Le rêve éveillé de Polina
Une petite fille blonde marche dans la neige entre d’imposantes tours de refroidissement et de tristes barres d’immeubles… La nuit tombe sur cette banlieue de Moscou où la vie de Polina se résume à la danse. Elle a commencé à l’âge de 4 ans, pèse aujourd’hui 25 kilos pour 1,26 mètre et a de longues jambes. Sous l’oeil noir de Bojinski, l’impénétrable maître de ballet (Aleksei Guskov, vu dans Le concert ou L’idéal) la gamine à chignon serré répète encore et encore les « tendu », « sauté », « échappé », « chassé », « plié », « arabesque » en rêvant de passer l’audition du célèbre théâtre Bolchoï. A Bojinski qui lui demande: « C’est quoi pour vous danser? », elle ose répondre: « Ca vient tout seul ». Tout faux! Pour l’homme qui ne se déride jamais, tout n’est que travail, rigueur et exigence.
Réalisatrice de documentaires et de courts-métrages, Valérie Müller est venue au « long » en 2013 avec Le monde de Fred, une comédie entre théâtre et… foot. Pour son second long-métrage, elle travaille en couple avec Angelin Preljocaj, chorégraphe de réputation internationale, qui aborde, ici, son premier film de fiction après des courts-métrages, des publicités ou des réalisations mettant en scène ses chorégraphies.
Dans la Russie des années 90, la jeune Polina est une danseuse classique prometteuse. Alors qu’elle s’apprête à intégrer le prestigieux ballet du Bolchoï, elle décide, au grand dam de ses parents, de tourner le dos au ballet classique pour tenter l’aventure de la danse contemporaine. Une démarche qui va bouleverser profondément son existence, voire faire vaciller tout ce en quoi elle croyait… Suivant Adrien, un jeune danseur français qui travaille à Moscou, Polina abandonne une possible carrière au Bolchoï avec ses virtuoses exceptionnels et son « plus grand répertoire du monde » pour partir à Aix-en-Provence et se former sous la direction de la talentueuse chorégraphe Liria Elsaj et tenter aussi de trouver sa propre voie.
Pour leur Polina, Müller/Preljoaj se sont appuyés sur Polina, une bande dessinée de Bastien Vivès, parue chez Casterman en 2011, qui raconte le parcours d’une jeune surdouée (bien que peu souple) de la danse classique qui lutte pour atteindre les sommets. Les deux cinéastes, outre le graphisme magnifique de la BD, ont aimé le fait que Vivès évite totalement les poncifs, comme par exemple l’anorexie ou les incessantes rivalités, des récits de danseuse et montre la nécessité de l’obstination et de l’endurance. Mais, dans son scénario, Valérie Müller a pris des libertés dans la narration, modifiant aussi le parcours d’une Polina qui ne devient pas danseuse étoile mais chorégraphe émergente…
Dans ce trajet d’une artiste, les réalisateurs vont mettre largement l’accent sur la relation forte qui s’installe entre Polina et Bojinski (dont on apprend qu’il est mal vu des autorités russes parce qu’il a utilisé des musiques de compositeurs américains), dans ce rapport maître-élève qui repose sur la crainte, le respect et une formation spartiate qui n’autorise aucun relâchement. Le film met aussi en lumière la part de la famille de Polina, des gens modestes qui se saignent pour que leur fille réussisse, quitte pour Anton, le père (Miglen Mirtchev vu dans Moebius ou la série Le bureau des légendes) à s’acoquiner avec la pègre moscovite…
Lorsque Polina rejoindra Aix-en-Provence et une chorégraphe (Juliette Binoche éclatante) qui affirme: « Toutes mes oeuvres parlent de l’absence, du manque » (à l’instar des chorégraphies de… Preljocaj), le film apparaît alors moins consistant. Il est vrai que, dans sa quête de danse, la vie de Polina devient plus compliquée entre galères, blessures, petit boulot de serveuse dans un bar enfumé d’Anvers… Mais, on s’en doute, Polina parviendra à caresser de près son rêve lorsque le programmateur d’un festival verra sa chorégraphie (imaginée par Preljocaj) qu’elle interprète avec son ami Karl (Jeremie Bélingard, danseur étoile à l’Opéra de Paris) sous la neige et dans un décor de bouleaux…
Polina, qui devrait toucher principalement ceux qui aiment la danse, qu’elle doit classique ou contemporaine, doit beaucoup à la gracieuse Anastasia Shevtsova dans sa première expérience de cinéma. Choisie au terme d’un casting en Russie qui réunit plus de 600 jeunes danseuses, la belle Anastasia, 20 ans, avec ses grands yeux clairs et sa silhouette longiligne, est rayonnante de beauté et d’énergie.
POLINA, DANSER SA VIE Comédie dramatique (France – 1h48) de Valérie Müller et Angelin Preljocaj avec Anastasia Shevtsova, Veronika Zhovnytska, Niels Schneider, Jeremie Bélingard, Juliette Binoche, Aleksei Guskov, Sergio Diaz, Miglen Mirtchev, Kseniya Kutepova. Dans les salles le 16 novembre.