Kiki, Karine, Sandra, Renée, une vie de galères
C’est l’histoire d’une pauvre petite fille… même pas riche. Ou alors brièvement et avec de l’argent mal gagné. C’est à la découverte d’un film déroutant qu’invite Arnaud des Pallières avec Orpheline. Déroutant parce qu’il faut parvenir à entrer dans cette aventure où quatre comédiennes incarnent le même personnage à quatre âges de sa vie, le même personnage qui porte de plus, à ces différents âges, un prénom à chaque fois différent…
Dans le long couloir d’une prison, une détenue s’avance, vêtue d’une survêtement aussi rouge qu’informe. Bientôt, c’est une grande et belle femme racée qui sortira de derrière les hauts murs, portant un tailleur blanc plutôt seyant. Au même moment, une autre jeune femme règle une série de problèmes qui se posent dans son établissement scolaire tout en étant préoccupée par ses soucis personnels, notamment la mise en oeuvre d’une FIV… Bientôt la femme en tailleur blanc apparaîtra dans la salle de classe pour réclamer son dû, quelque 35.000 euros alors que l’enseignante, défaite, lui lance: « Tara, tu ne peux pas rester ici… » Et lorsque le personnage de Renée avouera: « Je ne sais plus où j’en suis », le spectateur pourrait dire la même chose. D’autant plus que, bientôt, la police débarquera en force au domicile de cette Renée qui se croyait à l’abri de son passé, pour interpeller une certaine… Karine Roszinski.
Avec Orpheline, son cinquième long-métrage, Arnaud des Pallières livre donc un portrait de femme à quatre étapes de sa jeune vie. Pour cela, il s’est appuyé sur la vie réelle de Christelle Berthevas qui fut sa co-scénariste pour Michael Kohlhaas en 2013. Celle-ci a en effet plongé, en quatre années d’écriture, dans les rudes souvenirs d’une existence malheureuse pour donner naissance à un récit qui met en scène un personnage chahuté par la vie mais qui refuse cependant de se laisser enfermer dans un statut de victime. Car, s’il(s) semble(nt) toujours fuir la famille et ses carcans, le/les personnage(s) d’Orpheline est dans une perpétuelle quête de l’amour comme porte d’accès à la liberté et de la sexualité comme arme pour appréhender le monde. Et le cinéaste d’observer qu’il voulait « donner une dignité à la quête sexuelle, sensuelle, amoureuse, sociale, politique » d’un personnage qu’il cerne au plus près dans son désir d’approcher ce qu’est une femme.
Arnaud des Pallières a construit un film qui va à rebrousse-temps avec un personnage qui s’articule comme une poupée russe. Sous la femme, on trouve la jeune femme, sous la jeune femme, l’adolescente etc., toutes prises dans le même parcours cruel, sombre, excessif. Dans sa simplicité même, la mise en scène évite volontairement les transitions entre les différentes apparitions des personnages, comme pour mieux faire se heurter entre elles Kiki, Karine, Sandra et Renée.
Après la première rencontre avec Renée, Orpheline nous entraîne dans les pas de Sandra, la vingtaine aguichante… Traînant sur les champs de courses de la région parisienne, elle cherche du travail et a rendez-vous avec l’énigmatique Lev, joueur professionnel qui finira par coucher avec elle tout en confiant: « Je veux vous éviter les mauvaises rencontres. Comme un père le ferait ». La mauvaise rencontre, ce sera Tara avec laquelle elle se lance dans un coup très dangereux. Pendant ce temps, Renée fera l’objet d’un transfert médical pour les besoins d’une échographie. « Tout est normal », explique la blouse blanche tandis que Renée pleure en refusant de regarder l’écran. Le film atteint alors à la racine même du drame, cette douleur taraudant un personnage qui ne cesse de fuir l’assignation familiale. On le vérifiera encore avec Karine, adolescente complètement apeurée, ballottée et néanmoins lutteuse qui traîne dans une boîte de nuit avec des types qui pourraient être son père et qui rentre se barricader dans sa chambre pour échapper justement à la violence de son géniteur… Avec Kiki, la fillette de six ans, Orpheline finit par révéler, à cause d’une partie de cache-cache dans une casse automobile, les origines du drame… Enfin, le cinéaste boucle la boucle. Renée, enceinte, est sortie de prison. Darius, son homme, l’emporte sur les routes, direction la Géorgie où vit sa grand-mère. Mais, c’est en Roumanie qu’Orpheline s’achève. Dans un hôpital plutôt sinistre, Renée donne naissance à son bébé. Le nourrisson rejoindra-t-il le cercle infernal que représente l’existence de sa mère?
Pour incarner sa seule et même héroïne, Arnaud des Pallières a le privilège de diriger quatre comédiennes qui portent littéralement son film. Adèle Haenel (Renée) est une actrice qui insuffle toujours une puissante urgence à ses personnages. Adèle Exarchopoulos (Sandra) dégage cette sensualité solaire qui l’animait déjà dans La vie d’Adèle. Solène Rigot (Karine) est la révélation d’Orpheline où elle livre une composition impressionnante de gamine déboussolée. La petite Vega Cuzytek (Kiki) pose, avec son regard très bleu, le dernier maillon d’une geste féministe. Autour des quatre actrices, gravitent des personnages inquiétants ou, peut-être, généreux. Gemma Arterton est une Tara redoutable. Nicolas Duvauchelle, un père de famille paumé, Jalil Lespert, un Darius qui ne sait rien du passé de sa compagne et Sergi Lopez, un type touchant même s’il profite de la situation…
« Je fais des films pour expérimenter d’autres vies que la mienne », affirme l’auteur d’Orpheline. Même si, parfois, le film paraît, dans ses déplacements d’action, nous échapper, l’existence de Renée, Sandra, Karine et Kiki relève d’un drame profond…
ORPHELINE Drame (France – 1h51) d’Arnaud des Pallières avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Gemma Arterton, Jalil Lespert, Nicolas Duvauchelle, Solène Rigot, Sergi Lopez, Vega Cuzytek, Karim Leklou, Robert Hunger-Bühler. Dans les salles le 29 mars.