Non, Guillaume Canet n’est pas fini…
L’entreprise a, au moins, le mérite d’être originale. Et de démontrer qu’on peut, après tout, imaginer un film avec n’importe quel sujet. Le tout étant, évidemment, d’avoir le talent de transcender une douleur en oeuvre d’art. Car, qu’on le veuille ou non, il y a bien une douleur, ici, qui mêle le questionnement sur la notoriété avec la crise de la quarantaine. Alors qu’il était en pleine promotion de La prochaine fois, je viserai le coeur de Cédric Anger, une journaliste lançait à Guillaume Canet qu’il n’était pas très rock à ses yeux, avec ses chevaux, sa femme, son fils. Bref, que tout cela n’était pas très sexy…
A l’époque, le comédien et réalisateur sortait d’une période difficile marquée par le gros échec de Blood Ties. Canet avait entrepris de mettre en scène le remake des Liens du sang (2008) réalisé par Jacques Maillot, histoire de deux frères, l’un truand, l’autre flic qu’il interprétait. Transposée dans le New York des années 80, cette aventure, pourtant portée par un beau casting et mis dans la lumière par le Festival de Cannes 2013, ne rencontra pas le public. D’où une solide déprime du cinéaste, une envie de tout larguer, de renoncer au cinéma…
Fort heureusement, Guillaume Canet a pris du recul, s’est posé, a repris goût à la vie. Et puis est venue cette interview… qu’on retrouve, quasiment à l’identique, dans Rock’n roll. La journaliste du magazine Elle évoque un « passage de relais » avec Gaspard Ulliel ou Pierre Niney et lui balance donc qu’il n’a pas une image sexe-drogue-rock’n roll. Tandis que le visage de Guillaume Canet s’obscurcit, sa jeune partenaire Camille Rowe enfonce le clou. L’autre soir, avec des copines, elles ont dressé la liste des acteurs français qu’on aimerait bien niquer. Et, de fait, Guillaume n’y était pas. « Difficile de fantasmer, assène encore Camille, sur un mec qui rentre tous les soirs à la même heure ». Surtout que, chez lui, il y a, sur les murs, une magnifique collection de coucous spécialement kitsch…
Avec un bel humour et un fort sens de l’autodérision, Guillaume Canet s’amuse donc à passer son image à la moulinette et à se moquer de la notoriété. Que ce soit sur un plateau de cinéma où il vit de plus en plus mal de jouer les pères de famille face à une gamine pimpante, dans les bars où il prend des vents, dans sa famille même où il semble avoir du mal à trouver sa place face à une Marion Cotillard sur son nuage de star. Point d’autre solution: Guillaume Canet doit devenir rock’n roll. Mais le perfecto et les chaînes, ni même une petite ligne de coke n’y suffiront pas.
En se mettant en scène dans son propre rôle, en embarquant Marion Cotillard, ses amis et ses parents (délicieux commentaire de son père sur son fils cavalier) dans son gros délire, Canet s’amuse joyeusement de la crise de la quarantaine, de son look de gendre idéal ou des dérives de la presse à scandales comme des manieurs de selfies. Il se découvre un kyste au testicule gauche et son urologue soupire: « Nous sommes tous égaux devant la prostate. Ca change des tapis rouges! » Ses producteurs, les frères Attal, aimeraient beaucoup qu’il songe à une sorte de docu-fiction sur… Marion Cotillard. Et sur le tournage, le comédien devient de plus en plus insupportable… Alors, Guillaume Canet va commettre l’irréparable. Dont on ne dira rien ici pour préserver le plaisir du spectateur. Tout le monde, autour de lui, est médusé, catastrophé, effondré: « Tu n’as pas fait ça! » Et Guillaume Canet de répondre: « Je me sens mieux! »
Dans une bonne première heure, Rock’n roll, cinquième réalisation de Canet après Mon idole (2002), Ne le dis à personne (2006), Les petits mouchoirs (2010) et Blood Ties (2013), est une comédie allègre et enlevée. Marion Cotillard donne toute sa mesure dans la drôlerie où, en perfectionniste fofolle, elle apprend l’accent québecois pour tourner dans le prochain film de Xavier Dolan… On y trouve aussi des rêves et des cauchemars et même des chansons avec un clin d’oeil à Céline Dion ou au Demis Roussos de Quand je t’aime. Les caméos sont savoureux avec Kev Adams souhaitant à Canet « une belle et longue fin de carrière » mais surtout avec Johnny et Laeticia Hallyday qui reçoivent un Guillaume Canet venu demander à l’idole des jeunes comment être rock’n roll. En pratiquant à son tour l’autodérision, Johnny est formidable! Sous la coupe de Laeticia, il n’a plus le droit de boire, ni de fumer. Pire, il perd un peu la boule. Tout en étant assez lucide pour observer que le rock a été supplanté par le bio et le sport. « C’est devenu ringard, dit-il, de détruire une chambre d’hôtel… »
Dans la seconde partie, un peu moins forte, le film, en abordant l’obsession de l’apparence, le culte du corps, les contraintes du jeunisme, prend un tour plus parodique, voire grotesque tout en distillant un petit côté pathétique qui fait presque mal. « A l’intérieur, je n’ai pas changé », murmure Guillaume Canet qui a endossé la tenue de Mitch dans la série télé américaine Crocodile Rangers.
Mais tout cela n’est évidemment que du cinéma, façon mise en abyme. Depuis Rock’n roll, Guillaume Canet a terminé Mon garçon, un drame de Christian Carion où il partage la vedette avec Mélanie Laurent. Il doit aussi tourner Le grand bain de Gilles Lellouche et L’amour est une fête de Cédric Anger. Non, Guillaume Canet n’est pas un has-been.
ROCK’N ROLL Comédie dramatique (France – 2h03) de et avec Guillaume Canet et Marion Cotillard, Gilles Lellouche, Philippe Lefebvre, Camille Rowe, Yvan Attal, Alain Attal, Kev Adams, Ben Foster, Maxim Nucci, Yarol Poupaud, Johnny Hallyday, Laeticia Hallyday. Dans les salles le 15 février.