Le geek qui affola l’Amérique
Si l’on en croit Michael Morell, l’ancien directeur adjoint de la CIA, les révélations d’Edward Snowden sur l’étendue et la profondeur de la surveillance américaine , ont été « la divulgation d’informations confidentielles la plus grave de toute l’Histoire du Renseignement américain ». Parole d »expert, donc. Qu’Edward Snowden et son aventure aient pu intéresser un cinéaste comme Oliver Stone apparaissait comme une évidence, tant le réalisateur de Né un 4 juillet, Nixon ou JFK n’aime rien tant que de tendre un miroir à l’Amérique. Un miroir quand lequel elle ne se voit pas sous son meilleur jour…
Avec Snowden, le vétéran Stone repart donc au « combat ». Cette fois, dans sa ligne de mire, les atteintes aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux des Américains et, accessoirement, du reste du monde. Le dernier opus en date de Stone démarre, en juin 2013, dans un grand hôtel de Hong-Kong. Edward Snowden y a donné rendez-vous à une cinéaste et un journaliste. Il a décidé de leur révéler comment la NSA, organisme gouvernemental, émanation du département de la Défense des Etats-Unis, chargé du renseignement d’origine électromagnétique et de la sécurité des systèmes d’information, espionne la planète entière.
Les faits sont réels. Snowden a bien rencontré, à Hong-Kong, Laura Poitras, documentariste américaine reconnue, Glenn Greenwald, journaliste politique et blogueur et Ewen MacAskill, reporter au Guardian de Londres. Réparti sur une série de rendez-vous pendant huit jours avec Snowden, leur travail d’investigation, véritable scoop du siècle, a donné naissance, en 2014, à Citizenfour, un documentaire de près de deux heures dans lequel le lanceur d’alerte détaille la surveillance mondiale généralisée. Citizenfour (disponible en DVD chez Blaq Out) obtiendra, en 2015, l’Oscar du meilleur film documentaire.
Si Oliver Stone sent bien le potentiel de l’histoire et s’il a reconnu dans la démarche de Snowden, l’acte de quelqu’un de motivé par des idéaux et des principes proches de ceux qu’il défend à à travers son cinéma, le cinéaste n’est pas certain de vouloir se lancer dans l’aventure d’un film. Echaudé par l’échec de son projet sur les derniers jours de Martin Luther King pour lequel il s’est longtemps battu sans succès, Stone disait: « Je ne m’approcherai plus de ces idéalistes, ces hommes de conscience. Ils me brisent le coeur ». Finalement, c’est le producteur Moritz Borman, collaborateur de longue date de Stone, qui va mettre l’affaire en marche. Elle prendra vraiment forme lorsque le cinéaste américain prendra l’avion de Chine jusqu’à Moscou pour rencontrer Snowden en personne… Le scénario, lui, s’élaborera autour d’un livre d’un journaliste du Guardian qui raconte, de l’intérieur, la publication des révélations de Snowden par son journal…
Snowden va donc raconter par le menu l’histoire d’un garçon qui voulait s’engager dans les Forces spéciales pour servir son pays mais qui sera réformé parce que ses jambes, plusieurs fois cassées, ne lui permettent pas d’intégrer le service actif. « On peut servir son pays autrement », lui dira le médecin qui le réforme. Alors, Snowden, surdoué de l’informatique, rejoindra les rangs de la CIA et de la NSA où ses capacités feront merveille. Oliver Stone s’attache donc à montrer un geek, d’abord émoustillé par les outils dont il dispose dans les deux agences et qui va, lentement, mesurer l’ampleur de de la surveillance des citoyens de la planète. L’un des formateurs qui va s’attacher à Snowden, lui fait remarquer: « Une bombe n’arrête pas le terrorisme. Un cerveau, oui. Et on en manque! » Le jeune prodige oeuvrera donc à défendre l’Amérique sur ce théâtre d’opération moderne qu’est le cyberespace. Aux candidats qui postulent à rejoindre la NSA, un instructeur lance: « S’il y a un autre 11 septembre, ce sera de votre faute… » Un argument qui sonne bien à l’oreille de Snowden. Mais c’est lorsque, devant un ordinateur, il regarde, en compagnie d’un collègue, les images d’une caméra filmant, à son insu, une jeune femme qui se dévêt, que le geek commencera à ouvrir les yeux. D’autant que son collègue lui explique, avec candeur: « C’est comme une recherche Google dans tout ce qui est public et… ce qui ne l’est pas ».
Parce que le personnage de Snowden est quand même essentiellement collé à son écran et qu’il est tout sauf spectaculaire, Oliver Stone va développer, ici, la forte relation amoureuse qui unit Snowden et la charmante Lindsay Mills. Entre le programmeur de la CIA qui ne peut pas clairement dire quelles sont ses activités et la photographe aux aspirations démocrates, sinon « gauchistes », va cependant se développer une intimité et une alchimie qui dure encore. De fait, c’est la tonique et aimante Lindsay (Shailene Woodley) qui endosse le rôle du « héros » haut en couleurs. Pour sa part, Joseph Gordon-Levitt, découvert dans Mysterious Skin (2004), révélé par (500) jours ensemble (2009) et vu dans Inception (2010) ou Looper (2012), réussit à donner de l’étoffe à une sorte de gratte-papier binoclé et propre sur lui qui finira par devenir l’un des plus fameux lanceurs d’alerte de la planète.
« Coupables ou innocents, nous sommes tous sur écoute », souligne le film. Les révélations de Snowden, si elles ont secoué l’Amérique, ont-elles changé le fond des choses? Pour certains, aux USA, le traître Snowden devrait être pendu, pour d’autres, le prix Nobel devrait être attribué à ce citoyen exemplaire… A la fin du film, on entend furtivement Hillary Clinton le traiter de « voleur ». Et puis Oliver Stone achève son film avec une jolie séquence où le vrai Edward Snowden donne une conférence, via internet, depuis son refuge moscovite. Avec son air d’éternel gamin, Snowden sourit presque malicieusement. Pas dupe?
SNOWDEN Espionnage (USA – 2h14) d’Oliver Stone avec Joseph Gordon-Lewitt, Shailene Woodley, Melissa Leo, Zachary Quinto, Rhys Ifans, Tom Wilkinson, Timothy Olyphant, Joely Richardson, Nicolas Cage. Dans les salles le 2 novembre.