Claire et Béatrice que tout semble opposer…
« Encore, encore! On pousse, on pousse! C’est bien… » Ceux qui, un jour ou l’autre, dans leur vie, ont passé quelques heures ou beaucoup d’heures, dans une salle d’accouchement, connaissent ces encouragements qui ressemblent un peu à des ordres. Claire Breton porte une blouse rose. Elle est sage-femme dans une petite maternité qui va bientôt fermer ses portes. C’est une femme droite, impliquée qui se dévoue totalement à ses parturientes au risque même que sa vie privée en pâtisse…
Une fois de plus, au bout de la nuit, Claire, vêtue de son éternel imperméable, a enfourché son vélo pour rentrer chez elle à Mantes-la-Jolie. Le sommeil l’emporte lorsqu’un coup de téléphone la réveille. A l’autre bout du fil, une femme dont Claire s’était appliquée à oublier l’existence. Cette femme, c’est Béatrice Sobolevski qui fut la compagne du père de Claire. Une compagne qui disparut un jour dans la nature et provoqua ainsi la mort brutale de cet homme… Pourtant Claire va se rendre au rendez-vous fixé par Béatrice. Elle débarque ainsi dans un immense appartement qui fut un cabinet dentaire abandonné par son propriétaire libanais retourné vivre à Beyrouth. « Il m’a passé ses clés pour me dépanner », explique la squatteuse. En peignoir, au sortir du lit, Béatrice réclame d’emblée que Claire lui apporte un whisky et des cacahuètes. « Je ne sais pas trop quoi dire », objecte Claire. « On va trouver! » répond Béatrice…
Avec Sage femme, Martin Provost orchestre, avec beaucoup de charme, la rencontre de deux femmes que tout oppose. Claire vit pour les autres et cultive des valeurs et des principes qu’elle se refuse à abandonner. Face à cette sage femme sans doute un peu rigide, Béatrice est un électron libre à la fois généreux et très égoïste. Elle a toujours vécu de manière aussi intense que légère. Elle a la passion du jeu (qu’elle cultive dans des salles clandestines) mais se retrouve constamment sans ressources, ce qui ne l’empêche pas d’avoir du panache et de l’élégance.
Dans les pas de Claire et de Béatrice et autour de la figure omniprésente de l’absent, Martin Provost invite à se glisser dans une fable qui ressemble infiniment à La cigale et la fourmi. Mais le cinéaste suggère que nous devons tous être un peu cigale et un peu fourmi. Même si l’une vouvoie (Claire) et l’autre tutoie (Béatrice), leur opposition, reposant d’ailleurs pour les deux sur une vraie souffrance, va devenir source d’échange, de complémentarité et même de sagesse. Avec un beau sens du romanesque, Provost va ainsi faire sortir Claire de l’ombre pour l’entraîner dans la lumière de Béatrice. Le récit de Sage femme va alors s’articuler avec aisance autour des péripéties qui émaillent la vie des deux femmes. Béatrice est gravement malade et doit se faire opérer mais Claire, en professionnelle de santé, lui reproche de boire du vin, de manger des entrecôtes bleues, des frites et de la mayonnaise… Il est vrai que Claire ne boit que de l’eau et préfère cultiver son petit jardin ouvrier, là-bas sous le pont de l’autoroute. Là, où, un jour, Paul, depuis le jardin voisin, lui propose une cagette de Belles de Fontenay… C’est lorsque Claire viendra au chevet de Béatrice fraîchement opérée, que l’aventure bascule. Au médecin qui vient prendre des nouvelles, Béatrice présente Claire comme sa… fille.
Si Sage femme est un film qui raconte avant tout comment deux femmes, à un moment-charnière de leur existence, vont combler réciproquement un manque dans la vie de l’autre, Martin Provost a apporté un soin particulier aux scènes d’accouchement. Parce qu’il estime que ces scènes au cinéma ne sont souvent pas crédibles, le cinéaste a choisi de filmer (en Belgique) une demi-douzaine de vraies naissances au cours desquelles Catherine Frot, après une formation, est véritablement intervenue. Tout au début du film, dans l’une de ces scènes, Provost a d’ailleurs capté, furtivement, la puissante émotion qui saisit la comédienne. Même si son film n’a rien d’autobiographique, le metteur en scène a expliqué que l’idée du film était née parce qu’il avait été sauvé à la naissance par une sage-femme. Celle-ci -Yvonne André auquel le film est dédié- lui a donné son sang et lui a permis de vivre…
Réalisateur de Séraphine (2008), gros succès critique et commercial couronné de sept César (dont ceux de meilleur film et meilleure comédienne pour Yolande Moreau), Martin Provost récidive en réunissant, pour la première fois au grand écran, Catherine Frot et Catherine Deneuve, comédiennes à la grâce lumineuse. Deneuve est magnifique en fausse princesse russe avouant adorer les mensonges et Frot ne l’est pas moins quand, dans un simple geste, elle ouvre son chignon et s’offre la liberté qu’elle concède à sa chevelure.
Bien photographié, avec des dialogues ciselés, Sage femme donne aussi un beau personnage à Olivier Gourmet comme toujours brillant dans la simplicité. Son Paul, chauffeur routier à l’international et esprit libre, n’est pas pour rien dans la métamorphose de Claire et Béatrice. La séquence où tous les trois foncent, à bord d’un gros camion jaune, sur une petite route de campagne en braillant Les loups sont entrés dans Paris de Reggiani est jubilatoire. Comme l’est aussi, dans un autre registre, la visite de Claire au nouvel hôpital qui doit l’embaucher. La DRH lui fait l’article sur la centaine de… maïeuticiens et de maïeuticiennes qui vont travailler là à « fabriquer » quelque 4000 nouveaux-nés par an. Mais, on l’a deviné, l’usine à bébés, ce n’est pas le truc de Claire Breton.
Allez voir Sage femme! L’accouchement est réussi. « Bravo, Madame, c’est un… film! »
SAGE FEMME Comédie dramatique (France – 1h57) de Martin Provost avec Catherine Frot, Catherine Deneuve, Olivier Gourmet, Quentin Dolmaire, Mylène Demongeot, Pauline Etienne, Audrey Dana, Pauline Parigot. Dans les salles le 22 mars.