Le méchant blond et les amants de Suède
Reinhard Heydrich était un monstre. Un dignitaire nazi de la meilleure (ou de la pire) eau, responsable notamment de l’élaboration de la « solution finale à la question juive ». C’est aussi le (sinistre) héros d’un passionnant ouvrage de Laurent Binet publié en 2010 chez Grasset. Couronné du Goncourt du premier roman, HHhH, en racontant les tenants et les aboutissants de l’opération Anthropoid qui allait coûter, en mai 1942, la vie du Reichsprotektor de Bohême-Moravie, mêle la fiction romanesque et la vérité historique. Binet, avec beaucoup d’originalité, alterne le récit historique, les dialogues reconstitués, l’histoire du roman lui-même, les interrogations et les commentaires sur l’écriture et l’acte romanesque… Autant dire qu’en allant découvrir HHhH au cinéma, on espérait beaucoup tout en se disant que porter un tel livre à l’écran relevait de l’impossible pari. Et on avait, hélas, raison.
Avec HHhH (sigle de Himmlers Hirn heisst Heydrich, littéralement « le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich »), Cédric Jimenez livre seulement un film historique façon papier glacé. Tout dans le film est propre: les décors, les uniformes, les acteurs (aïe, Gilles Lellouche en ténébreux chef résistant), les images… On serait presque tenté de dire les massacres même (le film évoque la tragédie de Lidice, petit village martyr entièrement détruit par les nazis en représailles à l’opération Anthropoid) tant on a vu ces alignements d’hommes au bord des fosses communes face aux pelotons d’exécution nazis. Et se repose une nouvelle fois la question de la représentation cinématographique de l’horreur nazie. Une interrogation à laquelle avait, par exemple, formidablement répondu Laszlo Nemes avec Le fils de Saul (2015). Mais c’est une autre histoire et pas la même ambition esthétique…
Auteur naguère de La French (2014) qui mettait en scène, dans le Marseille des années 70-80, l’affrontement entre le juge Jean-Pierre Michel et le parrain du milieu marseillais Gaëtan Zampa, un polar qui avait eu le don d’agacer ceux qui connaissaient le juge Michel, Cédric Jimenez raconte, ici, la terrible trajectoire d’un militaire déchu (il fut accusé de viol sur une compagne) entraîné vers l’idéologie nazie par sa femme Linda. Une ascension fulgurante qui fit de lui le bras droit d’Himmler et le chef de la Gestapo avant qu’Hitler ne le nomme Reichsprotektor de Bohême-Moravie. Tout cela, le film le détaille à grand renfort de ralentis, de gros plans censés générer de l’émotion, de caméra à l’épaule et d’envolées d’orgue. Et puis, en parallèle, se trame l’opération Anthropoid menée par Jan Kubis et Josef Gabcik, deux jeunes résistants tchécoslovaques formés à Londres et volontaires pour une mission très dangereuse: éliminer Heydrich.
Après des films de Douglas Sirk (Hitler’s Madman) et de Fritz Lang (Les bourreaux meurent aussi) réalisés tous les deux en 1943 et consacrés au « bourreau de Prague », HHhH (France – 2h. Dans les salles le 7 juin) tente donc d’approcher la personnalité de la « bête blonde ». Las, de cet individu, on n’a toujours qu’une image aussi lisse qu’est brutal le masque que lui apporte le comédien australien Jason Clarke. Or Heydrich était décrit comme une personnalité complexe et psychorigide. Auteur de pages remarquables sur la « banalité du mal », la philosophe Hannah Arendt avait, elle, évoqué un Heydrich hanté dès l’enfance et jusqu’à l’âge adulte par ses origines juives… Bref, HHhH qui donne toujours la priorité à l’action et au spectaculaire guerrier, laisse clairement sur sa faim.
Pour les uns, Pernilla August est célèbre pour avoir incarné la mère d’Anakin Skywalker dans les épisodes I et II de la saga Star Wars. Pour les autres, elle s’est illustrée à Cannes en 1992 en obtenant le prix d’interprétation pour Les meilleures intentions de Bille August (à l’époque, son mari) qui, lui, rafla la Palme d’or.
Avec A Serious Game (Suède – 1h55. Dans les salles le 7 juin), la cinéaste signe son second long-métrage en adaptant un roman d’Hjalmar Söderberg publié en 1912. Pernilla August a, ici, l’ambition de raconter une véritable histoire d’amour, de celles où se joue le rêve inaltérable, la quête éperdue de la romance amoureuse… Dans la Suède du début du 20e siècle, Arvid Stjärnblom travaille comme correcteur dans un journal de Stockholm où, remplaçant un collègue pour une critique d’opéra, il finira par gravir les échelons et devenir journaliste. A l’occasion d’une visite campagnarde avec des amis chez un artiste peintre, Arvid tombe éperdument amoureux de Lydia, la fille du peintre, qui rêve de grands voyages. Mais leur idéal d’une passion pure et inconditionnelle se heurte à la réalité de l’époque. Désargentés et effrayés par l’avenir, Lydia et Arvid épousent finalement, l’un comme l’autre, un parti plus fortuné. Lydia finira par divorcer de son vieux mari et Arvid jouera le jeu du bon mari auprès de Dagmar et de leur enfant… Un jour, des années plus tard, Lydia et Arvid se retrouvent…
Comment se fait-il qu’on ne rentre jamais dans cette histoire rythmée par des « Les années passèrent », « Le printemps revint » ou « Et l’été passa »? La nature filmée par Pernilla August est belle, les lumières du nord ont cet inimitable éclat bleu pâle, les acteurs font gentiment le job, les réflexions sur le bonheur ou l’urgence du désir ne sont pas pires qu’ailleurs… Et pourtant, rien ne se passe. On demeure toujours extérieur à ce « jeu sérieux ». Il y a comme ça des jours où l’on se demande s’il n’aurait pas mieux valu aller se promener dans la forêt.