité pour eux de construire correctement leur relation qu’observe le cinéaste dans de longs plans-séquences où les amoureux agissent comme des vases communicants, se nourrissant l’un l’autre de leurs propres besoins insatisfaits. Dans tous ses films, Calin Peter Netzer aime à observer, notamment dans des séquences de psychanalyse, ce qui dysfonctionne… Avec Ana mon amour, le dysfonctionnement est long, pénible, douloureux. Et le spectateur a, lui aussi, du mal à se remettre de l’expérience.
Quand on parle du vin, des mots comme alchimie, magie, culture et passion reviennent souvent… On se dit alors qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un cinéaste s’intéresse à un tel sujet… D’autres (Alexander Payne avec Sideways en 2004 et bien sûr Jonathan Nossiter avec son documentaire Mondivono en 2004 également) avant Cédric Klapisch se sont essayés à décrire cet univers. Mais très peu ont tenté d’approcher justement le passage des saisons, le travail de la vigne, ses gestes ancestraux, le moment si particulier des vendanges mais aussi la manière dont un domaine familial fonctionne avec ses hauts et ses bas, ses doutes, ses interrogations jusqu’au meilleur jour pour lancer les vendanges.
Voilà une dizaine d’années, Jean a quitté sa famille et sa Bourgogne natale pour faire du tour du monde. Aux antipodes, sur une autre terre de vin, il a posé son sac, trouvé une femme et eu un fils. Mais, en apprenant la mort imminente de son père, Jean décide de revenir sur la terre de son enfance. Là, il retrouve sa soeur Juliette et son frère Jérémie. Eux ne sont jamais partis et ont mené -souvent difficilement- la barque du domaine familial…
Initié aux vins de Bourgogne par son père, le réalisateur de la fameuse trilogie L’auberge espagnole (2002), Les poupées russes (2005) et Casse-tête chinois (2013) ne pouvait sans doute planter sa caméra nulle part ailleurs que vers Puligny-Montrachet, Meursault et Pommard où se trouvent d’ailleurs les deux cerisiers qui, au coeur des vignes, scandent le passage du temps et le cycle des saisons. Sous la forme d’une chronique qui prend son temps mais qui est aussi précise (Jean-Marc Roulot, vigneron et… acteur, y est pour quelque chose) Ce qui nous lie (France – 1h53. Dans les salles le 14 juin) se concentre sur trois jeunes adultes qui vont devoir assumer la transmission familiale. Pio Marmaï, décidément incontournable (il est aussi dans K.O ci)dessus), semble sortir de l’Auberge espagnole ou plus probablement tant il paraît appartenir à la galerie des personnages chers à Klapisch. Son Jean est à la fois fort et torturé alors que son jeune frère Jérémie (François Civil) subit plutôt les choses de la vie, embourbé qu’il est dans sa relation difficile avec un beau-père, grand propriétaire terrien, qui a des vues sur le domaine de la fratrie. Et puis, il y a Juliette, une fille dans un monde d’hommes mais qui s’impose pourtant par sa forte personnalité et par sa connaissance du métier. Ana Girardot lui apporte une grâce et une force bienvenues. Premier film où Klapsich filme aussi intensément la nature, Ce qui nous lie est un film d’amitié, de famille, de convivialité. Un film de mystère aussi comme dans cette scène où Juliette, Jean et Jérémie goûtent un vin en parlant des efforts, de la pensée et de la vie contenus dans leurs verres. Comme si lorsqu’on met du vin en bouteille, on y met aussi de l’humain…