Le beau combat de Richard et Mildred
Le 12 juin 1967, les sages de la Cour Suprême des Etats-Unis, à l’unanimité, ont rendu une décision historique en déclarant l’intégralité des lois interdisant les unions mixtes anticonstitutionnelles et en violation du 14e amendement (garantissant que la liberté de choix de se marier ne soit pas resteinte par des discriminations raciales). Le président de la Cour, Earl Warren, rédigea l’arrêt suivant: « En vertu de notre constitution, la liberté d’épouser ou de ne pas épouser une personne d’une autre race relève du choix individuel et ne peut donc être limitée par l’Etat ».
L’histoire des Loving est celle d’un petit couple banal et sans histoire… sinon que Richard Loving est blanc et que Mildred Jeter est noire. Ces deux-là s’aiment et choisissent de se marier. Mais, dans l’Etat de Virginie, le mariage entre un Blanc et une Noire tombe sous le coup de la loi. Alors Richard et Mildred sont partis se marier à Washington. Et ils reviennent chez eux, à Central Point, avec une licence de mariage en bonne et due forme. Mais qu’importe, dans la nuit du 12 juillet 1958, le shérif Brooks et ses hommes débarquent dans la chambre conjugale des Loving. « Qu’est-ce que tu fais dans ce lit avec cette femme? » Richard a beau montrer sa licence de mariage: « Ca ne vaut rien, ici! » constate le policier. Richard et Midred se retrouvent en cellule au poste de police. Richard sortira vite au prix d’une caution. Mais on ne lui laissera pas payer la caution de sa femme qui passera cinq jours sous les verrous en attendant qu’un juge statue sur son sort… Le drame, c’est que le juge ordonnera que les Loving quittent l’Etat de Virginie immédiatement et qu’ils n’y reviennent plus, ensemble ou en même temps, pendant 25 ans.
Avec Loving, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes (mais resté bredouille au palmarès), Jeff Nichols s’attache à une affaire judiciaire qui a marqué l’Amérique. Mais le cinéaste de Take Shelter (2011) et de Mud (2013) a choisi de ne pas faire le « film de prétoire » auquel aurait parfaitement pu se prêter le dossier « Loving contre l’Etat de Virginie ». Ce qui intéresse Nichols, c’est la sérénité tranquille d’un couple qui doit faire face au racisme et à la ségrégation. Or si Richard et Mildred sont sereins, c’est parce qu’ils s’aiment d’un amour extraordinaire et magnifique. C’est la pureté de cet amour qui est au coeur de Loving. Le cinéaste va alors détailler les obstacles qui se dressent sur le parcours du couple. Face aux embûches, aux vexations, à une loi inique, les Loving montrent une impressionnante détermination. Parce qu’ils sont habités d’une double certitude: la force de leur amour et le droit de vivre à l’endroit où ils sont nés.
A cet instant, Loving prend les allures d’une pastorale. Nichols filme, en plans larges, une nature verte, paisible, lumineuse, personnage à part entière d’un récit intimiste qui montre aussi une communauté où Noirs et Blancs, réunis par la même pauvreté, cohabitent sans heurts. Ainsi, Richard entraîne Mildred, à bord de sa grosse Ford Victoria, sur un chemin de campagne et s’arrête pour lui montrer un champ. Il vient de l’acheter pour construire leur maison… Mais, pour cela, il faudra aux Loving franchir bien des étapes. Car il est dur d’entendre un juge proclamer: « Dieu tout-puissant a créé les races blanche, noire et jaune et rouge, et les a placées sur des continents séparés. Et si l’on ne vient pas perturber Son ordonnancement, il n’y a aucune raison pour que ce type de mariage existe. Car s’Il a ainsi séparé les races, c’est parce qu’il n’avait pas l’intention qu’elles se mélangent ». Mais Richard et Mildred n’ont rien à faire que « le moineau et le rouge-gorge ne se mélangent pas ».
Pour la première fois avec Loving, Jeff Nichols travaille sur une intrigue dont il n’est pas l’auteur. Il trouve pourtant, notamment lorsqu’il évoque la nature et les relations entre les personnages, le ton élégant et fort qui faisait le charme du sudiste Mud. Surtout, il a pu s’appuyer sur une paire d’acteurs épatants. L’Australien Joel Edgerton, (vu dans Warrior et dans Midnight Special, le précédent film de Nichols) compose le personnage d’un maçon taiseux dont le visage, sous des cheveux blonds en brosse, peut se fermer complètement puis s’éclairer d’un mince sourire plein de tendresse. Pour interpréter Mildred surnommée Brindille, Nichols a découvert Ruth Negga, une comédienne éthiopienne par son père et irlandaise par sa mère. D’abord timide et fermée, sa Mildred va peu à peu se transformer, sinon en militante, du moins en femme décidée à faire entendre sa voix et son droit. Ruth Negga concourt, aux prochains Oscars, pour le titre de meilleure actrice.
Dans l’Amérique de la fin des années 50 et du début des années 60, Loving pointe aussi le poids grandissant des médias. Mildred, qui a suivi à la télévision, la fameuse Marche de Washington conduite par Martin Luther King, écrit à Bobby Kennedy, alors ministre de la Justice, pour exposer son cas. Kennedy transmettra le dossier à l’Union américaine pour les droits civiques. Bernard Cohen, avocat de l’ACLU, bientôt secondé par son confrère Philip Hirschkop, lancera la procédure qui montera jusqu’à la Cour Suprême. Pour cela, ils activeront la presse (Life Magazine consacrera un reportage aux Loving avec des photos fameuses de Grey Villet) et la télévision qui filmera le couple chez lui ou à la sortie des prétoires. Lorsque Cohen et Hirschkop, conscients qu’ils vont peut-être changer la Constitution de leur pays, partiront pour plaider devant la Cour Suprême, Cohen demande à Richard s’il a quelque chose à dire au juge… « Dites-lui que j’aime ma femme », dira simplement Richard.
Tous les 12 juin, on célèbre, aux Etats-Unis, le Loving Day en souvenir de l’arrêt de la Cour Suprême. On pourra désormais y projeter aussi ce beau film émouvant et sobre qu’est Loving.
LOVING Comédie dramatique (USA – 2h03) de Jeff Nichols avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas, Nick Kroll, Terry Abney, Alano Miller, Jon Bass, Christopher Mann, Sharon Blackwood, Winter Lee Holland, Michael Shannon. Dans les salles le 15 février.