Les fantômes magiques des soeurs Barlow
« Pourquoi, on ne voit pas les étoiles, le jour? » C’est, le nez à la fenêtre d’une voiture et les yeux dans le ciel, la jeune Kate Barlow qui pose la question… On songe alors à ce propos d’un philosophe qui disait: « C’est la nuit qu’il est bon de croire à la lumière ». Avec Planétarium, on entre, de plain-pied, dans un univers qui va constamment de l’ombre à la lumière, du rêve à la réalité et retour…
Nous sommes dans le Paris de la fin des années trente et deux médiums américaines, les soeurs Barlow, se produisent dans une cabaret, impressionnant le public par leur capacité à faire apparaître les esprits… « Ce n’est pas un spectacle, clame le patron des lieux, c’est une expérience! ». De fait, les soeurs Barlow promettent de « révéler ce que vous avez perdu » et une mère éplorée croira bien entendre, dans la voix de Kate, celle de son enfant disparu… Dans l’ombre du cabaret, un homme aux cheveux gris, est sous le charme des deux Américaines. Et comme celles-ci proposent aussi des séances privées, l’homme ne tardera pas à inviter les médiums dans sa grande demeure. « Etes-vous prêt, André, à nous laisser entrer? » Et l’homme vivra une « rencontre » qui lui tordra la tête et le laissera pantois.
Mais, pour les deux médiums, André Korben a d’autres projets. Producteur de cinéma, il imagine un film follement ambitieux qui permettra, sans trucages et grâce au don des soeurs Barlow, de fixer sur la pellicule, les apparitions de fantômes… Investissant son argent et secouant les instances du cinéma français qu’il accuse de somnoler, André Korben entraînera, sous le regard de Kate, Laura Barlow dans un autre monde des artifices et de l’illusion.
A 36 ans, Rebecca Zlotowski a déjà donné deux films remarqués et ancrés dans un réel naturaliste. En 2010, Belle Epine plongeait une adolescente paumée dans l’univers nocturne des courses de moto sauvages de Rungis. Puis, en 2013, Grand Central racontait le parcours de Gary, jeune ouvrier peu qualifié embauché, par un sous-traitant, dans une centrale nucléaire de la vallée du Rhône. Dans le danger quotidien de la contamination radioactive, Gary vivra aussi une histoire d’amour avec la compagne de l’un de ses collègues.
Avec Planétarium, la cinéaste entre dans un autre univers… Elle s’attaque à une oeuvre ambitieuse, un film en costumes, qui évoque, tout à la fois, le monde du cinéma et les heures noires qui frappent aux portes de l’Europe, ce « cimetière à ciel ouvert » dont parle les soeurs Barlow.Tandis que la belle Laura s’avance, à petits pas, dans le cinéma, André Korben, doutant de ce qu’il recherche mais amoureux de Laura Barlow, bataille avec ses actionnaires (l’un d’entre eux lui lance: « Une société comme la nôtre ne peut pas être dirigée que par les rêves d’un seul ») et avec Servier, son réalisateur qui ne voit pas l’intérêt de filmer de « vrais » esprits quand les trucages -on dit, aujourd’hui, effets spéciaux- font très bien l’affaire…
Le charme de Planétarium, c’est qu’en vrai film d’aventures, il brasse, avec brio et bonheur, des thématiques aussi diverses que le spiritisme, la sororité, la fabrication d’une famille, la montée des extrémismes et du nazisme en Europe, le portrait d’une vedette naissante, le cinéma des années trente. Pour cette puissante histoire imprégnée de magie, Rebecca Zlotowski s’est inspirée du destin des trois soeurs Fox, spirites américaines du 19e siècle et aussi du destin tragique de Bernard Natan, producteur juif, patron en 1929 de la société Pathé, victime d’une campagne antisémite reposant notamment sur des rumeurs de pornographie, livré, en 1942, par les autorités françaises aux nazis et mort à Auschwitz. Mais Planétarium se démarque aussi de cette réalité historique pour jouer la belle carte de la fiction, qu’il s’agisse des séquences de tournage, des expérimentations scientifiques autour des médiums ou encore du souvenir tragique d’André Korben revoyant son vieux père (incarné par le propre père de la cinéaste) qui l’interpelle en yiddish…
Regrettant de n’avoir pu se consacrer aux comédiens autant qu’elle l’aurait voulu dans ses deux premiers films, Rebecca Zlotowski s’est largement rattrapée avec Planétarium. Avec Natalie Portman (qu’on verra bientôt en Jackie Kennedy dans le film de Pablo Larrain et dans les prochains Xavier Dolan et Terrence Malick. Excusez du peu!), elle bénéficie de la présence d’une vraie star américaine, oscarisée pour Black Swan (2010). Développant un jeu d’une fluidité confondante, Natalie Portman est superbe dans le personnage de cette Laura qui passe des fantômes du spiritisme aux spectres du 7e art. A ses côtés, Lily-Rose Depp, vue récemment en Isadora Duncan dans La danseuse, profite d’un vrai scénario pour camper une Kate joyeuse puis souffrante.
Et puis, on est ravi de retrouver, dans le rôle de Korben, l’excellent Emmanuel Salinger qui fut le comédien de Desplechin dans La vie des morts (1991), La sentinelle (1992) et Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) (1996) tout comme de revoir, certes dans deux courtes séquences, l’étonnant David Bennent, le formidable Oskar du Tambour de Schlöndorff.
Ne faites pas attention au titre (qui fait songer à un documentaire de La Géode) et régalez vous de cette oeuvre crépusculaire et… hitchcockienne qui fait la part belle au cinéma (« On joue parce qu’on aurait envie de vivre plus intensément. Alors, on s’en veut et on fait des films ») et à ses mystères tout en faisant un parallèle entre l’avant-guerre et sa catastrophe proche et la montée des populismes d’aujourd’hui.
Dans l’ultime séquence du film, Laura Barlow est de retour sur les plateaux de cinéma. Et la caméra la cadre, rayonnante, disant: « Demain sera une journée magnifique, absolument magnifique ». Le cinéma pour rêver encore, contre l’horreur…
PLANETARIUM Drame (France – 1h45) de Rebecca Zlotowski avec Natalie Portman, Lil-Rose Depp, Emmanel Salinger, Amira Casar, Pierre Salvadori, Louis Garrel, David Bennent, Damien Chapelle. Dans les salles le 16 novembre.