Lady Katherine, amante diabolique
« Ce qu’il y a de rassurant dans la tragédie, disait Anouilh, c’est qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir ». Pourtant, aux premières images de The Young Lady, ce n’est pas (encore) la tragédie qui affleure mais plutôt une sensation de sérénité qui se dégage du visage de l’héroïne. Voici, en effet, le doux profil de la jeune Katherine voilé d’un tulle diaphane et qu’on imagine confite en dévotion… Mais on mesure vite que la jeune femme ne mène pas une existence heureuse. Son quotidien suinte un lourd ennui scandé seulement par les rituels domestiques. Et puis, quand vient la nuit, c’est un autre jeu qui se met en place. Car Katherine est mal mariée à Alexander Lester, un aristocrate bien plus âgé qu’elle et qui a du mal à accomplir son devoir conjugal. Contrainte de laisser choir sa chemise de nuit, Katherine se trouve alors réduite à un corps dénudé, forcée de faire face à un mur tandis que le piètre époux, de surcroît éméché, se satisfait manuellement et tristement…
Premier long-métrage du Britannique William Oldroyd, The Young Lady est un drame (et un thriller en costumes) qui a pour décor l’Angleterre rurale de la seconde moitié du 19e siècle mais qui s’inspire de Lady Macbeth du district de Mtsensk, le roman du Russe Nikolaï Leskov dont Chostakovtich fit aussi, en 1934, un opéra fameux. Dans cette Angleterre victorienne, Katherine Lester, corsetée dans des tenues fermées jusqu’au cou, est confinée dans des intérieurs sans joie alors même que, derrière sa fenêtre d’où elle observe forêts, landes et bruyères, elle avoue : « J’aime l’air frais ». Un jour, Alexander Lester doit quitter la demeure, appelé par une explosion dans une mine. Bénéficiant, malgré la présence de son austère beau-père, d’un peu plus de liberté de manœuvre, Katherine, entendant des cris en provenance des communs de sa résidence, va découvrir les jeux érotiques de valets « pesant une truie ». A Sebastian, le palefrenier, lady Lester lance tout de go : « Combien pèserais-je ? » L’homme ose : « Voulez-vous que je vérifie ? » Katherine : « A votre avis ? »
Complètement bouleversée par ces mains brutales courant brièvement sur son corps, Katherine va désormais être dévorée par un impérieux et irrépressible désir. Profitant de l’absence de son époux, elle n’aura alors de cesse d’amener Sebastian dans sa couche. Avec le fougueux palefrenier, la jeune femme vivra un épanouissement des sens forcément promis au drame. Car The Young Lady (Lady Macbeth en v.o.) va montrer une innocente jeune femme se transformant en amante capable de commettre des actes monstrueux. Pour satisfaire son besoin de sexe, Katherine est prête à tout face à ceux qui se mettent en travers de sa concupiscence…
Tout comme sa scénariste Alice Birch, le cinéaste vient du théâtre (il a été metteur en scène à la prestigieuse Royal Shakespeare Company) mais il a pleinement intégré l’écriture cinématographique. Au-delà même du portrait d’une cousine d’Emma Bovary, Oldroyd séduit par des images superbes signées de la directrice de la photographie australienne Ari Wegner. On a souvent l’impression de voir des cadres dignes de la meilleure peinture flamande, voire la grâce des géniaux petits formats de Vermeer. Plus encore, Katherine, filmée frontalement, de face comme de dos, évolue dans des plans fixes qui traduisent magnifiquement l’ennui des intérieurs et les langueurs de la jeune femme. Dès lors que Katherine peut s’évader dans les vastes espaces de landes rousses sous des ciels plombés, la caméra se sent soudain libre de virevolter sur ses pas.
Mieux encore, la mise en scène, jusque dans les détails des tenues vestimentaires, parvient à traduire avec précision les pulsions et les émois. Une longue chevelure démêlée sur une robe de chambre rose, ample et entrouverte en dit long sur la convoitise et les appétits sensuels de Katherine qui affirme, à son amant, « rien, ni personne ne me séparera de toi ». Des ardeurs auxquels, cependant, Sebastian, apeuré par la dévorante passion de Katherine, aura du mal à répondre. Car, désormais, Katherine, négligeant ouvertement ses devoirs et savourant une improbable liberté, « se tient mal ». Ses postures se relâchent. Elle oblige Anna, sa servante, à déjeuner avec elle. Elle boit du vin tandis que son beau-père lui lance un définitif « Vous regardez m’insupporte ». Enfin revenu chez lui, Alexander ne peut plus que constater les dégâts : « Vous êtes devenue grasse. Votre odeur est nauséabonde. Je suis le propriétaire d’une catin ! »
Entourée de comédiens britanniques inconnus mais composant de beaux personnages (Anna, la domestique à laquelle rien n’échappe, est magnifique), lady Katherine Lester permet de découvrir l’excellente Florence Pugh dans son premier grand rôle. Le cheveu sagement tiré en chignon serré ou la crinière en désordre, coincée dans sa crinoline ou nue dans le lit plus si conjugal, l’actrice anglaise au visage rond et au nez mutin compose une femme « attachée trop longtemps » qui va s’abîmer, pour cause de stupre, dans une dérive criminelle. Mais sa terrifiante solitude, par-delà l’horreur de sa conduite, la rend fascinante.
THE YOUNG LADY Drame (Grande-Bretagne – 1h28) de William Oldroyd avec Florence Pugh, Cosmo Jarvis, Paul Hilton, Naomi Ackie, Christopher Fairbank, Golda Rosheuvel, Anton Palmer, Rebecca Manley, Cliff Burnett, Bill Fellows. Dans les salles le 12 avril.