Les pieds nickelés du hard discount
Des chariots, de l’argent qui passe des mains des clients à la caissière, des camions frigorifiques, des bordereaux à signer, des caméras de surveillance, la mise en place des produits dans les rayons, les affichettes « vente flash » et le compte à rebours de l’ouverture du magasin avec les clients qui se poussent, se pressent et foncent dans les allées… Le quotidien d’un magasin de hard discount. Mais aussi, dans la coulisse, les procédures appliquées par le personnel de surveillance pour fouiller les employés de peur de la fameuse « démarque inconnue »…
Pour Discount, son premier long-métrage, Louis-Julien Petit a nourri le point de départ de son scénario d’une histoire vraie, celle d’une caissière d’un hypermarché qui, en 2011, avait été accusée de vol par sa hiérarchie pour avoir récupéré un ticket de promotion abandonné par un client… L’affaire avait provoqué un bel élan de solidarité chez les gens…
Ce sont ces gens, ces petites gens (le cinéaste fait siens les mots de Victor Hugo parlant de « petites grandes âmes ») qui sont au coeur de Discount, touchante comédie sociale et humaniste où Louis-Julien Petit veut montrer les conséquences positives que peut engendrer la crise financière et comment peuvent en naître l’entraide et la solidarité.
Gilles, Christiane, Alfred, Emma et Momo sont employés dans un magasin de hard discount. Ils viennent d’apprendre que des caisses automatiques vont bientôt être mises en place. Ils savent confusément que leur emploi est menacé. Alors, sous l’impulsion de Gilles, ils décident d’un plan façon Robin des Bois. Récupérer des produits encore consommables mais destinés à être javellisés et les vendre à des prix encore plus bas que le hard discount. Evidemment leur petite entreprise a vite du succès. Et même vendre à très bas prix leur assure des revenus bien plus confortables que leur salaire… Et voilà, nos pieds nickelés qui se mettent à rêver les yeux ouverts. Car ces cinq-là sont des cabossés de l’existence. Gilles vit avec un vieux père aveugle, Christiane est plombée par les dettes, Alfred a été quitté par sa femme et ne s’en remet pas, Emma élève seule son fils et Momo envoie de l’argent en Algérie mais n’en a pas assez pour faire le voyage…
Malgré ses décors réalistes (pour son magasin, le cinéaste a songé à la célèbre photo 99 cents d’Andreas Gursky) Discount n’est pas réaliste. Ainsi on pourrait déjà se demander comment il se fait que la police ou les gendarmes ne remarquent pas rapidement le manège de la petite bande… Mais Discount est une fable. Un peu dans l’esprit du cinéma social anglais d’antan dans lequel s’illustrèrent Frears ou Loach.
Plus humoriste tendre que militant pur et dur, Louis-Julien Petit pose des questions comme celle de savoir si « voler les voleurs, c’est voler? ». Il met aussi le spectateur face au problème du gaspillage alimentaire. Il faut bien dire que voir les employés du magasin fouler au pied, dans de grandes bennes, des légumes pas vilains ou des tas de poulets prêts à cuire a quelque chose de bien irritant et l’eau de Javel, largement dispersée dans la benne, n’a rien à voir là-dedans.
Et puis le cinéaste a la bonne idée de montrer que la directrice du magasin n’est pas épargnée non plus par le système. Elle doit licencier ses employés et si elle s’exerce à pratiquer l’anglais du « Market Survey » ou du « Brand Leader », elle doit aussi répondre aux pressions de sa propre hiérarchie. Dans sa vie privée, Sofia Benhaoui (Zabou Breitman) n’est pas à la fête non plus avec une mère qui tient à la marier coûte que coûte.
Pour donner de l’épaisseur à des rebelles qui ont décidé de résister à l’humiliation et au mépris, Louis-Julien Petit peut compter sur de bons comédiens, au premier rang desquels l’épatante Corinne Masiero (Christiane) qui lâche, d’une voix traînante et lasse: « On se fait virer. En plus, il faut sourire! Elle achète où, sa bière, la Benhaoui? » On avait vu Corinne Masiero dans de petits rôles (De rouille et d’os en 2012) mais aussi exceptionnelle dans Louise Wimmer (2011). A chaque apparition, elle exprime de puissantes interprétations.
Alors, évidemment, les affiches « SBAM » que l’on voit régulièrement dans Discount, prennent une tonalité singulièrement grinçante. « Sourire – Bonjour – Au revoir – Merci » est un slogan (réellement utilisé dans la grande distribution pour motiver le personnel) que les cinq pieds nickelés de Discount ont détourné avec humour. Pour un peu, on leur dirait bravo.
DISCOUNT Comédie dramatique (France – 1h45) de Louis-Julien Petit avec Olivier Barthélémy, Corinne Masiero, Pascal Demolon, Sarah Suco, M’Barek Belkouk, Pablo Pauly, Zabou Breitman. Dans les salles le 21 janvier.