Un peu de gloire au milieu des cordes
Le 7e art rend rarement justice au sport. Les films vraiment dignes d’intérêt se comptent sur les doigts d’une main. On songe par exemple aux Chariots de feu (1981) de Hugh Hudson qui se déroule lors des Jeux olympiques de 1924 à Paris et raconte les aventures d’Abrahams et Lidell, deux athlètes anglais, l’un juif, l’autre protestant… Du côté du football, les films sont le plus souvent affligeants et on peut mettre à part Coup de tête (1979) de Jean-Jacques Annaud qui caricature avec entrain le milieu et ses petites magouilles. Le meilleur, côté ballon rond, reste Looking for Eric (2009) où Ken Loach « soigne » un postier au bout du rouleau en lui faisant rencontrer son idole, le Frenchie de Manchester United Eric Cantona alias King Eric…
A Hollywood, on sait que les Américains portent aux nues cinq sports: le baseball, le football américain, le golf, le basket-ball et le hockey sur glace. Les studios sortent donc régulièrement des produits sur mesure pour le public américain. Des films qui ne sortent pas du territoire national et lorsqu’il leur arrive de sortir chez nous, ils ne rencontrent guère un public qui ne comprend rien au home run, au power play ou aux quarterbacks… Bien sûr, il y a toujours des exceptions. Darren Aronofsky a donné, en 2008, un film magnifique sur l’inquiétant univers du catch avec The Wrestler tandis que Bennett Miller signait, en 2014, Foxcatcher, un drame passionnant sur la relation improbable entre un milliardaire excentrique et inquiétant et deux champions de lutte.
Il est évidemment un sport qui échappe à la règle! C’est la boxe. Le noble art a offert au 7e art une brassée d’oeuvres majeures et palpitantes. C’est le cas de Gentleman Jim (1942) de Raoul Walsh, Nous avons gagné ce soir (1949) de Robert Wise, Plus dure sera la chute (1956) de Mark Robson, Fat City (1972) de John Huston, Raging Bull (1980) de Martin Scorsese, Ali (2002) de Michael Mann et on peut ajouter dans ce florilège, la tragédie qu’est Million Dollar Baby (2004) de Clint Eastwood. Beaucoup de ces films s’inspirent de boxeurs qui ont réellement existé. C’est le cas de Jim Corbett (Gentleman Jim), Primo Carnera (Plus dure…), Jake La Motta (Raging Bull) ou Mohamed Ali dans le film de Mann. A cette liste, on peut désormais ajouter Outsider du Canadien Philippe Falardeau qui s’est emparé de l’histoire du poids lourd Chuck Wepner, célèbre pour avoir tenu quinze rounds face à Mohamed Ali.
Né en février 1939 à New York, Chuck Wepner, surnommé The Bleeder, était un encaisseur, capable de prendre des volées de coups sans aller au sol. Bien sûr, son visage était tuméfié et ensanglanté (on le surnommait l’hémophile de Bayonne, une ville du New Jersey). Le 30 octobre 1974 à Kinshasa, se déroule le combat pour le titre de champion du monde des lourds opposant George Foreman à Mohamed Ali. Surnommé The Rumble in the Jungle, ce combat a donné lieu à un excellent documentaire de Léon Gast, When we were Kings (1996) qui remporta l’Oscar du meilleur documentaire. Martelant durement son adversaire, Ali mettra Foreman ko au 8e round… Fameux promoteur de boxe, Don King, après la victoire d’Ali, cherchera à organiser un combat pour opposer son champion à un boxeur blanc. Et ce sera Chuck Wepner. Inconnu du grand public, Wepner devait être une proie facile pour Ali. Mais, dans ce combat gagné d’avance pour Ali, Wepner étonnera la planète boxe en tenant la distance sur quinze rounds. Mieux, il enverra même Ali au tapis au 9e round. Toutefois Wepner perdra le match par ko technique quelques secondes avant la fin de la quinzième reprise…
On imagine volontiers que cette aventure pouvait séduire un cinéaste. Elle séduira en effet Sylvester Stallone qui s’inspirera de Wepner pour son très fameux Rocky Balboa. Comme Wepner, Rocky pourra dire: « Même si je ne gagne pas, j’aurai démontré que je suis là! » Auteur d’une belle comédie dramatique, Monsieur Lazhar (2011) avec Mohamed Fellag et d’une satire de la vie politique canadienne (Guibord s’en va-t-en guerre en 2015), Philippe Falardeau raconte, avec Outsider, la gloire et la déchéance d’un boxeur étourdi par une (brève) notoriété et qui ensuite perdit largement pied. S’il est dur au mal, Wepner n’est pas un type vraiment reluisant. Devant ses incartades amoureuses, sa femme Phyllis finira par divorcer et l’empêchera longtemps de voir sa fille. Sur le plan sportif, la dégringolade l’amènera à combattre avec un catcheur français nommé Le Géant André et même à monter sur le ring, dans un bar, pour affronter un… ours. Suivra ensuite la cocaïne, le trafic et la prison… Relâché pour bonne conduite, Wepner s’achètera une conduite. La belle Linda pourra enfin lui dire: « Tu es meilleur que tu l’imagines… »
Si Falardeau n’a pas le génie de Scorsese quand il montre la chute de La Motta, son Outsider, porté par une b.o. bien vintage, n’est cependant pas un film négligeable. Il est intéressant quand il reconstitue la manière dont Stallone s’empare de l’histoire d’un Wepner qui en voudra longtemps au cinéaste de ne pas l’avoir rétribué. Mais le boxeur, même s’il est alors plutôt pathétique, captera un peu de la célébrité de celui à qui il a servi de modèle: « J’étais Rocky », confiera-t-il. Si la voix off est un peu envahissante et si Outsider n’a pas la rapidité narrative des grands films de boxe, le massif Liev Schreiber (Wepner), la tendre Elisabeth Moss (Phyllis) et la rousse Naomi Watts (Linda) tirent bien leur épingle du jeu…
OUTSIDER Comédie dramatique (USA – 1h41) de Philippe Falardeau avec Liev Schreiber, Naomi Watts, Elisabeth Moss, Ron Perlman, Morgan Spector, Pocch Hall, Zina Wilde, Sadie Sinck. Dans les salles le 10 mai.