Sully, un héros américain
« J’ai fait de mon mieux… » Le capitaine Chesley ‘Sully’ Sullenberger semble se la jouer modeste… Mais le pilote qui a réussi ce que les médias américains ont nommé « le miracle de l’Hudson », est surtout du genre peu bavard, un professionnel aguerri qui n’a pas beaucoup de goût pour la frime.
Le 15 janvier 2009, le vol 1549 de l’US Airways décolle de l’aéroport La Guardia à New York à destination de Charlotte, en Caroline du Nord. Le capitaine Sullenberger est aux commandes, avec, à ses côtés, le co-pilote Jeff Skiles. A bord, 155 passagers et membres d’équipage. Quelques minutes seulement après le départ, l’avion subit de nombreux impacts d’oiseaux. Rapidement, les deux réacteurs prennent feu et tombent en panne… Pour Sully, il s’agit de prendre au plus vite les bonnes décisions. Le contrôle aérien lui propose de revenir sur La Guardia ou de tenter d’atteindre un autre aéroport dans le New Jersey. Persuadé qu’il ne parviendra pas à ramener le vol 1549 sur l’une ou l’autre de ces pistes, Sully décide de tenter un amerrissage sur l’Hudson…
Après avoir sorti, la même année 2014, un Jersey Boys qui ne rencontra pas l’adhésion du public et un American Sniper qui fit chauffer le box-office mondial, Clint Eastwood s’est attelé à l’adaptation et à la mise en scène de Highest Duty, le livre écrit en 2009 par Chesley Sullenberger et Jeffrey Zaslow. Dans un film qui relève clairement du biopic, le réalisateur s’est attaché, au-delà du drame du crash de l’avion, à un aspect précis: alors que Sully était salué par l’opinion publique et les médias pour son exploit inédit dans l’histoire de l’aviation, une commission a ouvert une enquête, menaçant de détruire la réputation et la carrière du commandant de bord. « J’ai 42 ans de carrière, constate, amer, le pilote. J’ai transporté un million de passagers et on me juge pour 208 secondes ». Quelques poignées de secondes où Sully a fait le choix de poser son appareil sur les eaux glaciales de l’Hudson, sauvant probablement de la mort, l’ensemble de ceux qui se trouvaient à bord du vol 1549.
Dans une mise en scène très classique -que les méchantes langues qualifieraient de « à l’ancienne »- Eastwood ouvre son film sur un homme hanté par les souvenirs tout récents de son aventure. Sully se réveille en sursaut tandis que son avion vient de heurter un gratte-ciel new-yorkais avant d’exploser, dans une gerbe de flammes, contre un autre bâtiment… Le pilote est dans une chambre d’un grand hôtel et il attend de comparaître devant une commission qui remet en cause les choix de Sully… Et le chauffeur de taxi qui le salue en « héros » en montrant la une de son journal, ne lui arrache qu’un pâle sourire. Car les enquêteurs cuisinent le pilote: alcool? drogues? problèmes conjugaux? Pire, ils s’appuient sur des tests réalisés sur des simulateurs de vol qui prouvent que le vol 1549 pouvait bien retourner se poser à La Guardia…
Même si Sully ne se hisse pas à la hauteur d’un thriller noir comme Mystic River (2003), de la puissance émotionnelle de Million Dollar Baby (2004) ou de la densité mortifère d’Impitoyable (1992), on comprend aisément que le cinéaste ait montré de l’intérêt pour l’aventure de Chesley Sullenberger. Comme nombre d’antihéros qui traversent les réalisations d’Eastwood, le capitaine est un survivant, un homme qui ne doit rien à la société et qui est entièrement responsable de ses actes. C’est aussi un individu isolé (même si son co-pilote le soutient et l’admire) qui doit faire face à ses doutes et dont l’univers privé et professionnel est menacé de ruine…
Héros ou imposteur? Les médias qui ont d’abord célébré l’exploit de Sully, en viennent à s’interroger. Face aux questions, Sully s’interroge à son tour: « Et si j’avais merdé? » Aux enquêteurs, Sully lance: « Vous cherchez l’erreur humaine! » et rétorque: « On a fait notre boulot ». Mieux, Sully ne s’attribue pas, seul, le mérite d’avoir sauvé 155 personnes: « Nous avons accompli cela ensemble », associant son co-pilote, les hôtesses, les passagers, les sauveteurs, les policiers…
Pour ce film qui est, à ce jour, le plus court de sa carrière, Clint Eastwood a mis, une fois de plus, en oeuvre les vertus habituelles de sa mise en scène: clarté, précision, pudeur et compassion. Il a traité proprement le côté « film-catastrophe » de son projet mais c’est évidemment à Sully que le cinéaste de 86 ans a prêté l’essentiel de son attention. Et il a trouvé, en Tom Hanks (avec lequel il travaillait pour la première fois), un interprète au diapason. Pas vraiment en forme dans le récent Inferno, Tom Hanks est, ici, un intéressant Sully taiseux qui glisse: « J’ai fait ça au jugé » et avoue: « Je déteste ne pas être en contrôle ».
Emaillé de quelques bons mots (« Quelle est la seule manière de quitter La Guardia à l’heure? Partir de JFK! »), Sully rend aussi compte de la morosité qui, alors, régnait en Amérique et à New York. En 2009, la crise est encore présente dans toutes les mémoires: « C’est le plus beau jour de l’année! » dit un personnage à propos du « miracle » réalisé par Sully et un autre, évoquant le 11 septembre, observe: « Voilà longtemps qu’on n’avait pas eu de si bonnes nouvelles de New York, surtout concernant l’aviation »…
Enfin, restez jusqu’au bout du générique de fin, Clint Eastwood y a placé de vraies images de Sully Sullenberger retrouvant, lors d’une cérémonie amicale, les passagers, tous rescapés, du vol 1549.
SULLY Drame (USA – 1h36) de Clint Eastwood avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney, Valerie Mahaffeyn, Delphi Harrington, Mike O’Malley, Anna Gunn, Katie Couric. Dans les salles le 30 novembre.