Et Liliane retourna dans la lumière
Qu’est-ce que ça fait d’avoir été en pleine lumière et de de se trouver dans l’ombre? Liliane Cheverny a participé une année, au mitan des années 70, au concours de l’Eurovision. Cette année, des inconnus suédois l’emportaient avec Waterloo. Bientôt le groupe Abba allait tenir le haut du pavé. Et Liliane est rentrée chez elle. Oh, elle a a bien fait quelques concerts mais l’aventure s’arrêta bel et bien. Que faire lorsqu’on redevient anonyme? Liliane a trouvé du boulot chez Porcluxe, une société de charcuterie industrielle. Elle pose avec application deux feuilles de laurier, quelques baies de goji et de genièvre sur les terrines… Un jour, Jean, un intérimaire, se plante devant Liliane et lui lance: « Vous ressemblez vraiment beaucoup à Laura, la chanteuse de l’Eurovision! » Liliane a beau nier, le vers est dans le fruit.
Avec Souvenir, le cinéaste flamand Bavo Defurne tourne son second long-métrage après Noordzee, Texas (2011) qui mettait en scène Pim, un adolescent qui vit avec sa mère et tombe amoureux de Gino, son meilleur ami. Cette fois, le cinéaste flamand propose une histoire d’amour absolument romantique qui est aussi une métaphore de la célébrité. Liliane Cheverny a tourné la page. Mais, dans son petit appartement, trône toujours un piano blanc. Quand, dans la routine de sa solitude, Liliane prend le bus pour rentrer chez elle, elle lit The Bleeding Heart de Marilyn French et doit sans doute se retrouver dans les personnages cabossés de l’écrivain américaine. Chez elle, les bouteilles d’alcool voisinent avec les comprimés effervescents tandis qu’elle regarde, l’air absent, une sorte de Questions pour un champion à la télévision. Or, un soir, il est question d’une chanteuse qui avait concouru à l’Eurovision, qui avait divorcé de son manager et qui était tombée dans l’oubli…
Lorsque Jean, avec toute sa fraîcheur (il lui dit: « Mes parents vous adorent! ») vient réveiller ses souvenirs, Liliane, d’abord, sur la défensive, se laisse petit à petit prendre au jeu. Elle s’amuse d’abord de ce type de 22 ans, qui rêve de devenir boxeur professionnel, et qui la regarde avec es yeux d’enfant et bientôt avec un désir d’homme. Et le spectateur accepte, comme il va de soi dans une romance, qu’ils soient totalement faits l’un pour l’autre. Mieux, au contact de Jean, l’univers terne de Liliane s’éclaire tandis qu’elle se prépare à retourner dans la lumière. Quitte à devoir repasser par la case du manager/compagnon qui la largua autrefois et faire de la peine à Jean qui s’est propulsé, avec son joli costume, dans le rôle de l’impresario.
Pour incarner cette Liliane qui s’éveille à une deuxième vie et à une seconde chance, Bavo Defurne a la chance de pouvoir compter sur Isabelle Huppert. On l’avait quitté dans Elle de Paul Verhoeven où elle donnait toute sa mesure en femme inébranlable soudain emportée dans une vengeance perverse. On la retrouve, tout à son aise, dans un mélodrame tendre et rose où une femme voit son aura disparue ressurgir comme par miracle. Et, une fois encore, Huppert surprend et séduit, s’offrant même quelques séquences chantées avec un allègre « Joli garçon, bras de béton, coeur de bonbon… Je dis oui! », chose qu’elle n’avait plus faite, me semble-t-il, depuis son Augustine hypocondriaque du 8 femmes (2002) de François Ozon…
Enfin, cerise sur le gâteau, Bavo Defurne a eu la chance de « recruter » Pink Martini, les Américains de Portland, qui signe, ici, sa première musique de film… Thomas Lauderdale, le leader d’un groupe, fort de douze membres, qui mêle rétro, jazz, musique latine, lounge et classique dans un brillant melting-pot musical, a eu l’idée, avec le cinéaste, de composer en live sur les images de Souvenir, comme Miles Davis l’avait fait, en 1957, pour Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle.
Pour inscrire Souvenir dans un univers magique, dans un monde de rêve, le cinéaste a beaucoup travaillé sur les lumières, les couleurs, les costumes et bien entendu les décors. Il a trouvé au Luxembourg des abattoirs dans lesquels il a fait installer la froide usine de charcuterie. Quant à l’appartement de Liliane, il relève d’une esthétique pour laquelle Defurne s’est inspiré des films de Douglas Sirk, Fassbinder ou Almodovar… Tout cela permettant à Jean d’ouvrir la boîte de Pandore d’où apparaîtra une nouvelle Liliane…
Le cinéma belge nous a habitué à une description d’une réalité sociale forte avec les frères Dardenne ou à des atmosphères sombres avec des films comme Les premiers les derniers (2016) ou Les Ardennes (2015). Si vous avez envie de vous faire plaisir avec une oeuvre (faussement) naïve et d’un romantisme assumé, allez voir Souvenir. Comme, d’habitude, Isabelle Huppert distille une palette d’émotions contenues. On avait découvert Kevin Azaïs dans Les combattants (2014) en compagnie d’Adèle Haenel. Ici, il est touchant en jeune type qu’une ancienne star fait rêver, les yeux ouverts et Bavo Defurne n’hésite pas à le comparer, pour ses côtés à la fois élégant et brut, aux (bons) acteurs des années quarante.
SOUVENIR Romance (Belgique – 1h30) de Bavo Defurne avec Isabelle Huppert, Kevin Azaïs, Johan Leysen, Benjamin Boutboul, Carlo Ferrante, Jan Hammenecker. Dans les salles le 21 décembre.