Greta dans la forêt de l’adolescence
« L’adolescence, disait Marcel Proust, est le seul temps où l’on ait appris quelque chose ». Mais il paraît douteux que Greta Driscoll, là-bas dans son Australie natale, ait eu le temps de lire A l’ombre des jeunes filles en fleur. De toute façon, elle s’intéresse surtout aux oiseaux en papier plié et à sa collection de chevaux en plastique. Et puis, ce qui titille vraiment Greta, c’est qu’elle va très bientôt avoir quinze ans.
« Greta, c’est ça? » Rouquin aux cheveux en pétard, Elliott vient de se poser à côté de Greta dans la vaste cour de leur collège. Tous les deux portent la tenue de leur établissement: chemise jaune citron et short ou jupette grenat. « T’as des amis? » interroge encore le brave Elliott, manifestement accommodant, le genre à être toujours d’accord sur tout et avec tout le monde sauf peut-être avec ce grand abruti de Steven qui vient le déranger dans sa première rencontre avec Greta…
Avec Fantastic Birthday, la cinéaste australienne Rosemary Myers signe un premier film séduisant et drôle sur le passage difficile de l’enfance à l’adolescence. Toute l’aventure est née au théâtre où Rosemary Myers, en compagnie du scénariste Jonathon Oxlade et de Matthew Whittet (qui joue, dans le film, le rôle de Conrad, le père de Greta) a monté, depuis une vingtaine d’années, de nombreuses pièces sur l’aventure qu’est l’adolescence. Les trois amis ont été approchés par The Hive, une association qui offre à des artistes venus d’univers variés l’opportunité de travailler dans un atelier de cinéma. Et c’est ainsi qu’est né Girl asleep (titre original) où une jeune fille introvertie ne veut pas quitter le monde douillet et rassurant de l’enfance… Greta serait carrément prête à s’enfermer dans sa bulle (avec, à la rigueur, Elliott) mais quand ses parents lui annoncent l’organisation d’une grande fête d’anniversaire, elle est prise de panique…
Nourri de toute l’expérience théâtrale de Rosemary Myers, Fantastic Birthday est, certes, un premier film mais c’est surtout une oeuvre très élaborée sur les plans techniques (lumières, décors, costumes) et visuels. Ainsi, la première séquence du film où Greta et Elliott sont assis sur un banc et filmés frontalement en plan fixe, est un petit bijou d’humour. Au-delà du jeu des deux jeunes acteurs, l’action se passe dans le fond de l’image où passent une équipe de basket, un gros ours, des personnages déguisés, un jongleur de raquettes de tennis… Et il en va ainsi tout au long de Fantastic… où, par exemple, un simple poster sur la porte de la chambre de Greta indique le temps qui passe.
Dans ce film situé dans les années 70 et qui exploite largement le registre de la musique pop, la cinéaste apporte un soin particulier à tous ses personnages, qu’il s’agisse de Jade, Ambre et Sapphire, les trois soeurs faites au même moule, mix de garces et de pin-up, qui proposent à Greta de rejoindre leur bande, de Conrad, le père de famille, avec ses shorts moulants et bien entendu de Janet et de Geneviève, la mère et la soeur aînée de Greta. La première incarne la femme au foyer, soucieuse de faire de la bonne cuisine pour sa famille et de s’entretenir sur son vélo d’appartement, la seconde incarne une jeunesse plus libre, prête désormais à rivaliser à égalité avec les garçons…
Dans cet univers qui l’angoisse et qui la questionne, notamment sur une sexualité naissante (dans les toilettes du collège, les « copines » lui demandent si elle met la langue), Greta n’aura bientôt plus que ses couettes pour la rattacher à cette enfance qui s’enfuit irrémédiablement. Alors Greta va passer de l’autre côté de la réalité. En face de la maison familiale, de grands arbres noirs s’agitent dans le vent de la nuit. Alors que la party d’anniversaire bat son plein (avec une chorégraphie sur You Make me Feel d’Aretha Franklin), Greta, attirée par des créatures fantastiques, bascule dans un univers onirique, plein de dangers.
La cinéaste ne fait pas mystère de son goût pour une fable comme La belle au bois dormant, ni de son attrait pour l’oeuvre de Bruno Bettelheim. Pour le célèbre pédagogue et psychologue, « la forêt symbolise le lieu dans lequel chaque obscurité intérieure est confrontée, où le doute sur qui nous sommes est levé et où chacun commence à comprendre qui il souhaite devenir vraiment. » Defendue par une huldre rude mais bienveillante, Greta -bébé sans défense- fuira devant des chiens hurlants, franchira une rivière, chevauchera une sombre monture, croisera l’homme abject et Frozen woman (qui ont les traits de ses parents), se réfugiera dans une grotte… Revenue, en mode sommeil, dans sa chambre, la jeune fille retrouvera même un chanteur de charme (parlant français!) qui lui promet: « Maintenant, je vais faire de toi une femme… »
Délicieusement farfelu et joyeusement décalé, Fantastic Birthday est un film bien construit et prenant sur le deuil de l’enfance mais aussi sur le regard des adolescents sur leurs parents. Même si l’adolescence s’est évanouie depuis longtemps, on suit avec plaisir les atermoiements, les doutes, les craintes et, in fine, le premier épanouissement de Greta.
FANTASTIC BIRTHDAY Comédie dramatique (Australie – 1h20) de Rosemary Myers avec Bethany Whitmore, Harrison Feldman, Mathew Whittet, Amber McMahon, Eamon Farren, Tilda Cobham-Hervey, Imogen Archer, Maiah Stewardson. Dans les salles le 22 mars.