L’avocate, l’agriculteur et les seniors
On connaît le mot que Victor Hugo (dans Choses vues) glisse dans la bouche d’un campagnard convoqué au tribunal: « Monsieur le président, n’ayant à dire que la vérité, je n’ai pas pris d’avocat ». Autant dire que l’avocat, dans la littérature puis dans le cinéma, n’a pas franchement bonne presse. Du côté d’Hollywood, l’avocat, joyeusement détesté par l’ensemble de la population, est pourtant devenu un personnage à part entière du film de prétoire. Chez nous, l’avocat est plus rare même si on se souvient de Raimu magnifique dans Les inconnus dans la maison (1942)… Avec Victoria (France – 1h36. Dans les salles le 14 septembre), Justine Triet signe une « comédie désespérée » (sic) sur la vie chaotique d’une femme contemporaine, en l’occurrence Victoria Spick, avocate pénaliste en plein néant sentimental… On découvre la belle Victoria assistant à un mariage et croisant son ami Vincent tout comme Sam, un ex-dealer qu’elle avait sorti d’affaire. Or Vincent (Melvil Poupaud) va se retrouver pris dans un solide mic-mac, accusé d’avoir donné un coup de couteau à sa compagne. Quant à Sam (Vincent Lacoste tour à tour candide, tendre et cynique), il joue l’incruste auprès de Victoria qui accepte de le prendre, pour quelques semaines, comme… baby-sitter pour ses deux filles.
Révélée en 2013 par La bataille de Solférino, Justine Triet a peaufiné, pour ce second long-métrage, un scénario bien tourné qui embarque, avec aisance, le spectateur dans les journées (et les nuits) compliquées d’une femme active prise dans une spirale émotionnelle que sa situation professionnelle va faire imploser. Car Vincent lui demande de le défendre et Sam, que Victoria regarde à peine, va s’imposer comme l’indispensable pilier de son équilibre bien fragile. Le rire surgit lorsque Victoria se débat avec ses problèmes sexuels (le sexe est très présent dans le film sans que rien ne soit montré) mais aussi dans les clins d’oeil aux films américains de prétoire. Ainsi la jubilatoire séquence où, à la barre, Victoria cuisine un dalmatien… témoin du coup de couteau, pour le déstabiliser!
Cette comédie de la contamination de l’intime par le travail vaut bien sûr, par le talent de Virginie Efira en Victoria charmante et dépressive. La comédienne belge (avec laquelle les médias nous ont quand même largement bassiné) a le vent en poupe et enchaîne ces temps derniers les apparitions à l’écran avec Une famille à louer, Caprice, Le goût des merveilles, Elle, Un homme à la hauteur etc.
Premier long-métrage de Laurent Teyssier, Toril (France – 1h23. Dans les salles le 14 septembre) est, comme souvent pour un premier long, un film fortement teinté d’autobiographie. Le réalisateur comme son scénariste de longue date Guillaume Grosse, viennent de ce sud, entre Avignon et Cavaillon, où leurs parents appartenaient au monde des agriculteurs et des négociants et qui sert de décor à cette aventure à la fois pathétique et violente. Jean-Jacques (l’excellent Bernard Blancan, l’un des meilleurs seconds rôles actuels du cinéma français) cultive des fruits qu’il commercialise au Marché d’intérêt national. Mais la vie est difficile et le froid nocturne brûle les fleurs des abricotiers. Au bout du rouleau, harcelé par les huissiers, Jean-Jacques veut en finir…
C’est Philippe, son fils avec lequel les liens sont distendus, qui essayera de sauver la situation. Lui, qui cultive déjà du shit sous une serre au milieu des champs, va entrer dans le cercle des gros trafiquants en jouant les « nourrices » dans l’entrepôt paternel… Avec Toril, qui s’ouvre dans l’univers des arènes, des manadiers et des raseteurs de la Course camarguaise, Laurent Teyssier mêle, dans une écriture fluide, le film social, le western et le film noir. Filmés en scope, les beaux paysages de champs et de vergers, les grands espaces blancs de la plaine de la Crau procurent un cadre remarquable à cette histoire où il est avant tout question de la terre. Une terre que les agriculteurs de Toril aiment mais qu’ils vont devoir abandonner. Les scènes d’arrachage des arbres fruitiers sont un déchirement… Interprète de Philippe, Vincent Rottiers apporte, une fois de plus, une véritable épaisseur dramatique à un personnage taiseux emporté dans une spirale dangereuse.
Avec Ainsi va la vie (USA – 1h37. Dans les salles le 14 septembre), on sait d’emblée où l’on va… Oren Little est un agent immobilier bourru, mal embouché et égoïste qui voit sa vie complètement chamboulée lorsque son fils, avec lequel il n’a plus aucune relation depuis longtemps, vient lui déposer Sarah, sa fille de 9 ans. Le fils doit aller purger une peine de prison et il n’a personne à qui confier la gamine. Oren va alors se débarrasser d’elle en la collant dans les pattes de sa voisine Leah…
Réalisateur de films comme Quand Harry rencontre Sally (1989), Misery (1991), Des hommes d’honneur (1992) ou Le président et Miss Wade (1995), Rob Reiner est un solide routier hollywoodien. Il donne, ici, une comédie teintée de nostalgie sur deux personnages qui doivent faire face à l’âge mais qui parviendront à à retrouver le goût de vivre. Depuis la disparition de sa femme, Oren Little s’est muré dans une tristesse qu’il dissimule derrière une attitude détestable pour le reste du monde. Quant à Leah, sa voisine, elle chante dans un bistrot mais ne réussit jamais à retenir ses larmes en évoquant, entre deux chansons d’amour, son défunt Eugène. Par la grâce d’une mignonne petite brune aux yeux bleus, ces deux seniors vont saisir à nouveau la vie à pleines dents.
Si l’une et l’autre ont une considérable carrière, c’est cependant la première fois que Diane Keaton et Michael Douglas tournent ensemble. Ainsi va la vie a été construit sur mesure pour eux. Diane Keaton, inoubliable égérie de Woody Allen et Oscar de la meilleure actrice pour Annie Hall (1976), est une Leah charmeuse qui se doublera d’une gentille grand-mère de hasard. Quant à Michael Douglas, on lui a ciselé des situations parfois cocasses et des dialogues incisifs pour un sale type qui finira par laisser apparaître l’homme au coeur d’or qu’il est en réalité… Evidemment, tout rentrera dans l’ordre avec cette bluette qui ne fait pas de mal à une mouche.