Star et l’envol des rêves
Avec American Honey, on entre directement dans le vif du sujet… Sous le soleil d’un coin perdu de l’Amérique profonde, Star, en compagnie d’une blondinette nommée Kelsey, fouille une benne à ordures… Elle y trouve un poulet sous cellophane qu’elle envoie à Rubin, un petit rouquin qui en joue comme avec un ballon. Le trio tente alors de faire du stop. « Ayez l’air triste! », ordonne Star. Ils n’auront pas de mal…
Avec ce premier film tourné aux Etats-Unis, la cinéaste britannique Andrea Arnold tend un miroir pas franchement sympathique au rêve américain. C’est dans un univers de grande précarité qu’évolue la jeune Star, toujours suivie de ses deux petits frère et soeur. Et lorsqu’ils rentrent chez eux, où le frigo est bien vide, c’est pour trouver un type qui n’hésite pas à peloter Star. Et on comprend alors mieux pourquoi, lorsque Star et les petits font la course vers un supermarché, ils se lancent: ‘Le dernier arrivé est un pédophile! »
Sur l’immense parking du supermarché, Star remarque un gros van d’où sort une bande de garçons et de filles qui lui ressemblent. Avec eux, Jake, un homme à peine plus âgé, qui observe Star… Echange de regards malicieux et de mots taquins. Jake lui propose un boulot. Star se méfie. Jake lui fixe un rendez-vous, le lendemain, au petit matin, devant un motel. Comme Star a une folle envie de prendre le large, elle va devoir se débarrasser de Rubin et Kelsey. Mais sa mère, une femme décavée qui danse et boit dans un saloon, ne l’entend pas de cette oreille. Alors Star prend les jambes à son cou.
C’est en lisant un article d’Ian Urbina paru dans le New York Times en 2007 qu’Andrea Arnold a découvert l’univers de la vente au porte-à-porte. Composées de jeunes gens employés par des sociétés souvent douteuses, ces équipes de démarcheurs vendent des abonnements à des magazines, comme le faisaient les colporteurs d’antan. Fascinée par cette sous-culture, la cinéaste a suivi un de ces groupes, dormant avec eux dans des motels miteux et partageant leur quotidien. Parmi ces jeunes gens, beaucoup quittaient leur foyer pour la première fois. Faire partie d’une telle équipe est plus un mode de vie qu’un véritable travail et les membres de l’équipe sont bien plus que de simples collègues. Ils forment une espèce de famille recomposée passablement foldingue…
Dans ce contexte, la réalisatrice va s’attacher à Star, grande adolescente de 18 ans, volontiers mauvaise tête et attirée par Jake (Shia LaBeouf, vu dans Fury, Nymphomaniac, Sous surveillance, Bobby). Mais lorsque celui-ci, aux ordres de Krystal, la peu commode chef d’équipe, se pique de lui apprendre le métier, Star se rebelle et refuse d’entrer dans les mensonges, tous plus gros les uns que les autres, que Jake distille pour placer ses abonnements. American Honey a parfois des allures documentaires lorsqu’ il détaille la manière d’agir et les discours à tenir selon qu’il s’agit d’un quartier cossu ou d’un milieu pauvre (dans les deux cas, il faut, aux vendeurs, ramener de l’argent) mais, doucement, le film va glisser vers le road trip doublé d’un parcours initiatique.
Avec Jake, Star expérimente le plaisir physique avant de se servir de son corps pour obtenir, ici, d’un trio de cow-boys aguichés par son bagout, là, de quelques chauffeurs routiers, plus tard d’un ouvrier de forage pétrolier, des sommes conséquentes. Mais, en filmant sa comédienne au plus près, en utilisant une caméra très mobile (Andrea Arnold et son cameraman attitré Robby Ryan travaillent en équipe réduite), la cinéaste parvient à atténuer le côté franchement sinistre que pourrait avoir son récit. Sans doute parce qu’elle compense le glauque par une dimension naturelle presque idyllique. Entre les levers de soleil et la nuit tombée, elle s’ingénie à filmer une vie grouillante avec des papillons, des mouches, des oiseaux, un écureuil volant, des chiens, une tortue, des lucioles et même un ours brun qui viendra, au petit matin, converser avec Star… A cette atmosphère de lumière vibrante et quasiment enchantée, s’oppose celle des innombrables parkings, des motels sans grâce et des highway sans fin qui trimballent longuement les vendeurs à travers le Midwest, de Kansas City à Omaha en passant par Rapid City ou Pine Ridge…
Couronné d’un prix du jury à Cannes 2016, American Honey apporte une récompense de plus à Andrea Arnold, déjà distinguée sur la Croisette pour Red Road (2006) et Fish Tank (2009). Avec une musique omniprésente qui constitue la poésie quotidienne de l’équipe, cette déambulation américaine a bien des atouts dans sa manche. Notamment de tenter de cerner les désirs d’avenir de Star. « C’est quoi, ton rêve? » lui demande-t-on. « Personne ne m’a jamais demandé ça! » répond Star qui confesse qu’elle aimerait avoir sa propre maison ou sa propre grosse caravane avec plein d’arbres et plein d’enfants. Un rêve qui va puiser sa réalité loin des bouteilles de whiskey bues au goulot ou des fumettes de crack.
Avec la belle Sasha Lane, 20 ans, qui fait ses débuts au cinéma dans le personnage de Star, American Honey (titre d’une chanson reprise à tue-tête par les jeunes vendeurs entassés dans leur van) est un film assez envoûtant. Qui souffre malheureusement d’être beaucoup trop long. Mais on y trouve des moments très beaux comme cet intermède on the road again où un routier fait un bout de route avec Star tandis que s’élève la voix du Boss, Bruce Springsteen chantant « Rêve, bébé, rêve… Il faut entretenir la flamme… »
AMERICAN HONEY Comédie dramatique (USA – 2h46) d’Andrea Arnold avec Sasha Lane, Shia LaBeouf, Riley Keough, Shawna Rae Moseley, Arielle Holmes, Crystal B. Ice, Verronikah Ezell, Chad McKenzie Cox, Garry Howell, Kenneth « Kory » Tucker, Raymond Coalson, Isaiah Stone, Dakota Powers. Dans les salles le 8 février.