Mia et Sebastian sur les ailes de la danse
Peux-t-on ne pas aimer La La Land? On serait tenté de répondre que non. Car l’unanimité médiatique nous en impose! Même si on trouve que cela peut ressembler, après tout, à un oukaze… Et même l’estimable Télérama se sort d’affaire avec un pour et contre! Que dire du battage autour des Golden Globes! Sept nominations dans cette compétition (qui préfigure ce que seront les résultats des Oscars) et sept trophées. Carton plein. Les Oscars -où le film totalise quatorze nominations- devraient nous valoir la chronique d’un triomphe annoncé…
Evidemment, on est allé voir La La Land. Pas question de bouder simplement parce que tout le monde trépigne de joie. Et d’entrée, on se laisse aller dans son fauteuil tandis que l’écran s’illumine d’un Cinémascope aux couleurs bien flashy et carrément old style. Nous voilà parti pour une célébration du musical de la grande époque. Coup de chapeau à l’élégant Fred Astaire ou au tonique Gene Kelly! Un peu moins à la mythique Ginger Rogers ou à la délicieuse Debbie Reynolds…
Tout commence par une scène d’anthologie. Nous sommes en Californie. Il fait très chaud sur Los Angeles et l’autoroute est bloquée par un gros embouteillage. Dans les voitures, on prend son mal en patience jusqu’au moment où une passagère émerge de l’habitacle et s’élance dans un pas de danse. La caméra s’élève dans un ample mouvement de grue et voilà toute la rocade qui s’éclate dans un ensemble coloré et joyeux tandis que les conducteurs devenus danseurs sautent par dessus les capots. Et puis la circulation reprend. Retour à la « réalité ». Dans sa voiture, Mia ne démarre pas assez vite. Derrière elle, Sebastian s’impatiente, klaxonne, déboîte et se voit répondre par un geste fort peu civil… Mais, on le sait déjà, ces deux-là vont se retrouver, se heurter l’un à l’autre et finir par s’aimer…
Courant les castings, Mia, actrice en devenir, sert, en attendant, des cafés, dans un bar installé au coeur d’un grand studio. De son côté, Sebastian, totalement passionné de jazz, joue du piano dans des clubs miteux pour assurer sa subsistance. L’un et l’autre sont encore bien loin de la vie rêvée à laquelle ils aspirent… Par la grâce du musical, le destin va réunir ces doux rêveurs. Reste à savoir si leur coup de foudre résistera aux tentations, aux déceptions et à la vie trépidante d’Hollywood?
Nourri des grands classiques de Fred Astaire mais aussi des comédies musicales de Jacques Demy (le cinéaste cite Les parapluies de Cherbourg comme une référence absolue), Damien Chazelle s’est lancé, avec La La Land, dans une entreprise dont l’ambition première est de proposer une parenthèse enchantée au public des salles obscures. Exactement comme le faisaient les musicals des années 30 aux Etats-Unis lorsque les spectateurs allaient y chercher un peu de réconfort devant la montée des périls en Europe et devant l’inéluctable entrée en guerre de l’Amérique qui sera chose faite après Pearl Harbour.
Bien sûr, l’Histoire ne se répète pas mais l’époque est de celles qui donnent sans doute envie d’aller oublier le quotidien au cinéma. Mia et Sebastian, eux, sont bien décidés à s’envoler sur les ailes de la danse. Dans une mise en scène qui privilégie des mouvements de caméra tout en fluidité et en courbes, Damien Chazelle associe les trois ingrédients majeurs du musical: la comédie (qui se teinte, ici, d’un brin de mélancolie), le chant et la danse. Comme à l’âge d’or, il suffit d’un lampadaire, d’une nuit tiède et d’une vue sur la ville et ses lumières pour que les deux amoureux se laissent aller à la grâce d’une chorégraphie forcément irréelle mais envoûtante. Rythmant son récit au fil des saisons, Chazelle nous entraîne dans l’appartement que Mia partage avec de jolies colocataires, dans le club de jazz où Sebastian se fait tancer par le patron (Chazelle fait, ici, un clin d’oeil à J.K. Simmons qui fut le terrible professeur Fletcher de son Whiplash) parce que ses interprétations ne sont pas assez « classiques », dans les auditions où Mia a juste le temps de dire une réplique et demi avant d’être remerciée… Mia et Sebastian finiront par aller au bout de leur rêve… Mais pas forcément ensemble. Et La La Land distille alors, dans une belle séquence de boîte de jazz, sa meilleure part de cinéma avec ce sentiment doux-amer d’un amour ballotté par le temps qui passe et qui met à mal les plus beaux rêves.
Célébré dès Whiplash (2014), son second film qui rendait déjà un vibrant hommage au jazz, Damien Chazelle livre, ici, un second hommage. Au musical donc, à ses beaux duos de claquettes, à ces instants où, soudain tandis qu’un couple tournoie, le réel cède la place à la magie de la danse. Le cinéaste de 32 ans a voulu que ses plans-séquences de chorégraphie soient tournés « à l »ancienne », c’est-à-dire sans recours à des effets numériques en postproduction. De la même manière, le duo vedette chante, danse et joue du piano (pour Ryan Gosling) pour de vrai! Remarquée des cinéphiles dans deux films de Woody Allen (Magic in the Moonlight en 2014 et L’homme irrationnel en 2015), Emma Stone a décroché, l’an dernier à la Mostra de Venise, la coupe Volpi de la meilleure actrice pour La La Land. Une récompense justifiée par l’énergie souriante et malicieuse de la comédienne. Ryan Gosling, le mutique chauffeur de Drive (2011) joue, lui, avec aisance la carte du séducteur qui lui va si bien.
Et puis bien sûr, il y a la musique de La La Land signée Justin Hurwitz, vieux complice de Damien Chazelle depuis le lycée. La b.o. comprend sept instrumentaux jazzy plutôt cool et une petite dizaine de chansons interprétées par Emma Stone et Ryan Gosling dont City of Stars qui peut devenir un tube.
Mélodrame virtuose et techniquement maîtrisé, La La Land se regarde avec plaisir. A cette nuance près que le film est trop long d’une bonne vingtaine de minutes.
LA LA LAND Comédie musicale (USA – 2h08) de Damien Chazelle avec Emma Stone, Ryan Gosling, John Legend, J.K. Simmons, Rosemarie DeWitt, Finn Wittrock, Sonoya Mizuno, Calie Hernandez, Jessica Rothe. Dans les salles le 25 février.