En quête d’amour absolu
« Viens mais ne viens pas quand je serai seule / Quand le rideau un jour tombera, / Je veux qu’il tombe derrière moi. / Viens mais ne viens pas quand je serai seule / Moi qui ai tout choisi dans ma vie / Je veux choisir ma mort aussi. / Il y a ceux qui veulent mourir un jour de pluie / Et d’autres en plein soleil, / Il y a ceux qui veulent mourir seuls dans un lit / Tranquilles dans leur sommeil / Moi je veux mourir sur scène devant les projecteurs / Oui je veux mourir sur scène, / Le coeur ouvert tout en couleur /Mourir sans la moindre peine / Au dernier rendez-vous. » C’est avec Mourir en scène que Lisa Azuelos achève cette impressionnante entreprise qu’est Dalida, biopic de l’une des plus grandes dames de la chanson française.
On pourra raconter Iolanda Gigliotti, née au Claire en 1933 dans une famille italienne venue de Calabre et devenue Dalida un jour de septembre 1955 à Paris, sous l’angle des records établis par une immense chanteuse populaire: 2000 chansons à son répertoire, 170 millions de disques vendus, 70 disques d’or, première femme à se produire devant 4000 spectateurs dans dix-huit shows géants au Palais des sports de Paris. Ce n’est évidemment pas cela qui a retenu l’attention d’une cinéaste qui a bataillé longtemps pour faire aboutir son projet. Car si la carrière de Dalida est bien présente dans le film, elle n’est que la toile de fond d’un portrait de femme saisie dans son intimité.
Lisa Azuelos qui sait de quoi elle parle quand elle évoque le milieu de la chanson (elle est la fille de Marie Laforêt), a voulu, ici, balayer dans sa totalité l’existence de Dalida. Il manque probablement des choses dans ce film qui a été ramené de trois heures à un peu plus de deux. Mais on y plonge dans le quartier populaire de Choubra au Caire où la gamine, souffrant des yeux et portant de grosses lunettes, subira les vacheries de ses camarades de classe. On évoque l’ère du disco ou encore les voyages initiatiques de Dalida en Inde. On passe évidemment par le mythique Olympia où, à l’occasion de l’émission hebdomadaire Les numéros un de demain, Bruno Coquatrix, le maître des lieux et Lucien Morisse, directeur artistique de la jeune radio Europe 1, soutenus par Eddie Barclay, le roi du microsillon, cherchent de nouveaux talents… Dalida y interprète Etranger au paradis, un tube de Gloria Lasso. Morisse a le coup de foudre pour la femme, Barclay pour l’artiste et Coquatrix voit en elle le premier sex-symbol du music-hall…
En réussissant à embarquer avec aisance les spectateurs dans son aventure (derrière moi dans la salle, trois fans de la bonne cinquantaine n’en pouvaient plus de vibrer), la cinéaste de LOL (2008) ou d’Une rencontre (2014) livre le double portrait d’une chanteuse solaire et d’une femme absolue, complexe et malheureuse, probablement parce qu’elle a été moderne (et… cougar) avant l’heure. Lisa Azuelos s’attache à cerner la personnalité des hommes qui ont traversé ou compté dans l’existence de Dalida. Son père d’abord, son frère Orlando ensuite, Lucien Morisse qu’elle épousera et dont elle divorcera, non sans admettre plus tard que « c’est l’homme avec qui j’aurais pu vieillir… », Jean Sobieski, jeune peintre bohème, qui la séduit en lui disant: « Je vous trouve très émouvante ». Luigi Tenco, ténébreux et exigeant jeune chanteur italien, dont elle soutiendra la candidature au Festival de San Remo et qui ne supportera pas son échec. On croise également Lucio, un jeune étudiant italien, dont la chanson Il venait d’avoir 18 ans, révélera l’existence ou encore Richard Chanfray, autoproclamé Comte de Saint-Germain, avec lequel elle vivra une passion charnelle de près dix dans…
Si Dalida affirme que la mort rôde autour d’elle, force est de remarquer que trois des hommes de sa vie (Morisse, Tenco, Chanfray) ont mis fin à leurs jours, de la même manière que Dalida le fera à son tour, le 3 mai 1987, en laissant sur sa table de chevet un simple mot: « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi… » Tous ces hommes sont incarnés par des comédiens chevronnés et bien dans leurs personnages qui entourent une débutante, Sveva Alviti. Recrutée parmi un casting de 200 actrices, l’Italienne (qui a passé de nombreuses heures au maquillage pour ressembler à Dalida) est la vraie révélation du film. Que ce soit sur scène ou dans l’intimité des chambres d’hôtel ou de l’hôtel particulier de Montmartre, Sveva Alviti rayonne en femme en quête d’amour absolu et en star totale, régulièrement abattue par des drames et dévorée, dans sa solitude, par une dépression profonde…
Dalida, dont le fil est émaillé par une bonne quinzaine de titres fameux (dont Bambino, Je suis malade ou Gigi l’Amoroso), réveille le souvenir d’un mythe auquel son psychiatre disait: « Vous donnez de l’espoir à des millions de gens » et auquel elle répondait: « Et à moi, qui m’en donne? » Les fans de « Dali » seront au rendez-vous. Les autres peuvent se glisser dans le drame de cette chanteuse qui voulait être une femme normale.
DALIDA Drame (France – 2h04) de Lisa Azuelos avec Sveva Alviti, RIccardo Scamarcio, Jean-Paul Rouve, Micolas Duvauchelle, Alessandro Borghi, Valentina Carli, Brenno Placido, Niels Schneider, Vittorio Hamarz Vasfi, Davide Lorino, Vincent Perez, Patrick Timsit. Dans les salles le 11 janvier.