Artiste de génie et animal intense
« La beauté, on ne la trouve que dans le travail… » C’est Auguste Rodin qui l’affirme tandis qu’il met les mains dans la terre pour créer… En 1880, le sculpteur obtient enfin -il a 40 ans- la reconnaissance de l’Etat qui lui passe commande de l’une de ses oeuvres les plus célèbres et la plus monumentale, la fameuse Porte de l’enfer composée d’une multitude de sculptures individuelles parmi lesquelles le Penseur…
A l’occasion du centenaire de la mort de Rodin, Jacques Doillon avait été approché par des producteurs pour réaliser un documentaire sur l’artiste. Si le cinéaste s’intéresse vite à l’auteur des Bourgeois de Calais, l’idée de faire un documentaire ne le séduit pas mais ses recherches l’amèneront à cette fiction qui figure donc dans la compétition officielle de Cannes 2017. Un film qui s’inscrit aussi dans la suite des oeuvres consacrées par le cinéma à des artistes comme Basquiat (1996 – Julian Schnabel), Frida Kahlo (2003 – Julie Taymor), Pollock (2000 – Ed Harris), Lautrec (1998 – Roger Planchon), Renoir (2013 – Gilles Bourdos) et évidemment Van Gogh (1991) où Maurice Pialat, avec Jacques Dutronc, quête magnifiquement le mystère de l’acte de création. Pour son trentième long-métrage, Jacques Doillon plonge à son tour dans cette énigme que constitue le génie créatif. De fait, la belle figure de Rodin se prête à cette recherche. Rodin est un artiste qui semble plus à son aise dans son atelier que dans sa vie privée et qui consacre l’essentiel de son énergie à modeler cette terre qu’il place, dans la hiérarchie des matières, au-dessus de l’or, du bronze ou du bois. « C’est dans la terre que je trouve mes formes », dit-il. Cette terre que Rodin malaxe, frappe, plie, pétrit jusqu’à ce qu’elle devienne vivante et qu’il saisit à cet instant pour donner de la vie à ses sculptures…
Si Rodin est donc bien un film sur la création, c’est aussi et même très largement le portrait d’un homme sensuel, un animal intense que Doillon montre aux prises avec Camille Claudel. Pendant dix années, le couple vivra une passion fougueuse, réuni par un commun désir mais aussi un semblable embrasement artistique. Rodin montre l’artiste au travail, rusant ici, avec la complicité de Juliette Drouet, pour faire le buste d’un Victor Hugo bien décidé à ne pas poser, assemblant, là, dans une démarche caractéristique et novatrice, L’homme qui tombe et La femme accroupie pour constituer un groupe autonome (Je suis belle) où la femme est tenue à bout de bras par un homme qui paraît s’arquer sous l’effort… Il le montre aussi, amant fragile d’une Camille Claudel qui ne souhaite être, comme assistante, qu’une « modeste présence à ses côtés » et qui se révélera femme dévorante et artiste torturée par l’idée que Rodin vampirise son génie. Mais Doillon aborde cependant différemment les rapports du couple. On a souvent attribué la fêlure de Camille Claudel à sa rupture avec Rodin, à la suite de la non-demande en mariage. Mais la paranoïa de Camille Claudel, dont on sait l’ambition farouche de devenir une grande sculptrice, prend ses sources bien plus loin, notamment dans ses relations désastreuses avec sa mère. Cela dit, dès que Camille Claudel a atteint une maîtrise qui aurait dû lui apporter une juste reconnaissance, elle n’a pas supporté d’être seulement considérée comme l’élève et la maîtresse de Rodin.
Dans une mise en scène fluide et rigoureuse reposant sur une belle circulation des mouvements dans un atelier où prédominent des tonalités douces et des couleurs proches de la peau, voire de la terre, Rodin fait aussi la part belle au long combat -sept ans de réflexion et sept années de travail- de l’artiste pour imposer son prodigieux Balzac, point de départ incontesté de la sculpture moderne et oeuvre de la plénitude.
Rodin, c’est évidemment une nouvelle grande rencontre entre un acteur et un personnage. Vincent Lindon, massif et barbu, fiévreux et habité, très physique et ancré dans le sol, apporte une véritable intensité à cet artiste toujours taraudé par le doute auquel son ami Octave Mirbeau lance: « Rodin, arrêtez de décevoir votre entourage! » A ses côtés, Izïa Higelin est une Camille Claudel pleine de vivacité et de rayonnante sensualité. On retrouve aussi dans le rôle de Rose Beuret, la compagne de Rodin, Séverine Caneele, découverte en 1999 à Cannes dans L’humanité de Bruno Dumont qui lui valut le prix d’interprétation féminine.
Enfin, Jacques Doillon révèle un autre Rodin derrière le sculpteur… Après des années à batailler pour imposer son Balzac, on trouve un Rodin dessinateur qui a des envies d’instantanés. Il saisit à l’aquarelle sur le papier des nus d’une audace, d’une liberté et d’une beauté qui font songer à Egon Schiele. A ses beaux modèles, l’artiste lance ainsi: « Faites-moi des propositions de gestes qu’on n’a jamais vu… » Dans ces dessins, c’est le geste pur de Rodin qui s’exprime.
RODIN Comédie dramatique (France – 1h59) de Jacques Doillon avec Vincent Lindon, Izïa Higelin, Séverine Caneele, Bernard Verley, Anders Danielsen Lie, Olivier Cadiot, Arthur Nauzyciel, Laurent Poitrenaud, Guylène Péan, Magdalena Malina, Léa Jackson. Dans les salles le 24 mai.