Jeu de massacre à l’entrepôt
« Bouge ton cul, enfoiré! » Nous sommes à bord d’une vieille camionnette pourrie qui brinquebale dans la nuit. A bord, Stevo est bien amoché. « T’as pas un analgésique? » demande-t-il à Benny, le chauffeur qui lui lance: « J’ai de l’héro ». Ca fera l’affaire… Le véhicule s’arrête dans un coin sombre, juste à côté d’un entrepôt. C’est là que doit se dérouler une transaction évidemment illégale. Tout le monde est plutôt tendu. Et si la belle Justine bossait en douce pour le FBI? En fait, dit-elle, elle travaille pour le JBPM. Comprenez « Je bosse pour moi ». Quant à Stevo, il aimerait bien que Justine lui prête son fond de teint pour arranger un peu son vilain coquard… Ord, lui, veut fouiller tout le monde pour être sûr qu’il n’y a pas de micros qui traînent. Au passage, il balance lourdement sur Stevo et Benny, traités de « tarlouze » et de « débile ». Mais, revenons aux affaires sérieuses: Chris et son ami Frank sont venus acheter des fusils d’assaut. Vernon, lui, a apporté des caisses. Renseignements pris, ce ne sont pas les M16 que Chris attendait. Mais Vern estime que ses AZ70 feront parfaitement l’affaire…
Après avoir tourné plus d’une centaine de pubs et de vidéos virales, le cinéaste britannique Ben Wheatley s’est fait remarquer en 2011 avec Kill List, un premier long-métrage d’horreur où deux amis au bout du rouleau acceptent un contrat et une liste de noms. Des gens à éliminer et une descente aux enfers de la perversité de l’âme humaine à chaque nom rayé de la liste… Il enchaîna avec cinq autres productions jusqu’à ce Free Fire dont le producteur exécutif n’est autre que Martin Scorsese himself. Une manière de label pour une comédie noire d’action qui fait cependant plutôt référence à Tarantino et à son très culte Reservoir Dogs (1992).
Wheatley livre un pur exercice de style où la vraisemblance de l’intrigue n’a que peu d’importance mais où tout est fondé sur la répétition des coups de feu que s’échangent, à tous les coins de l’entrepôt, les protagonistes de cet improbable thriller. Et puis le cinéaste se régale tout autant des échanges entre les truands irlandais (font-ils partie de l’IRA et alors on peut se demander à quelle époque se déroule cette histoire?) et l’équipe des marchands d’armes. Ord évoque ses « ancêtres qui mangeaient des oignons et baisaient des chèvres », Frank parle du climat froid et sinistre d’Hollywood, évidemment le Hollywood en Irlande, « pas celui de Cecil B. de Mille! » Tandis que Stevo et Benny s’interrogent sur l’accent de Vernon. Suisse? Peut-être autrichien? En fait, africain du Sud. Chris ferait bien un brin de conduite à Justine qui l’envoie (provisoirement?) paître. Et puis, tout part gravement en sucette quand Stevo aperçoit Harry dans le camp adverse. Il court se cacher derrière la camionnette mais contraint par Franck de venir donner un coup de main au transport des caisses, il se retrouve face à Harry. Qui pète sévèrement les plombs en reconnaissant celui à qui, la veille au bar Harlequin, il avait mis la tête au carré. Dame, Stevo avait balafré la cousine de Harry, seulement âgée de 17 ans parce qu’elle avait refusé de lui faire une gâterie… C’est vrai que Stevo n’aurait pas dû la ramener en affirmant: « J’ai joui si fort dans sa bouche que je lui ai fait sauter ses dents! »
A partir de là et pour le reste de l’heure trente que dure Free Fire, le film va être un défouraillage massif et ininterrompu qui ricoche dans tous les coins. Vernon prend une balle dans l’épaule et hurle… parce que son costume désormais troué sortait d’une boutique de Saville Row. Lorsque le téléphone sonne, Frank décroche pour entendre un message enregistré: « Félicitations! Vous venez de gagner à vie de la viande hachée Boardman! » Il n’aura pas le temps de s’en réjouir. La balle de Vern l’envoie au tapis pour le compte. Mais Vernon n’aura pas le temps de savourer non plus. Une malheureuse fuite d’essence lui vaudra de griller comme une saucisse sur un barbecue… Ajoutez à cela, deux snipers planqués dans les hauteurs du hangar (mais sortis de nulle part) qui participent joyeusement au stand de tir, des sprinklers qui se déclenchent tandis que la caméra de Wheatley filme ostensiblement une pub Watson’s umbrella sur un mur et que, dans la camionnette avec laquelle Harry tente de filer avec la mallette remplie de billets, John Denver susurre son Annie’s Song…
Les comédiens jouent le jeu de la caricature avec beaucoup d’entrain. Parmi eux, on reconnaît Cilian Murphy qui fut de l’aventure cannoise et palmée avec Le vent se lève (2006) de Ken Loach et aussi Brie Larson révélée en 2013 par States of Grace.
Pour peu qu’on veuille bien jouer le jeu, Free Fire est une série B canardeuse, façon comédie de gangsters avec une belle brochette de solides losers. Les balles sifflent et on se marre doucement.
FREE FIRE Comédie dramatique (Grande-Bretagne – 1h30) de Ben Wheatley avec Sharlto Copley, Armie Hammer, Brie Larson, Clilian Murphy, Jack Reynor, Babou Ceesay, Enzo Cilienti, Sam Riley, Michael Smiley, Noah Taylor, Patrick Bergin. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 14 juin.