Lelouch et les destins, façon puzzle
Claude Lelouch, c’est toujours un peu la même chose… La vie, l’amour, la mort, les grands sentiments, les petites bassesses, le mariage, le divorce, les rencontres du hasard. Ce hasard, dont Albert Einstein disait, selon Lelouch, que c’est le costume que le bon Dieu a choisi pour se promener parmi les hommes. En fait, l’auteur de E=Mc2 aurait dit précisément: » Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito ». Mais il semblerait aussi que notre bon Albert Schweitzer se soit fendu d’un « Le hasard, c’est le pseudonyme que Dieu choisit quand il veut rester incognito ». Bref, on ne va pas passer la soirée là-dessus. Sinon qu’évidemment le hasard est, dans Chacun sa vie, le ressort permanent de l’action. Et il conviendrait de dire les actions…
Voilà donc des gens ordinaires, normaux qui ne se connaissent pas mais qui ont, tous, rendez-vous pour décider du sort d’un de leurs semblables. Avant d’être juges, avocats ou jurés, ils sont d’abord des femmes et des hommes au tournant de leurs existences, avec leurs rêves et leurs secrets, leurs espoirs et leurs limites, tous sous un même soleil, chacun avec sa part d’ombre. Dans une jolie ville de province, Beaune en l’occurrence, le temps d’un festival de jazz, la vie va jongler avec les destins…
Alors, sans que sa caméra ne tourbillonne trop, comme aux temps anciens, le réalisateur d’Un homme et une femme assemble de petits fragments de vie. Des vies, façon puzzle avec de la « réalité » et des rêves, parfois des cauchemars. Dans un inventaire à la Prévert, on trouve alors Nini Jazz chantant sur la place de Beaune avant que son coeur ne déraille, une femme découvrant son infortune conjugale, un chauffeur de taxi branché horoscope (comme quasiment l’ensemble des personnages du film), un avocat gravement alcoolique, un contrôle de gendarmerie plutôt coquin, une terrible altercation, à la terrasse d’un café, entre un Maghrébin et sa femme, un médecin sur patinette qui soigne par le rire, une épouse et une maîtresse devisant des vertus comparées des maris et des amants, une femme tentant de corrompre un avocat général, un gentilhomme campagnard prêt à séduire pour échapper à un redressement fiscal, un tueur à gages sentimental… Dans tout cela, on déguste de petites choses avant de perdre le fil et de laisser son attention divaguer…
Pour faire bonne mesure, on a droit à quelques vannes bien senties, du genre « Quand on va à la pêche aux cons, ça mord toujours » (celle-là, Audiard aurait pu la balancer!), plus mélancolique avec « Ca sert à quoi de grandir? », plus brutal comme « Pas un homme ne mérite d’être aimé… » ou encore « C’est quoi l’amour? C’est quand la question de savoir si c’est un bon coup ne se pose plus » ou « On est devenus comme des chansons qu’on adorait et qu’on ne supporte plus ».
Quant à la nouvelle attraction lelouchienne, c’est Me Dupond-Moretti. Le très médiatique avocat qui professe une aversion profonde pour les magistrats et ne se prive pas de le leur dire à la barre, se retrouve dans la peau d’un président de cour d’assises! Rôle de composition évidemment pour le tonitruant bavard! A qui Lelouch offre donc le loisir de disserter, devant les jurés réunis dans la salle des délibérés, sur l’intime conviction et sur la nécessité de juger le moins mal possible. C’est bien sûr savoureux. Mais Dupond-Moretti s’avère bon comédien quand, en client habituel d’une dame tarifée, il se conduit en amoureux transi. Une reconversion est-elle en cours? Toutes les cours d’assises de France l’espèrent…
Mais ce n’est pas Dupond-Moretti qui tire vraiment la couverture à lui. Car, même dans ce film très très choral (voir le générique ci-dessous), c’est notre Johnny national qui capte le plus l’attention. Lelouch nous gratifie de deux longues séquences où le rocker nous balance son très fameux Toute la musique que j’aime… Comme j’étais seul, en projection de presse, je me suis laissé aller à chanter, avec le public de Johnny, « Je le chante autant que je l’aime…Les mots sont toujours les mêêêêêmes… J’y mets mes joies, j’y mets mes peines… Le blues, ça veut dire que je t’aime… » Bon client du cinéma (on a aimé récemment son épatant caméo de star larguée dans Rock’n roll de Guillaume Canet), Mister Hallyday ne craint pas, ici, de jouer avec son image, notamment lorsqu’il incarne un… sosie bien alcoolisé ou encore de conforter son statut d' »homme à femmes ». Ainsi lorsqu’il débarque, pour cause de brouillard épais, dans une belle maison d’hôtes bourguignonne et fait perdre toute sa contenance à la maîtresse des lieux. On le devine, elle finira dans son lit avant de se retrouver aux assises. Accusée du meurtre de son époux endormi à la tisane stupéfiante pour avoir sa nuit d’amour, elle hurle aux femmes présentes: « Mais vous avez toutes envie de coucher avec Johnny! » Ouf, c’était un cauchemar. Johnny repartira avec des caisses de pommard offertes par le mari…
Pour conclure, Chacun sa vie s’achève sur un « En France, tout finit par des chansons » un peu con-con. Et Johnny chantera encore Toute la musique que j’aime. Oui… Les mots ne sont jamais les mêêêêmes. Pas comme chez Lelouch qui touille toujours les vieilles recettes.
CHACUN SA VIE Comédie dramatique (France – 1h53) de Claude Lelouch avec Eric Dupond-Moretti, Julie Ferrier, Johnny Hallyday, Jean Dujardin, Antoine Duléry, Marianne Denicourt, Gerard Darmon, Elsa Zylberstein, Béatrice Dalle, Ramzy Bedia, Déborah François, Christophe Lambert, Mathilde Seigner, Stéphane Groodt, Jean-Marie Bigard, Nadia Farès, Francis Huster, Liane Foly, Chantal Ladesou, Zinedine Soualem, Michel Leeb, Rufus, Samuel Benchetrit, Raphaël Mezrahi, Isabelle Pasco, Vincent Perez. Dans les salles le 15 mars.