Cousteau, héros entre ombres et mers
« Il y a plus de trente ans, j’ai découvert un monde… Je l’ai exploré, montré et, à la fin, j’ai voulu le conquérir. Alors qu’il fallait le protéger… » Le constat est lucide et même amer mais le commandant Cousteau saura relever le gant pour devenir l’un des plus fervents défenseurs de la planète. L’Odyssée est une invitation à partir à l’aventure sur les pas de l’homme au fameux bonnet rouge.
Sacré challenge que celui relevé par Jérôme Salle! Pour beaucoup de ses fans, Jean-Yves Cousteau est une sorte de saint laïc, grand écologiste devant l’éternel et défenseur enthousiaste de la planète bleue. Pour les moins de vingt ans cependant, le personnage est quasiment inconnu. Faisant jouer sa nostalgie d’enfance, le cinéaste s’est donc lancé dans un portrait qui s’appuie sur les rapports difficiles entre le commandant Cousteau et son second fils Philippe. L’Odyssée ne joue d’ailleurs pas la carte du suspense: le film s’ouvre sur la mort tragique de Philippe Cousteau, en 1979, lors d’un accident d’hydravion. Une disparition qui va profondément affecter le père… Le scénario de Jérôme Salle et Laurent Turner va alors s’appuyer sur la relation complexe entre Jean-Yves et Philippe pour structurer un film qui n’entend pas être le classique biopic mais une fiction de divertissement autour d’un personnage hors normes auquel le réalisateur confie vouer une vraie admiration…
De l’accident d’hydravion de l’ouverture, L’Odyssée fait un flash-back dans la fin des années quarante lorsque la côté méditerranéenne était encore un « paradis perdu » où le jeune officier de marine Cousteau plongeait, avec sa femme Simone et ses fils Philippe et Jean-Michel, pour leur montrer les beautés de la mer… On évoque alors l’invention du détendeur, ce mécanisme qui permet à un plongeur de respirer l’air contenu dans sa bouteille de plongée et qui permettra aussi l’avènement du scaphandre autonome… Puis, tandis que Jean-Philippe se détourne de la mer, se développe le parcours de Jean-Yves et Philippe dans leur commune admiration, entre autres, du « vol » sous-marin d’immenses raies manta. Tous deux, rejoints par Simone, l’épouse et la mère, vont se mettre à rêver d’explorer, de montrer et de raconter ce monde extraordinaire de la mer…
L’Odyssée passe alors en revue Cousteau et la fameuse Calypso (« C’est de la folie. On n’a même pas l’argent pour le fuel… » mais Simone vendra les bijoux de sa mère pour financer l’entreprise); Cousteau et l’industrie pétrolière pour laquelle il fera des recherches de préparation des forages off-shore; Cousteau et la constitution de l’équipage de la Calypso dont le célèbre Albert -Bébert- Falco; Cousteau et la palme d’or 1956 à Cannes pour Le monde du silence (co-réalisé avec Louis Malle); Cousteau et les networks américains auxquels il va vendre des idées de films..
Jalonnant son film de différents temps forts (juillet 1963 en mer Rouge, avril 1967 dans le détroit d’Ormuz, Cape Town 1968, Mexique 1971, décembre 1972 Ushuaïa), Jérôme Salle peaufine le portrait contrasté d’un personnage fascinant mêlant le charisme, un égocentrisme féroce mais aussi une capacité inouïe à insuffler aux autres l’énergie et l’idée de liberté… Cousteau apparaît aussi comme quelqu’un qui hait le conflit et prend la fuite devant les tensions familiales ou professionnelles mais capable de convaincre une équipe de partir au bout du monde avec lui…
Comme son personnage qui s’en va à l’aventure dans les profondeurs bleues des océans, Jérôme Salle plonge dans les mers et propose évidemment des images magnifiques ou palpitantes comme ce tournage où Philippe, délaissant la cage protectrice, va se retrouver au milieu d’un ballet de requins, comme encore les superbes séquences réalisées dans l’Antarctique.
Pour son cinquième long-métrage après deux thrillers (Anthony Zimmer en 2000 et Zulu en 2013) et deux épisodes, en 2008 et 2011, de Largo Winch, adaptation de la bande dessinée éponyme de Van Hamme et Francq, Jérôme Salle propose un grand film d’aventures maritimes. Porté par une belle partition d’Alexandre Desplat et une intéressante reconstitution historique, L’Odyssée est beau mais aussi assez lisse. Il faut alors se tourner vers les interprètes pour trouver des « aspérités », ainsi avec Simone (belle composition d’Audrey Tautou), épouse dévouée puis désabusée et meurtrie lorsqu’elle découvre les frasques de Cousteau mais constamment fidèle à cette Calypso qui est « sa maison ». Pierre Niney est un Philippe Cousteau « en compétition » avec un père fuyant qu’il voudrait surpasser mais qu’il amènera à une vraie conscience écologique. Enfin Lambert Wilson, aminci par un rude régime, est un Cousteau crédible sous son bonnet rouge. Le comédien (qui incarne, pour la seconde fois, après l’abbé Pierre dans Hiver 54 (1989) l’une des personnalités préférées des Français) ne s’essaye pas à l’imitation mais joue dans le registre de la sensation et de la vibration.
Même si JYC fut un personnage passionnant, L’Odyssée n’est pas un film hagiographique. La manière dont Cousteau « oublie » ses fils est assez rude mais le cinéaste achève l’aventure sur l’évocation du dernier combat écologique de Cousteau (1910-1997) qui obtint un moratoire gelant l’exploitation des ressources de l’Antarctique jusqu’en 2048. Ceux qui ne connaissent plus Cousteau, devraient y trouver matière à le découvrir sous ses multiples facettes…
L’ODYSSEE Aventures (France – 2h02) de Jérôme Salle avec Lambert Wilson, Audrey Tautou, Pierre Niney, Laurent Lucas, Benjamin Lavernhe, Vincent Heneine, Thibault de Montalembert, Roger Van Hool, Chloé Hirschman, Adam Neill, Olivier Galfione, Martin Loizillon, Ulysse Stein, Rafaël de Ferran, Chloé Williams. Dans les salles le 12 octobre.